Publié le Jeudi 17 juillet 2025 à 15h00.

Bétharram, une affaire d’État

L’affaire Bétharram a secoué le paysage politique cette année. Bayrou a été pris la main dans le pot de confiture et s’en sort malheureusement la tête haute. Les organisations de gauche politiques et syndicales ont-elles tiré toutes les conséquences de ce scandale ?

En octobre 2023, Alain Esquerre, un ancien élève de l’école privée (sous contrat) Notre-Dame-de-Bétharram lance une bouteille à la mer : il cherche d’autres victimes des viols et violences commis dans cette école du Béarn. Un an plus tard, près de 110 plaintes sont déposées au parquet de Pau. Ainsi commence l’affaire de Bétharram. Depuis les témoignages, articles et rapports parlementaires sont accablants sur le silence dans lequel l’Éducation nationale et la Justice se sont murées pendant plus de 40 ans.

Cachez ce viol que je ne saurais voir

Le premier maçon du mur du silence n’est autre que François Bayrou, actuel Premier ministre et maire de Pau. Il a scolarisé ses enfants dans cette institution et il était ministre de l’Éducation nationale lorsque la première plainte a été déposée en 1997. Ajoutons à cela que sa femme a été enseignante (de catéchisme) dans cette école. Françoise Gullung, professeure à Bétharram, témoigne à propos d’Elisabeth Bayrou : « J’avais l’impression que pour elle, ces enfants-là étaient d’une espèce inférieure aux siens […], que c’était normal qu’on les batte »

Hélène Perlant, fille de François Bayrou et victime de violences, affirme que son ancienne école « [est] organisée comme une secte ou un régime totalitaire ». On peut diviser le torrent de boue de Bétharram en deux. D’une part les violences extrêmes par les surveillants et enseignants, et d’autre part les viols par les Pères responsables de cette institution. Il faut ajouter à cela le silence des adultes. Dans la région « si tu continues, tu vas finir à Bétharram » était une expression populaire pour faire rentrer ses enfants dans le rang. Tout le monde savait et se taisait.

Éduquer les enfants sans violences

L’idée qu’il faut taper sur les enfants pour les éduquer n’est pas propre à Bétharram. Au contraire, c’est une opinion bien ancrée dans notre passé. Alexander S. Neil écrit en 1960 dans Libres enfants de Summerhill : « L’éducation devrait être une préparation pour la vie. Notre culture, dans ce domaine, a échoué. Notre éducation, notre politique et notre économie ne nous mènent qu’à la guerre ». Car voilà le problème fondamental : nous reproduisons les inégalités et les violences de la société sur les enfants, plutôt que de combattre ces inégalités. Il y a un continuum de la violence, et à partir du moment où on peut s’en prendre, sans remords, à l’intégrité physique d’un enfant, il n’y a plus de limites dans l’abject. C’est dans ce sens que la France a ratifié, en 1990, la Convention internationale des Droits des enfants, qui stipule qu’il faut : « protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle ». Il faut croire que François Bayrou, alors député des Pyrénées-Atlantiques, n’avait pas pris le temps de la lire.

Nettoyer les écuries d’Augias

Il faut bannir la violence de l’éducation. C’est un travail patient et minutieux qui a fait évoluer les écoles publiques depuis 40 ans. Ce travail est loin d’être terminé comme le montre la plainte déposée en décembre 2023 par trois élèves du prestigieux lycée Henri IV (Paris) pour des faits de harcèlement moral et de violences volontaires. Bayrou, s’il avait un minimum d’honneur, devrait démissionner immédiatement. 

Au-delà, les organisations politiques et syndicales doivent exiger la nationalisation sans condition des écoles privées pour y bannir l’ensemble des violences et assurer un contrôle de l’État sur les personnels. Même si cela ne sera pas suffisant, c’est un premier pas. Au-delà, nous devons réfléchir à une éducation qui considère tout enfant comme un humain à part entière, avec les mêmes droits. Cela suppose une société qui bannit la violence de son fonctionnement quotidien. En dernière instance, cela signifie en finir avec les oppressions et l’exploitation. La tâche est ardue, mais indispensable pour l’honneur de l’humanité.

Raphaël Greggan