La nouvelle loi-cadre sur l’enseignement supérieur et la recherche (ESR), présentée au conseil des ministres le 20 mars par Geneviève Fioraso, est l’aboutissement d’une décennie de déréglementation du système universitaire en France. Elle ne répond en rien aux attentes, même modérées, de ceux et celles qui s’étaient battus contre les « réformes », décrets, plans et arrêtés qui ont attaqué et plongé ce secteur dans la pénurie depuis 2003.
En 1999, le ministre de l’Education nationale, Claude Allègre (PS), lançait avec ses homologues allemand, britannique et italien, un appel à la construction d’un « espace européen de l’enseignement supérieur » (EEES). Un document commun, adopté par 29 pays, lançait le « processus de Bologne ». Il préconisait la diversification des sources de financement des universités et entamait une première déréglementation des diplômes. Un objectif assumé était de concurrencer les universités états-uniennes et des pays émergents, en créant quelques grands pôles compétitifs.
En 2002, son successeur Jack Lang (PS également) instaurait la réforme « licence-master-doctorat » (LMD). Les diplômes étaient désormais composés de crédits (les ECTS), correspondant à un nombre d’heures d’enseignement. Mais une heure d’enseignement ne signifie pas obligatoirement une heure de cours en présence d’un enseignant : l’attribution des ECTS prend aussi en compte le temps de travail personnel des étudiants. Cela a été le début d’une folle déréglementation : chaque université peut varier, selon ses moyens et ses choix, le contenu de ses formations (nombre de matières et d’« enseignements complémentaires », organisation des emplois du temps et des modalités de contrôle des connaissances...). C’est la fin du cadre national des diplômes alors que celui-ci est le garant d’une reconnaissance sur le marché du travail de garanties collectives sociales.
Autonomie des universités et politiques d’austérité
En 2007, cette fois sous Sarkozy et sa ministre Valérie Pécresse, la loi « relative aux libertés et aux nouvelles responsabilités des universités » (LRU) donnait à chaque université la possibilité de gérer ses ressources humaines et ses primes, ainsi que de recruter sur fonds propres des personnels techniques, enseignants ou chercheurs, en contrat de droit privé. L’autonomie permet désormais aux universités de privilégier les filières de leur choix, tandis que la part d’argent public leur étant directement affecté (la DGF, dotation générale de fonctionnement) passait sous la barre des 50 %. Cela a été le point de départ de la crise budgétaire qui aujourd’hui débouche et sert de justification aux politiques d’austérité dans les universités.
Au printemps 2009, le décret d’application de la LRU sur le statut des enseignants-chercheurs, prévoyant que ces derniers se verraient attribuer par leurs présidents plus ou moins d’heures d’enseignement en fonction de la qualité de leurs travaux – au détriment de leur temps de recherche – mit le feu aux poudres. La seconde attaque contenue dans les décrets d’application de la LRU était le calcul des « performances » de chaque université pour leur financement, accroissant ainsi un peu plus les inégalités entre elles.
La loi Fioraso, dans la continuité
La nouvelle loi Fioraso s’inscrit comme une nouvelle pièce, dans la droite ligne des réformes précédentes, de cette refonte de l’enseignement supérieur en fonction des besoins de la classe dirigeante. Elle ne remet absolument pas en cause l’autonomie budgétaire, pourtant à l’origine des déficits de millions d’euros que les universités connaissent aujourd’hui. Le gouvernement Hollande-Ayrault a même apparemment l’intention d’aggraver les choses, puisqu’il annonce que sa loi entrainera une économie de 50 à 100 millions d’euros sur les budgets de l’ESR. Ce projet de loi poursuit le même mouvement de dérégulation de l’enseignement supérieur et d’adaptation du système éducatif aux besoins des entreprises. Il accentue les processus d’autonomie. La refonte de la carte universitaire (répartition des universités et des formations sur le territoire) se poursuit autour d’une logique de grands regroupements régionaux permettant de piloter les budgets en articulant austérité et compétitivité. Main dans la main avec Peillon, qui réforme de son côté le secondaire, il s’agit d’accroître la régionalisation de l’éducation, mettant fin de fait au service public national.
