Publié le Jeudi 23 février 2017 à 21h43.

Quelques repères sur les organisations socialistes

Malgré la répression, les arrestations, les déportations en Sibérie, l’exil, les assassinats, le mouvement socialiste existe depuis 50 ans.

Le courant populiste narodnik émerge dans les années 1860, atteint son apogée avec l’assassinat du tsar en 1881. Convaincu de la possibilité d’une révolution socialiste immédiate en Russie, sur la base du rôle révolutionnaire de la paysannerie, se référant au marxisme, il oscilla entre terrorisme et installation de milliers de jeunes à la campagne pour gagner la paysannerie à la lutte contre le tsar.

Ce courant inspire le Parti socialiste révolutionnaire1 créé en 1901. Si ses dirigeants sont urbains, il a un grand prestige dans la paysannerie (80 % de la population) par son action politique (journaux, élections) et son action terroriste. En 1907, il revendique 50 000 militants. Complètement déstructuré par la répression et la guerre, il réapparaît en février 1917, notamment dans les soviets de soldats, puis dans les campagnes.

De la constitution à la scission

La social-démocratie naît dans le courant narodnik autour de Plekhanov. Il argumente sur l’importance de l’étape capitaliste qui, en engendrant le prolétariat, crée son fossoyeur.

Les petits cercles propagandistes des années 1880 commencent à partir des années 1890 à jouer un rôle dans les grèves ouvrières2. En 1898 à Minsk, est créé le Parti ouvrier social-démocrate de Russie (POSDR), à partir de groupes sociaux-démocrates et de l’organisation socialiste juive du Bund (plusieurs milliers de membres) implantés dans les villes (moins de 20 % de la population). Les délégués sont tous arrêtés. À partir de 1901, Lénine anime l’Iskra, journal autour duquel s’organise un réseau d’émissaires, de groupes locaux.

Au véritable congrès de fondation du POSDR3 de 1903, l’accord sur la dictature du prolétariat définie comme la conquête du pouvoir politique par le prolétariat est unanime entre Plekhanov, Martov, Trotski et Lénine. La division s’opère entre Lénine et les autres sur la conception du parti. Pour lui doivent être membres ceux qui « participent personnellement à l’une de ses organisations », pour Martov ceux qui « collaborent régulièrement et personnellement sous la direction d’une de ses organisations » : le clivage bolcheviks (majoritaires) / mencheviks (minoritaires) est né.

La scission prend du temps, de nombreux groupes du POSDR continuant à organiser les deux courants. Le troisième congrès en 1905 est purement bolchevique. Les délégués sont en majorité des militants professionnels représentant les groupes clandestins : environ 8 000 militants dans la plupart des centres industriels.

Les bolcheviks s’affirment

Après la révolution de 1905, de nombreux comités bolcheviques et mencheviques fusionnent. Le congrès d’unification se tient en 1906, entre les mencheviks (34 000), les bolcheviks (14 000), le Bund et les socialistes lettons et polonais, avec un débat sur la place respective de l’action parlementaire et de l’action révolutionnaire. Au congrès de 1907, les bolcheviks sont plus nombreux que les mencheviks parmi les délégués4 qui représentent 77 000 militants.

Dans les années 1907-1908, le mouvement ouvrier s’effondre, se décompose politiquement, et le parti se rétracte à moins de 10 000 militants. Chez les mencheviks apparaît un courant pour liquider l’action clandestine et chercher l’alliance avec la bourgeoisie libérale. Chez les bolcheviks, la majorité veut boycotter les élections.

Lorsque les luttes remontent à partir de 1910, les bolcheviks scissionnent à nouveau. Leur conférence de 1912 décide la parution d’un journal légal quotidien, la Pravda5 qui va leur permettre d’acquérir la majorité en Russie. Lors des élections de 1912 à la Douma6, ils mènent la campagne sur trois mots d’ordre : la république démocratique, la journée de 8 heures, et la confiscation des terres des grands propriétaires7. Dans le système électoral compliqué, ils sont majoritaires contre les mencheviks dans les six « curies » ouvrières des grandes villes qui élisent un député. Au global, la fraction sociale-démocrate à la Douma comprend 14 députés, les 6 bolcheviks de ces curies ouvrières et 8 mencheviks élus dans les régions. Mais le désir d’unité reste vif.

De la reconstruction à la révolution

L’internationale cherche à organiser le mouvement, mais sera bloquée par août 1914. Les députés bolcheviks et mencheviks à la Douma votent ensemble sous l’étiquette de la fraction sociale-démocrate contre les crédits de guerre. Ils quittent la salle en signe de protestation.

Tous les partis sont totalement désorganisés par la guerre. Des centaines de militants sont arrêtés et déportés. D’autres sont sous l’uniforme, les ouvriers mobilisés.

Les bolcheviks n’auront pas de direction effective pendant 16 mois. Lorsque les luttes reprennent en 1916, l’organisation se reconstruit. Les bolcheviks regroupent alors 5 000 à 6 000 militants. Après la révolution de février 1917, 10 000 militants se retrouvent, dont 1 500 à Petrograd. Les effectifs vont rapidement gonfler : en avril, ils seront 79 000 militants, dont 15 000 à Petrograd, pour passer en juillet à 170 000, dont 35 000 à 40 000 à Petrograd.

Patrick Le Moal

 

  • 1. Qui sera membre de la Deuxième Internationale à partir de 1904.
  • 2. Entre 1870 et 1900, le nombre de travailleurs était passé de 700 000 à 2,8 millions.
  • 3. Lui aussi membre de la Deuxième Internationale.
  • 4. 44 Bund, 26 Lettons, 45 Polonais, 175 Russes : 90 bolcheviks et 85 mencheviks.
  • 5. Qui changera de nom d’interdiction en interdiction...
  • 6. Boycottées par les Socialistes révolutionnaires.
  • 7. Appelées « les trois baleines » en référence à la légende russe qui veut que le monde repose sur trois baleines.