Les salariéEs de Vertbaudet (entreprise de vente par correspondance de vêtements pour enfants située dans les Hauts-de-France), parmi lesquelLEs plus de 80 % sont des femmes, sont en grève depuis deux mois pour revendiquer une augmentation de salaire. L’Anticapitaliste s’est rendu sur le piquet de grève et a échangé longuement avec Manon Ovion, déléguée syndicale CGT chez Vertbaudet.
Vous êtes en grève depuis 60 jours, pourriez-vous revenir sur le début de votre combat ?
On a commencé une grève le 20 mars à la suite des NAO (négociations annuelles obligatoires) qui ont eu lieu courant février début mars et qui ont été signées par des syndicats avec une augmentation de salaire à 0 %. On a eu une prime de PPV (prime de partage de valeur) de 650 euros, au prorata du temps de travail, que tout le monde n’a pas touchée finalement. On a eu une augmentation sur la prime panier de 50 centimes, vraiment des broutilles. Les salariéEs étaient en colère. Le jeudi avant ce fameux lundi de mars où on s’est mises en grève, le PDG a proposé une réunion sur le site logistique pour parler des chiffres en disant que la trésorerie de Vertbaudet se portait très bien. Les collègues étaient encore plus en colère et on s’est mis en grève le lundi 20 mars pour demander l’augmentation de salaire que nous n’avions pas eue. Il y a l’inflation qui est là et qui est encore plus grave pour nous qui sommes avec des salaires de misère. Les salariéEs n’ont même pas une prime d’ancienneté : il y a un monsieur qui a 44 ans d’ancienneté et il est payé au Smic. On a une prime de 13e mois, qui n’est même pas un réel 13e mois, elle est divisée en trois versements : une partie au mois de novembre, une au mois de juin et une partie mensuelle. Elle fait juste en sorte qu’on soit payéEs au minima de branche.
C’est un salariat avant tout féminin ?
Oui, chez Vertbaudet, on est plus de 80 % des femmes ce qui fait qu’on a aussi beaucoup de femmes seules avec des enfants et qui galèrent ; Certaines sont obligées de se mettre à travailler à temps partiel parce qu’on a des horaires assez décalés. Les filles du matin commencent à 4 h 45, et il n’y a pas de crèche à cette heure-là, il faut donc payer une nourrice. Il faut payer la crèche. Il faut le dire, on travaille pour rien. Partir en vacances ou aller dans un parc d’attractions est impossible pour nous. Je voulais aller avec ma fille à Disney, on n’ira pas car il faudrait faire un crédit pour y aller ! On ne fait rien ! Les restaus… ? On peut compter combien de fois on fait un restau à l’année ! Ce n’est pas possible.
Ces salariées avaient-elles l’habitude de faire grève ?
C’est la première grève. Depuis 60 ans que Vertbaudet existe, les salariées n’avaient jamais fait grève. C’est vous dire à quel point on est dans un gouffre. Nous n’avons plus rien à perdre. C’est malheureux d’en arriver là. Il faut que ça bouge, il faut que l’État soit pour une fois avec nous, il faut arrêter de nous dire qu’on nous comprend car parmi ceux qui décident, personne n’est au Smic. Nous, on veut que ça bouge, que les choses changent. Combien y a-t-il d’ouvrierEs en France ? On est tous dans la même situation ; il n’y a personne qui nous entend, en fait, nous, les ouvrierEs, on est les oubliéEs de la France. On a des femmes qui bossent, qui se tuent au travail parce que c’est un travail très dur, c’est pénible. On a un taux de maladies professionnelles chez Vertbaudet qui est énorme, donc on est usé, on use notre santé. Tout ça pour ne pas réussir à vivre de son salaire. On a des femmes qui vont se nourrir au Secours populaire, alors que ces femmes elles bossent ! Ce n’est pas possible, il faut que l’État bouge pour ces ouvrierEs qui ne vivent plus. Finalement on entend parfois que notre vie ne serait pas plus dégradée si on était au RSA parce qu’on n’aurait pas les nourrices, les cantines et les centres aérés à payer, tout ce qui nous coûte un bras. C’est quand même triste de devoir penser comme ça mais c’est la réalité. C’est tellement dur, on fait la richesse de la France, grâce à nous il y a des riches, et maintenant ce qu’on a, c’est que les riches sont de plus en plus riches mais les pauvres on est plus nombreux. La grève c’est la seule force qu’on a finalement.
Comment la direction arrive-t-elle à justifier une telle fermeture vis-à-vis de vos revendications ?
Ils ne lâchent rien, ils ont beau à dire dans les médias qu’ils veulent entamer un vrai dialogue social et que c’est nous, les grévistes, qui sommes contre. Tous les jours ils nous envoient les CRS pour nous déloger et nous intimider, c’est ça le dialogue qu’ils veulent entamer avec tous ces grévistes qui sont dehors depuis plus de deux mois ?
