Lila a trois enfants, un fils en première en section européenne à Paris, une fille en troisième au collège Marais de Villiers à Montreuil dans le 93, et une fille en primaire. Elle a toujours été engagée dans la FCPE et est parent d’élève élue au collège. Elle explique les raisons de la mobilisation des parents.
Pourquoi les parents se sentent-elles et ils partie prenante de la mobilisation pour le plan d’urgence pour le 93 ?
Déjà, on constatait en tant que parent, avant même cette mobilisation, que cela s’était dégradé : avant on arrivait à avoir des profs remplaçants assez rapidement, même si parfois il fallait se mobiliser. Aujourd’hui, on a beau se mobiliser, faire des courriers, demander aux parents d’écrire, faire appel à nos députéEs… Cela ne fonctionne pas. Y compris pour des absences connues à l’avance, comme des profs qui partent à la retraite. Ma fille, par exemple, a eu 227 heures d’absences de professeurEs non remplaçéEs au cours de l’année dernière ! Chose qu’on ne constatait pas du temps de mon fils qui est en première. Il y a une vraie pénurie d’enseignantEs. Est-ce que les gens n’ont plus envie d’être professeurEs, ou certainEs démissionnent ? Ce qu’on constate, c’est que ça devient très compliqué et ceux qui en pâtissent, ce sont nos enfants.
En conseil d’administration, on constate des réductions constantes de DHG (dotation horaire globale). Cette année, par exemple, on n’a pas d’assistante sociale, pas de médecin scolaire (cela fait un moment) ou encore un manque de 24 heures d’AESH. On est quand même dans un collège en REP, dans un quartier où les élèves peuvent rencontrer des difficultés.
Sans compter les questions de bâti : par exemple dans notre collège, il y avait des fuites dans la salle polyvalente et dans le CDI. Après plusieurs années, des travaux ont été effectués il y a un an. Et on a de nouveau des fuites ! Le fait d’être en réseau avec les autres établissements nous a permis de dire : « Ce n’est pas normal, on ne doit pas accepter ». Comme le fameux TikTok à propos du lycée Blaise-Cendrars. Cela nous interpelle sur des sujets qui devenaient presque normaux. Ce n’est pas un collège délabré, mais par rapport à des établissement parisiens, on est loin d’avoir le même confort.
Et sur le choc des savoirs ?
Les profs ont commencé à se mobiliser en février. À ce moment-là, les parents ne mesuraient pas les conséquences que cela pouvait avoir sur leurs enfants. C’est en faisant des réunions, en se mettant en réseau que certains parents sont « tombés de leur chaise », en prenant conscience de tous les impacts que pouvaient avoir les groupes de niveaux sur leurs enfants ! Pour nous, ce qu’il est vraiment important de défendre aujourd’hui, c’est la possibilité que les enfants soient ensemble, qu’ils puissent se nourrir chacun des compétences de l’autre. Une classe hétérogène, c’est une classe qui va soutenir tous les élèves. Ça, il n’y aura plus ! Et le fait qu’il n’y ait plus de groupe classe… Ils sont petits, quand ils arrivent en 6e c’est déjà très compliqué et on leur ajoute une deuxième couche. Ce n’est pas un climat de sérénité, de confiance pour travailler.
Cette réforme va empêcher nos enfants de rêver, de penser leur avenir. Au moindre faux pas, ils vont être sanctionnés. Ils n’auront pas le droit à l’échec, pas le droit de se chercher, d’expérimenter.
Quelles actions ont été menées par les parents ?
Dans notre collège, on a fait pas mal d’affichages : au début des petits, et puis après on a pris tout un week-end pour faire une haie d’honneur devant le collège, avec beaucoup de slogans. Ce qui était bien, c’est que les enfants y ont participé et ça nous a permis de discuter avec eux, de savoir où ils en sont, ce qu’ils connaissent. C’était très moteur, ils avaient envie.
