Josette Trat, 20 ans, étudiante à Paris, membre de la JCR
Le 3 mai 1968, quand la police est entrée dans la Sorbonne pour arrêter les étudiants qui étaient dans la cour à écouter un meeting avec les étudiants de Nanterre, ce qui a été le point de départ de toutes les manifs ensuite, j’étais chez mes parents, en banlieue, car j’avais décidé de préparer mes partiels. Mais lorsque j’ai entendu à la radio ce qui était en train de se passer, j’ai suspendu mes révisions et je me suis précipitée à Paris où il y avait, le lendemain, une grande assemblée générale de la JCR pour faire le point sur ce qui s’était passé et pour essayer de réfléchir aux initiatives à prendre. Donc à partir de cette date, j’ai arrêté mes révisions et je me suis mise à 100 % dans la mobilisation, étudiante d’abord, et politique au sens plus large du terme ensuite.
J’ai donc participé à ce que l’on a appelé la nuit des barricades, le 10 mai, et je dois dire que j’en garde un souvenir très mitigé… Suite au 3 mai et à l’intervention de la police, la Sorbonne était fermée, et donc toutes les manifestations, dans les jours qui ont suivi, arrivaient au Quartier latin pour demander l’ouverture de la Sorbonne. Tous les jours, c’était donc la même chose, ça se terminait en affrontement avec la police, et ça tournait un peu en rond. Donc le 10 mai, il a été décidé que cette fois-ci, on ne se disperserait pas, on resterait sur place, et… on verrait. Il y avait donc un grand point d’interrogation, et je dois dire qu’à l’idée d’occuper le Quartier latin avec toutes les forces de police qui nous entourent, je n’étais pas très fière… Mais je faisais confiance à mes camarades, même si quand ils nous disaient « Mais il y a eu la Commune », je dois dire que ça ne me donnait pas tellement envie de rester. Je me demandais : mais qu’est-ce qu’ils veulent faire ? Je suis restée, j’étais disciplinée. Il y avait des étudiants très enthousiastes, qui se passaient les pavés, etc., moi pas du tout. J’étais là, je prenais mon mal en patience, je me disais que ça allait bien s’arrêter à un moment ou à un autre, mais sur le moment je ne comprenais pas le sens de la manœuvre. Aux autres manifs, je n’étais pas particulièrement inquiète, mais là c’était différent : je ne comprenais pas ce qui se passait, et surtout ce qu’on -voulait obtenir en faisant ça.
A posteriori on se dit que ce n’était pas bête, même si c’était à quitte ou double : il y a eu une confrontation et une épreuve de force politique, qui a obligé tout le champ politique à se positionner par rapport à la mobilisation étudiante, etc.
C’est là où on peut sentir la différence entre des militants qui avaient une certaine pratique politique, qui connaissaient la manière dont peut se nouer un rapport de forces politico-symbolique, et les autres. Moi je n’avais aucune expérience de ce type, et je dois dire que cela a été le baptême du feu dans tous les sens du terme.