Sur le campus de Rouen, où les facultés sont occupées depuis plus d’une semaine, le 16 mai 1968, de jeunes salariés de l’usine Renault de Cléon viennent apporter la nouvelle : la grève avec occupation vient d’être décidée et la direction est séquestrée. Cléon fait basculer l’ensemble des usines Renault dans la grève, donnant le signal de la grève générale.
Le comité de grève des étudiantEs appelle à la solidarité. L’assemblée générale du campus décrète l’université de Rouen « libre et populaire », « ouverte aux travailleurs » et décide d’envoyer une délégation apporter la solidarité des étudiantEs aux grévistes de Renault Cléon. L’accueil des salariéEs est chaleureux. Celui des responsables PCF de la CGT beaucoup moins.
Une à une, à partir du 17 mai, les entreprises de l’agglomération entrent dans la grève avec occupation et se couvrent de drapeaux rouges. Mais partout, dans cette région où l’implantation du PCF est très forte, le « parti de la classe ouvrière », organise sur les lieux de travail un véritable cordon sanitaire pour empêcher les contacts entre étudiantEs et ouvrierEs.
C’est à l’université, chaque soir, que se retrouvent étudiantEs, lycéenEs, salariéEs, toutes celles et ceux qui, à Rouen, dans l’enthousiasme de ce moment exceptionnel, veulent débattre d’un changement de -société, des moyens d’y -parvenir.
Le 24 mai, dans le grand amphi bondé de la faculté des sciences, se tient un meeting animé par le comité de grève étudiant sur le thème « pouvoir étudiant, pouvoir ouvrier », auquel participent de nombreux salariéEs.
Le 27 mai, au cours d’une manifestation, les étudiantEs occupent le Cirque de Rouen. C’est la plus grande salle de la ville. Pendant cinq jours, le comité de grève étudiant y anime, tous les soirs, jusque tard dans la nuit, devant des centaines de participantEs, un débat sur le mouvement, ses perspectives, la construction d’une autre société. ChacunE peut s’y exprimer.
Un « comité de liaison étudiants-ouvriers » est créé. Même si les débats leur donnent parfois le sentiment de se trouver « sur une autre planète », de nombreux salariéEs viennent respirer « au cirque » une ambiance révolutionnaire qui n’existe nulle part ailleurs. Le 31 mai, l’occupation du cirque, désert, par les gaullistes et l’-extrême droite, sera le signe du déclin du -mouvement
Tout en contribuant à animer avec passion ces soirées, s’efforçant d’y avancer des perspectives, les militantEs de la JCR membres du comité de grève des étudiantEs sont conscients que les travailleurEs présents au cirque ne représentent qu’une minorité combative. Elle ne peut constituer une alternative pour peser sur le déroulement de la lutte. Ceux qui organisent, sur le terrain, les grèves et les occupations continuent de suivre les instructions venant de l’union départementale CGT. Avec parfois des réticences, ils les -suivront jusqu’au bout.
Si elles n’ont pas permis de changer le cours de la grève, les tentatives de jonction étudiantEs/ouvrierEs, ont néanmoins donné naissance aux premiers regroupements d’une génération de militantEs ouvriers combattifs critiques, qui devaient jouer un rôle croissant à la CFDT et à la CGT dans les années qui suivirent. En ce sens elles ont préparé l’avenir pour « continuer le combat ».
Jean-Claude Laumonier