Un temps proche du Front de gauche, l’économiste Jacques Sapir a défrayé la chronique après avoir pris position en faveur d’un « front de libération nationale » ouvert au Front national pour la sortie de la zone euro...
Sapir défend depuis longtemps des idées souverainistes dites de gauche. Mais qu’il aille jusqu’à prôner une « stratégie de large union, y compris avec des forces de droite », qui posera « à terme, la question des relations avec le Front national, ou avec le parti issu de ce dernier » a provoqué l’indignation parmi ses propres amis. Une indignation qui devrait remettre en cause la boussole souverainiste qui conduit Sapir sur des terrains marécageux en compagnie d’ennemis déclarés des classes populaires.
Pour lui, le « démantèlement de la zone euro » est la « tâche prioritaire » qui implique de dépasser le clivage gauche-droite, y compris avec le FN. « Dans ce dernier, voilà plusieurs années que l’on ne relève aucun caractère raciste ou xénophobe » dixit Sapir, ajoutant « Quoi qu’il en soit, il n’est plus possible aujourd’hui d’ignorer un phénomène politique qui représente 25 % des suffrages. […] La situation politique a pivoté en raison de ce qui s’est passé en Grèce. La question de l’euro va imposer des alliances qui vont transcender la distinction entre gauche et droite. Je discute donc aussi avec des gens de l’UMP. Sur certains sujets, la position du Front de gauche me semble la plus intéressante. Sur la souveraineté, je suis en accord avec Debout la France ».
Décomposition et brouillage
Pour le Parti de gauche, Éric Coquerel a dénoncé une « aberration ». « Face à l’ampleur de la crise actuelle, il faut justement proposer une alternative pour s’opposer aux fascistes et aux xénophobes. Leur nation n’est pas la nôtre. » Dans le Parisien, Jean-Luc Mélenchon se défend, lui, de venir sur le terrain du FN :« C’est elle qui nous singe ! Mais notre conception de la République, de l’indépendance et du partage des richesses n’a rien à voir avec celle de Mme Le Pen. Combien de temps encore Mme Le Pen va-t-elle venir paître sur nos pâturages en nous laissant ses bouses ? Du balai ! »
L’amalgame entre le FN et le Front de gauche relève de la pure calomnie, mais il n’empêche que les préjugés souverainistes et nationalistes créent pour le moins une grande confusion. « Ça donne un sentiment de décomposition et de brouillage idéologique, Ce n’est pas massif mais c’est une mise en garde qui doit nous donner à réfléchir », dit Clémentine Autain, porte-parole d’Ensemble. La dérive de Sapir devrait alerter toutes celles et ceux qui seraient tentés de s’abandonner au raisonnement simpliste : prétendre que Tsipras a capitulé parce qu’il ne voulait pas sortir de l’euro, la réponse étant la sortie de l’euro.
Non, il n’y a pas de réponse à la crise grecque comme à la crise de l’Union européenne capitaliste dans la démagogie souverainiste ou nationaliste, idéologie hostile aux travailleurs. La seule réponse est l’intervention de ces derniers, à Athènes, Madrid, Berlin ou Paris, par delà les frontières, pour en finir avec la domination de l’oligarchie financière.
Yvan Lemaitre