À leur arrivée au pouvoir, les bolchéviks durent faire face à une situation sociale dramatique qui les contraignit à régler en urgence d’immenses difficultés pour assurer la survie de populations menacées par la misère, la famine, la guerre et le développement des épidémies. Dans un contexte d’effondrement économique, ils trouvèrent des réponses nouvelles et radicales à l’urgence sociale, tout en effectuant un pas en avant dans la construction d’une société communiste.
La réquisition des logements bourgeois
En matière de logement, les bolchéviks se trouvèrent face à une situation de carence dramatique. Le régime tsariste ayant été incapable d’impulser les constructions nécessaires à l’industrialisation très rapide de la Russie, la pénurie de logements avait atteint un niveau d’autant plus grave que la guerre avait amené des besoins nouveaux, en raison du cantonnement des troupes dans les villes et du développement d’une nouvelle industrie de guerre. Majoritairement constitués de petites maisons en bois, ne disposant le plus souvent pas d’eau courante ni de chauffage, les logements des villes russes étaient totalement inadaptés à la civilisation industrielle, ce qui amenait les classes populaires à y vivre dans des conditions sordides, dans des taudis et des baraquements précaires.
Dès le 4 décembre 1917, le nouveau gouvernement prit les choses en main et s’employa à répondre à l’urgence en promulguant un décret qui autorisait les soviets à loger les sans-logement ou les mal-logés dans les appartements bourgeois. Cette remise en cause du droit de propriété entra dans le droit commun lorsque le gouvernement décréta, le 20 août 1918, la nationalisation des immeubles d’habitation des villes, qui furent désormais placés sous le contrôle des soviets locaux.
Dès lors, les anciens propriétaires bourgeois perdirent leurs droits de propriété et ne se virent plus autorisés qu’à résider dans leur ancien appartement, en y conservant un nombre de pièces qui ne pouvait être supérieur au nombre de personnes de leur famille. Le reste de leurs appartements et a fortiori leurs résidences secondaires se trouvaient mis à la disposition des soviets, qui y logèrent des familles ouvrières. Dans la Russie se mirent ainsi en place de nouveaux « appartements communautaires », dans lesquels plusieurs familles se partageaient les anciens logements de la classe dirigeante en voie d’éradication, en occupant chacune une pièce et en disposant en commun des sanitaires et de la cuisine.
Les « maisons-communes » et la politique de désurbanisation
Sitôt après la guerre civile, les bolchéviks s’employèrent à régler de manière plus pérenne le problème du logement, en lançant la construction de nouveaux quartiers populaires. Ceux-ci virent s’y développer des « maisons--communes », autrement dit des immeubles associant petites cellules familiales et grandes pièces collectives, destinées à socialiser la vie domestique et familiale (cuisines, buanderies, garderies...).
L’introduction de l’électricité et le développement des transports amenèrent aussi certains dirigeants bolchéviks à penser que le temps de la séparation des villes et des campagnes était révolu et à imaginer une politique de « désurbanisation », fondée sur le développement de petites agglomérations réunissant des maisons-communes. Destiné à répondre au dépérissement attendu de l’État, ce nouvel urbanisme s’attachait ainsi à construire une utopie socialiste, dans laquelle le nouvel État soviétique se trouvait conçu comme une fédération de petites communautés reliées entre elles par des transports publics électrifiés.
Priorité à l’éducation
Les mêmes principes inspirèrent la politique éducative des bolchéviks qui s’attachèrent dès la prise du pouvoir à mener une politique d’alphabétisation massive de la population. C’est dans cette logique que le gouvernement décida dès décembre 1917 une radicale simplification de l’orthographe, qui passait par la suppression de quatre lettres de l’alphabet russe. Il s’attacha surtout à se doter des moyens de sa politique, en nationalisant toutes les écoles confessionnelles et en engageant en urgence un programme massif de construction de bibliothèques et d’écoles dont le nombre fut plus que doublé dans la seule année 1918.
Malgré la guerre civile et un contexte budgétaire terriblement difficile, le nouveau gouvernement fit de l’éducation sa priorité. L’école devint du jour au lendemain obligatoire jusqu’à l’âge de 17 ans, ce qui impliqua l’engagement d’un nombre considérable d’enseignants. Du jardin d’enfants jusqu’à l’université (incluse), elle devint aussi totalement gratuite, tandis que des internats communautaires se chargeaient de l’éducation des nombreux orphelinEs du pays.
L’école de l’égalité
La nouvelle école soviétique se voulait résolument égalitaire, ce qui se traduisit tout d’abord par la dissolution du corps des inspecteurs et la disparition des directeurs. Elle s’attacha à supprimer toute séparation de genre, en imposant une mixité totale, mais aussi à faire disparaître toute procédure de sélection des élèves. Abolissant la séparation entre enseignement primaire et secondaire, la nouvelle école soviétique se refusa aussi à séparer l’enseignement général de l’enseignement professionnel, s’attachant en mettant en place une éducation globale et unique pour toutes et tous. L’accès à l’université fut aussi profondément repensé, grâce à la création de « facultés ouvrières » permettant à des travailleurEs n’ayant suivi qu’une formation de base d’accéder à l’enseignement supérieur.
Pour la pédagogie, les nouveaux maîtres soviétiques s’inspirèrent des théories anti-autoritaires de John Dewey, afin de poser les fondements d’une éducation émancipatrice faisant de l’élève un acteurE de sa propre éducation. Ces principes pédagogiques étaient garantis par une très forte autonomie des écoles, administrées par un conseil regroupant les enseignantEs, les déléguéEs d’élèves et les représentantEs des soviets locaux. Les rectorats ayant été dissous, ces conseils avaient de très larges pouvoirs sur la gestion de l’école, y compris sur les programmes scolaires qui faisaient l’objet d’une définition au cas par cas.
Laurent Ripart