Ce 8 mars, les femmes de 57 pays sont descendues dans la rue, par centaines, par milliers et parfois beaucoup plus nombreuses, dans le cadre de l’appel à la Deuxième grève internationale des femmes. Elles ont ainsi repris à leur compte la forme de lutte lancée par les femmes islandaises en 1975 pour l’égalité salariale, et reprise par leurs sœurs polonaises et argentines en 2016 pour le droit à l’avortement.
Deux pays se sont détachés, l’Espagne et l’Argentine. Dans l’Etat espagnol, selon des chiffres officiels, près de 5,3 millions de personnes, en majorité des femmes, ont participé à des débrayages ou ont fait grève durant toute la journée. A Madrid, à Barcelone et dans d’autres villes, les manifestations ont été gigantesques.
A Buenos Aires, capitale du pays d’où l’appel à la grève est parti, la manifestation a été précédée de la traditionnelle ronde des Mères de la place de Mai. Plusieurs d’entre elles ont pris part au cortège de tête de la manifestation, à côté des représentantes des organisations féministes. La banderole de tête disait : « Grève internationale des femmes, lesbiennes, trans et travestie-e-s – Légalisation de l’avortement – Assez d’austérité et de licenciements ». Aux centaines de milliers de manifestant-e-s de Buenos Aires se sont ajoutées celles et ceux de Rosario, Córdoba et d’autres villes.
Dans ces deux pays, la grève et les manifestations ont été précédées d’un processus d’auto-organisation des femmes qui, dans des assemblées, groupes de parole ou simples réunions, ont discuté pendant des mois des objectifs de cette journée et de comment l’organiser.
Une nouvelle vague féministe à l’échelle internationale
Le fait que le mouvement féministe du 21e siècle adopte comme modalité de lutte la grève internationale des femmes lui donne un caractère différent des vagues féministes précédentes.1 La grève des femmes remet en cause la réduction du concept de travail au travail salarié et expose l’insuffisance du mot d’ordre « A travail égal, salaire égal ». C’est pourquoi les féministes argentines ont appelé les femmes de toutes origines et toutes orientations sexuelles à faire grève le 8 mars, qu’elles disposent d’un travail rémunéré ou qu’elles se consacrent uniquement à la prise en charge des enfants, de la famille ou des ancien-ne-s, sans percevoir de rémunération.
L’objectif était de rendre visible l’invisible, ce que la féministe marxiste Lise Vogel appelle le « travail non rémunéré qui contribue au renouvellement quotidien et à long terme des porteurs de la marchandise force de travail et de la classe ouvrière dans son ensemble (…) la composante domestique du travail nécessaire, ou travail domestique ».2 Tant que les femmes auront, sur leur « temps libre » et non rémunéré, à entretenir la force de travail, élever les futurs travailleurs et travailleuses tout en étant pénalisées pour leur rôle de reproductrices, ainsi que s’occuper de ceux et celles qui ont accompli leur temps utile au capital, il ne pourra y avoir d’égalité.
La grève comme outil de lutte féministe est fondamentale afin de démontrer qu’il ne pourra y avoir de libération des femmes sans mettre fin au système capitaliste et au patriarcat. Du capitalisme, parce qu’il détruit les liens sociaux, précarise la vie des femmes et utilise l’oppression de genre pour exercer son contrôle sur leur vie et leur corps. Du patriarcat, parce qu’il est à la base des rapports de subordination et de violence que le capitalisme utilise à son profit.
Nous sommes en présence d’une nouvelle vague féministe, dont les caractéristiques premières sont d’être inclusive, internationaliste et potentiellement anticapitaliste. Le système capitaliste et les partis bourgeois parviendront-ils à la coopter, comme ils l’ont fait avec les première et deuxième vagues ? Ou au contraire, ses éléments anticapitalistes naissants vont-ils se développer ? Ce sont les enjeux de la période qui s’ouvre. Tout en se félicitant de ce nouveau surgissement, les révolutionnaires doivent y participer à fond afin d’aider à développer ses traits les plus progressistes. En France, vu la faiblesse du mouvement des femmes, nous avons un long chemin à faire.
Virginia de la Siega