«Il doit exister deux Amériques : l’une qui libère le captif, et l’autre qui enlève sa nouvelle liberté à l’ancien captif avant de lui chercher querelle sans le moindre fondement ; puis elle le tue pour s’emparer de ses terres. » Il y eut sans doute aussi deux Mark Twain (1835-1910), « le père du roman américain » avec Tom Sawyer (1876) et Huckleberry Finn (1885), et celui que révèle ce volume et qui mérite tout autant d’être connu, avec cette bonne vingtaine de « charges » inédites en français, et qu’il refusa souvent de laisser publier avant sa mort, tant elles étaient virulentes et le restent aujourd’hui. Mis en contact, par son mariage avec Olivia Langdon (1870), avec les milieux socialistes, féministes et athées de la côte Est, il allait peu à peu faire sien « le droit de l’individu à s’opposer au drapeau et au pays », spécialement à l’occasion de grandes « opérations extérieures » américaines qu’il allait dénoncer de plus en plus fermement. Et c’est ce qui ferait presque distinguer deux livres dans ce volume, l’un qui serait d’histoire et l’autre de méthode.
Le premier rappelle par quelle politique impérialiste de plus en plus éhontée (dont la préface de Thierry Discepolo énumère utilement les grandes étapes, Amérique latine, Angola, Hawaï, Cuba, Philippines, Chine) les États-Unis se hissèrent au rang de grande puissance, mais aussi au prix de quels renoncements et de quels crimes, comme s’en indignait Twain. Mais il ne se préoccupait pas moins de la manière d’en parler et de faire partager ses vues anti-impérialistes, et c’est l’autre intérêt majeur de ces textes combinant ses talents de journaliste et d’humoriste. Quant à leur actualité, qu’on se souvienne seulement que la création de Guantanamo remonte au débarquement des Américains dans cette baie du sud-est de Cuba pour « libérer le captif » du joug colonial de l’Espagne, en 1898, avant de lui « enlever sa nouvelle liberté », etc.
Gilles Bounoure
Traduit par Bernard Hœpffner, Agone 324 pages 23 euros