On a fait deux journées « école déserte », très suivies. Pour cela, on a relayé auprès des parents, on a aussi été devant le collège pour expliquer, surtout aux troisièmes, parce que c’est intéressant de pouvoir les mobiliser également. On a fait une réunion parents-professeurEs. Et, à Montreuil, on a fait la marche au départ de tous les collèges, lycées et écoles convergeant vers le marché. Vendredi, il y avait un apéro festif devant la mairie où tous les parents et professionnels étaient conviéEs pour montrer notre désaccord avec cette réforme et surtout en notre soutien au Plan d’urgence 93. Et dimanche 24 mars, le rassemblement à la préfecture. On y a appelé les parents.
Comment s’organise la coopération entre parents et personnels de l’éducation mobiliséEs ?
J’ai toujours été mobilisée depuis plusieurs années. Cette année, j’ai constaté qu’il y a eu plus de liens et plus de communication entre les parents et les professeurEs. On a pu avoir accès à plus d’informations des professeurEs pendant les assemblées, voir des défaillances qu’on ne voyait pas de notre côté. Et il y a eu un fil WhatsApp FCPE à l’échelle du 93 qui a permis de nous mettre en relation, d’avoir de l’information, de pouvoir être soutenuEs et se soutenir les unes les autres. C’est hyper-important de voir quel type de mobilisation il y a ailleurs.
Les réunions parents-profs, c’est vraiment nouveau pour notre collège. J’ai su que d’autres collèges le faisaient déjà. C’est toujours délicat parce qu’on parle du « devoir de réserve » des professeurEs, mais il y a aussi la défense des droits des enfants à avoir une éducation correcte. Et à un moment c’est un droit qui prime, le droit à l’éducation. Et cette année, ça a pris. On est beaucoup en relation avec les professeurEs et c’est vraiment bien. Le côté positif de cette mobilisation, c’est vraiment de pouvoir échanger sur les revendications des professeurEs, mais aussi les manifestations qu’ils font, les démarches qu’ils entreprennent. Ça nous permet d’expliquer aux parents pour quelles raisons les profs font grève, et ça a aussi un impact sur nos enfants.
Pour la FCPE et les parents, quelles sont les priorités à défendre pour l’école dans le 93 et ailleurs ?
Pour la FCPE 93, il y a les revendications du plan d’urgence tant sur le bâti que sur le nombre de professeurEs et autres personnels qui manquent sur le 93. Ça a l’air bête, mais c’est un minimum. On veut que nos enfants soient aussi bien dotés que les collèges et les lycées moyens. On ne demande pas plus, et qu’on n’ait pas une dotation qui baisse alors que sur Montreuil la population grossit.
Dans notre collège, on a une dotation qui baisse d’année en année ! On a une fermeture de classe de 5e qui est prévue à la rentrée.
On a des établissements dans le 93 qui sont bien délabrés pour certains. Chez nous, par exemple, l’été ils ont chaud, l’hiver ils ont froid. Les enfants ont leur manteau en cours dans certaines classes. Ça ce n’est pas possible ! Et puis bien sûr les non-remplacements des professeurEs, et du personnel globalement. On s’est habitué à avoir moins. Ça ne devrait pas être normal.
Quelles sont les étapes à venir ?
C’est un peu au jour le jour. Si on nous donne les moyens qu’on demande, nous on s’arrête demain. Mais on a l’impression que ça va durer. On est obligé de se battre pour nos enfants, ce n’est pas possible autrement.
Notre ministre devait rencontrer des députéEs, mais elle a annulé le rendez-vous de lundi. On tenait beaucoup à cette audience.
On devrait organiser une journée école déserte la semaine prochaine. Mais c’est encore en discussion parce que pour les parents ça devient un peu compliqué de s’organiser. Et il y a la question des justifications d’absence, dans certains collèges les directions n’acceptent pas. On est aussi mis sous pression. Il faut rassurer, parler, montrer qu’on fait corps et qu’on est vraiment tous ensemble pour que certains ne se retrouvent pas isolés.
En fait, on est carrément dans une lutte des classes ! Il y a ceux qui auront les moyens d’accéder au mieux et ceux qu’on va abandonner, sur lesquels on ne va pas investir.
Propos recueillis par une correspondante Éducation