Après s’être réunie seulement une après-midi et une nuit, l’Assemblée constituante a été dissoute le 6 janvier 1918 par décret du Comité exécutif central des Soviets (CEC). Pour la bourgeoisie, les partis de la Deuxième Internationale et nombre d’historiens et auteurs1, c’est un événement « fondateur » qui apporte la preuve irréfutable que les bolcheviks étaient dès le départ hostiles à toute démocratie politique. Voyons pourquoi une telle interprétation est, pour le moins, biaisée et absusive.2
La brève période s’étendant de la prise du pouvoir, le 25 octobre 1917 (7 novembre dans le calendrier occidental), jusqu’au début de la guerre civile et des interventions impérialistes, en avril-mai 19183, a constitué l’« âge d’or » de la démocratie soviétique. Mais cela ne veut pas dire que le nouveau pouvoir n’ait alors rencontré aucun obstacle, ni que la situation n’ait pas été en général très compliquée.
Le 2e congrès des soviets d’ouvriers et de soldats, tenu au moment de l’insurrection d’Octobre, avalise cette dernière en déclarant assumer désormais tout le pouvoir. Le nouveau gouvernement (« conseil des commissaires du peuple ») qui y est élu se trouve intégralement composé de membres du Parti bolchevique, mais tous les partisans du pouvoir révolutionnaire considèrent que cette situation ne peut être que provisoire. Dès le lendemain du congrès, différents courants pressent dans le sens d’un élargissement immédiat. C’est le cas des mencheviks internationalistes dirigés par Martov, des social-démocrates internationalistes unifiés (également d’origine menchevique), plus significativement des socialistes-révolutionnaires de gauche, qui ont voté en faveur du nouveau pouvoir soviétique et de ses premières décisions. Et surtout, ces courants bénéficient du soutien des bolcheviks « modérés », avec à leur tête Kamenev, qui restent influents au sein d’un parti toujours aussi divisé.
Le Vijkel (exécutif du syndicat des cheminots, à majorité menchevique) tente de réconcilier les partisans du pouvoir soviétique et ceux qui ont claqué la porte du 2e congrès. Sous son égide s’engagent le 29 octobre des négociations visant à constituer un gouvernement socialiste pluraliste. Elles durent une semaine, mais ne donnent rien du fait de l’hétérogénéité des positions et objectifs – certains exigeant que les bolcheviks soient minoritaires au sein du gouvernement, d’autres que Lénine et Trotsky en soient exclus… Il est cependant significatif que pour la plupart des participants, le gouvernement à mettre en place devrait être responsable devant « toute la démocratie révolutionnaire », c’est-à-dire les soviets mais aussi l’Assemblée constituante à advenir.
Au même moment, le parti « cadet » (droite libérale), des SR de droite et certains mencheviks forment à Petrograd un « Comité pan-russe pour la sauvegarde de la patrie et de la révolution ». Le 29 octobre, avec des forces composées principalement d’élèves-officiers, ce comité mène une tentative de coup d’Etat, coordonnée avec un assaut conduit depuis le sud par des troupes assemblées à la hâte par le général Krassov. La première est écrasée et le second repoussé, au prix de lourdes pertes dans les rangs contre-révolutionnaires.
Un peu plus tard, c’est dans la région du Don, au sud du pays, qu’une révolte cosaque s’organise sous la direction des généraux Alekséiev, Kornilov (tous deux anciens chefs d’état-major de l’armée), Dénikine et Kalédine. Des milliers de militants bolcheviques, de gardes rouges, de soldats et de marins de la Baltique y sont acheminés depuis Petrograd et organisent, sous la direction d’Antonov-Ovsenko (l’un des dirigeants bolcheviques de l’insurrection d’Octobre), une guérilla qui parviendra en avril à défaire et éparpiller ce premier essai d’armée blanche.
Les SR de gauche sont alliés aux bolcheviks, mais ce sont des alliés remuants et parfois gênants. Outre ce qui a été signalé plus haut, ils contestent régulièrement, au nom de principes démocratiques, les mesures de lutte contre la contre-révolution adoptées par le Comité militaire révolutionnaire (CMR) du soviet de Petrograd, puis à partir de décembre par son successeur, la Tchéka. Pas toujours à tort d’ailleurs, comme lorsque le CMR publie sans en référer à personne un décret qui entérine et encourage la « justice de rue », c’est-à-dire le lynchage de contre-révolutionnaires avérés ou supposés (sur ce point et d’autres, les instances soviétiques donnent raison aux SR de gauche).
Le dilemme des bolcheviks
Et puis il y a donc, dans tout ce panorama pour le moins chaotique, le problème épineux de l’Assemblée constituante.
Durant la période du « double pouvoir » gouvernement provisoire/soviets, les bolcheviks ont mené une agitation exigeant sa convocation, que les représentants de la bourgeoisie et des partis ouvriers « conciliateurs » (mencheviks et SR) repoussaient sans cesse à plus tard, par peur de déclencher au plus profond de la Russie une vague qui mettrait en péril la poursuite de la guerre et obligerait à entreprendre une réforme agraire donnant la terre aux paysans. Autrement dit, on est en présence d’un cas typique de revendication « démocratique bourgeoise » que les démocrates-bourgeois et leurs associés réformistes s'avéraient incapables d’assumer réellement. En septembre cependant, alors qu’il était acculé et déjà près de s’effondrer, le gouvernement Kerenski avait finalement fixé une date pour les élections à l’Assemblée constituante – celle du 12 novembre 1917.