Adapter les diplômes aux besoins des capitalistes
La nouvelle loi veut développer la professionnalisation et instaurer « la spécialisation progressive des études ». Derrière ce terme, il s’agit de développer la pluridisciplinarité en première année de licence, voir en deuxième. La spécialisation disciplinaire n’arrivant qu’à la fin du cycle de licence, cela dégrade la valeur d’un diplôme puisque cela abaisse le contenu pédagogique, les savoirs enseignés. Sur le plan pédagogique, la professionnalisation et la pluridisciplinarité réduisent le contenu disciplinaire des diplômes et permettent de former une main-d’œuvre ayant un socle basique de connaissance, déjà rodé aux logiques d’entreprises et donc facilement adaptable sur le marché du travail. Le cœur de l’offensive du projet de loi consiste à renforcer l’adaptation en temps réel de l’offre de formation aux évolutions économiques.
Alors que les diplômes sont actuellement habilités sur leur spécialité, le projet de loi propose d’établir une nomenclature nationale des licences qui comprendrait l’ensemble des intitulés des licences, mais s’arrêterait à la mention et donc la définition de grands ensembles de formation. Ainsi, 50 % d’un diplôme pourraient tout à fait n’avoir rien à voir avec la mention pédagogique de ce diplôme, être « à la carte », mais cela n’empêcherait pas un diplôme d’être reconnu dans cette nomenclature. Celle-ci ne serait toutefois absolument pas contraignante sur le marché du travail, puisque non mise en rapport avec l’inscription des diplômes dans les conventions collectives.
L’élaboration des diplômes dans les universités se ferait selon une nouvelle procédure d’accréditation. C’est un renforcement très important de l’autonomie pédagogique des établissements, car une fois que l’université aura obtenu l’accréditation pour un domaine de formation, elle pourra aisément modifier son contenu. C’est la possibilité de faire évoluer les formations très rapidement, y compris pourquoi pas d’un semestre à l’autre, en fonction des évolutions économiques, des stratégies budgétaires des universités, des effectifs dans les diplômes en question ou d’autres critères encore plus opaques. Une licence obtenue par un étudiant aura beau être reconnue dans une nomenclature nationale, sa qualité et son contenu seront encore plus marqués par l’établissement dans lequel elle aura été obtenue, voire l’année de son obtention.
Accroître la concurrence entre université
Le gouvernement propose de mettre en place des contrats budgétaires avec des regroupements d’universités. A l’heure actuelle, chaque université passe avec l’Etat un contrat tous les cinq ans pour obtenir ses moyens financiers sur des critères précis. Demain, avec ces regroupements d’universités, ce ne sera plus chaque université qui recevra les financements mais les nouvelles structures ainsi créées, qui les répartiront ensuite à leur guise. Le regroupement réorganisera la carte des formations à l’échelle d’un territoire, selon la stratégie qu’il aura adoptée. Dans la pénurie budgétaire actuelle, cela laisse présager des fermetures de filières, en particulier dans les petites universités.
Le processus entamé depuis plus de dix ans, visant à adapter l’éducation à l’économie capitaliste, se poursuit donc sous le gouvernement Hollande. Une raison de plus d’organiser la résistance face à cette politique. Une résistance qui ne pourra se construire qu’avec le monde du travail, tant ces réformes de l’éducation concerne l’ensemble de notre camp social. Car si la classe dirigeante s’en prend si régulièrement au système éducatif, c’est parce qu’il forme les travailleurs de demain. La casse des formations, c’est la casse des conditions de travail des générations futures. C’est tirer vers le bas les conditions de travail de tous en faisant jouer à plein la concurrence. Parce que notre avenir vaut plus que leurs profits, la riposte de tous est donc nécessaire.
Par Jean-Baptiste Pelé et Hugo Perlutti