On est reçus pour des réunions de négociation parce qu’ils « veulent mettre un terme à ce conflit qui ne peut pas durer » mais quand on nous convie à des réunions et qu’on ne nous propose pas d’augmentation, c’est qu’on ne veut pas résoudre le problème. C’est pareil, quand ils disent dans les médias qu’ils ne sont pas là pour casser la grève, que la grève est un droit alors qu’ils ont eu recours aux intérimaires qui travaillent les jours fériés ; ça a été constaté par l’Inspection du travail ; on est passé au tribunal, et même le tribunal ne nous a pas donné raison. Il y a les courriers qui ont été envoyés aux grévistes pour des entretiens préalables au licenciement pour faute grave, parce qu’on fait grève ! Et là, il n’y a pas non plus une entrave au droit de grève ?
C’est plus que grave mais tout le monde leur donne raison finalement, l’État leur donne raison ; on le voit noir sur blanc, c’est écrit partout mais ils ont un pouvoir, ils ont l’argent, ils ont l’État qui est avec eux et, au-delà du pouvoir qu’ils ont déjà à la base, on leur donne encore plus des droits qu’ils ne sont pas censés avoir.
Ils essaient de vous intimider…
Oui, c’est de l’intimidation, on a une salariée qui sort d’une rémission d’un cancer et elle s’est faite prendre par le cou et traîner juste pour déloger le piquet de grève. À quel moment on peut prétendre faire ça et à quel moment l’État peut cautionner ce genre de choses ? C’est inhumain ce qu’on vit.
Cela résonne aussi avec ce que nous avons vécu dans le cadre de la mobilisation contre la réforme des retraites…
Bien sûr, tout est lié. On n’est pas sortiEs spécialement contre la réforme des retraites mais quand on voit qu’on est payéEs au Smic même au bout de 44 ans et qu’on nous demande de faire deux ans en plus alors qu’on se bousille la santé déjà. On va devoir travailler deux ans en plus en gagnant la misère mais ils se rendent compte de ce qu’ils demandent aux gens ? Nous, à l’heure d’aujourd’hui, on ne sait même pas si on va arriver jusqu’à la retraite, physiquement. On ne peut pas demander ça aux gens. Nous ne voulons pas de primes, on veut que l’augmentation compte pour nos retraites, on veut que ça soit le taux horaire brut qui change.
Que pensez-vous des propositions autour de l’échelle mobile des salaires qui permettrait d’indexer les salaires sur le niveau des prix ?
C’est ce qui se passe en Belgique. C’est normal que les salaires soient augmentés à la hauteur du niveau d’inflation que les gens subissent ; déjà sans l’inflation on avait du mal à vivre, cela n’est pas nouveau chez les ouvrierEs, mais maintenant on doit choisir entre acheter une paire de chaussures à son enfant et faire les courses !
Comment faites-vous pour garder le moral et préserver cette force collective malgré la situation difficile ?
C’est la détermination. Le fait de savoir pourquoi on est là depuis le 20 mars, le fait que la direction peut nous augmenter et toute cette répression via aussi les services de police, cela ne fait qu’énerver encore plus les salariéEs. On sait qu’on est mépriséEs par la direction et depuis longtemps mais le fait de voir comment elle nous malmène, comment elle nous maltraite ; elle a beau à dire qu’elle ne cautionne pas la violence, c’est la dircetion qui la pratique ! C’est ce qui nous fait tenir : ce qu’on voit, ce qu’on vit.
Les gens, ils sont sortis ils étaient en colère, après ils ont eu la haine et maintenant ils ont la rage. La direction peut nous envoyer 300 flics ça ne remettra pas en cause le « pourquoi » on est sortiEs, que notre combat est légitime et qu’il doit se faire.
Qu’est-ce qu’on peut faire pour vous soutenir ?
On a une cagnotte leetchi en ligne 1, on peut faire tourner cette cagnotte et puis on a besoin aussi de soutien physique et moral, on a besoin de gens qui viennent nous voir et qui nous disent que ce qu’on fait est bien. Il y a des gens qui sont choqués de vivre ce qu’on est en train de vivre mais on est soudéEs et on essaie de dépasser les difficultés ensemble. La majorité des femmes ont 50 ans donc se faire malmener par des policiers alors qu’on n’a jamais eu affaire avec la police, c’est choquant. On a l’impression d’être des terroristes mais les terroristes sont au premier étage dans le site de la logistique, ce n’est pas nous les terroristes. La grève est un droit constitutionnel, on a le droit de faire ce qu’on fait mais eux ils n’ont pas le droit de nous maltraiter et ils le font et personne ne dit rien.
Avez-vous suivi d’autres grèves récentes comme celles des femmes de chambre de l’hôtel Ibis par exemple ?
J’en ai entendu parler. Je pense que ce qui fait le plus peur à l’État est que les femmes normalement ont du mal à se rebeller. Souvent, les grèves sont menées par des hommes, et le fait que là les femmes elles tiennent et qu’elles vont gagner – car j’ai l’entière conviction qu’on va gagner – ça va permettre à d’autres femmes dans d’autres entreprises de se battre et c’est pour ça que l’État ne veut pas lâcher. Même si on a des bas salaires, on a aussi notre mot à dire et on doit se battre parce que ce que l’entreprise récolte c’est grâce à nos bras, à nous. C’est ça qui leur fait peur car s’ils cèdent face à nous ils doivent céder pour toute la France.
Propos recueillis par Hélène Marra
Pour soutenir financièrement les salariéEs de Vertbaudet : https://www.leetchi.com/fr/c/soutien-aux-travailleuses-et-travailleurs-en-greve-de-vert-baudet