Mais après l’insurrection d’Octobre, la situation a radicalement changé. Le nouveau pouvoir est la représentation légitime des ouvriers, des soldats et des paysans pauvres. Et ce sont désormais les forces contre-révolutionnaires, accompagnées par les partis de gauche qui considèrent que la révolution russe ne peut à cette étape être que démocratique-bourgeoise, qui arborent contre les soviets le drapeau de l’Assemblée constituante.
Que faire dans ces conditions ? Un débat traverse la direction bolchevique, dont Trotsky a rendu compte dans son Lénine écrit en 1924, peu après la mort du fondateur du parti. Il vaut la peine de citer ce texte un peu longuement :
« Dans les premiers jours, sinon dans les premières heures qui suivirent le coup d’Etat, Lénine posa la question de l’Assemblée constituante.
« – Il faut l’ajourner, déclara-t-il, il faut proroger les élections. Il faut élargir le droit électoral, en donnant la faculté de voter aux jeunes gens de dix-huit ans. Il faut donner la possibilité de réviser les listes de candidats. Nos listes à nous-mêmes ne valent rien : on y trouve une quantité d’intellectuels d’occasion, et nous avons besoin d’ouvriers et de paysans. Les gens de Kornilov, les Cadets doivent être mis hors la loi.
« On lui répliquait :
« – Il n’est pas commode de surseoir maintenant. Ce sera compris comme une liquidation de l’Assemblée constituante, d’autant plus que nous avons nous-mêmes accusé le gouvernement provisoire d’atermoyer avec l’Assemblée.
« – Bêtises ! répliquait Lénine. Ce qui importe, ce sont les actes et non les paroles. Pour le gouvernement provisoire, l’Assemblée constituante marquait ou pouvait marquer un pas en avant ; pour le pouvoir soviétique, surtout avec les listes actuelles, ce serait inévitablement un pas en arrière. Pourquoi trouvez-vous incommode d’ajourner ? Et si l’Assemblée constituante se compose de Cadets, de mencheviks et de socialistes-révolutionnaires, est-ce que ce sera commode ?
« – Mais à ce moment-là, nous serons plus forts, lui répliquait-on ; pour l’instant, nous sommes encore trop faibles. En province, on ne sait presque rien du pouvoir soviétique. Et si l’on reçoit maintenant la nouvelle que nous avons ajourné l’Assemblée constituante, cela nous affaiblira encore davantage.
« Sverdlov se prononçait contre l’ajournement avec une particulière énergie, car il était plus lié que nous avec la province.
« Lénine se trouva seul sur sa position. Il secouait la tête d’un air mécontent et répétait :
« – C’est une erreur, c’est évidemment une erreur qui peut nous coûter cher ! Puisse-t-elle ne pas coûter à la révolution sa tête... »4
Et ainsi les élections sont-elles convoquées, à la date prévue (12 novembre), par le Conseil des commissaires du peuple sur mandat du Comité exécutif central des soviets. Plus tard, Lénine affirmera que cette décision avait été la bonne, car elle avait permis aux masses de mieux comprendre l’inconséquence et la politique contre-révolutionnaire des SR de droite et des mencheviks, ainsi que les limites de la démocratie bourgeoise, mais on ne peut s’empêcher de penser que, sur ce point comme sur d’autres, il fit alors « de nécessité, vertu » selon le mot de Rosa Luxemburg.
Les résultats et leurs causes
Sur 707 élus à l’Assemblée constituante (808 étaient prévus mais le scrutin n’a pu se tenir partout), les SR de droite en obtiennent 370, soit une majorité absolue. Ils peuvent compter sur le renfort de 4 « socialistes populaires », des 16 mencheviks (un nombre très faible, ce parti s’étant effondré dans ses anciens bastions industriels et ne conservant des forces significatives qu’en Transcaucasie, principalement en Géorgie) ainsi que de la plupart des 77 députés représentant les partis socialistes « nationaux » (Ukraine, Lettonie, etc.). Le parti cadet – qui va bientôt être mis hors la loi pour son rôle actif dans l’organisation de la contre-révolution – dispose de 17 représentants. En face, les bolcheviks n’en ont que 175, un peu moins d’un quart – quand bien même ils l’ont emporté dans tous les centres industriels, avec une majorité absolue des voix à Petrograd et à Moscou. Quant aux SR de gauche, ils sont réduits à la portion congrue de 40 députés. Comment expliquer ce résultat ?
Une première raison, immédiatement mise en avant par les bolcheviks, est que le vote s’étant déroulé moins de trois semaines après l’insurrection d’Octobre et le 2e congrès des soviets d’ouvriers et de soldats, nombre de votants ne savent pas – dans un pays immense et aux communications très insuffisantes – que les soviets se sont emparés du pouvoir, ou à tout le moins ne sont pas en mesure d’appréhender pleinement le sens et la portée de l’événement. De ce fait, ils ne sont pas non plus au courant de la scission intervenue, au cours du congrès des soviets, entre les SR de gauche (dont le congrès de fondation n’aura lieu que du 19 au 28 novembre 1917), favorables au pouvoir soviétique, et les SR de droite qui s’y opposent.
S’y ajoute le fait que les professions de foi et, surtout, les listes de candidats (dans un scrutin proportionnel organisé au niveau régional) ont également été bouclées avant le 25 octobre, avec comme conséquence essentielle que le Parti socialiste-révolutionnaire s’y présente encore uni. En votant pour ses listes, l’immense majorité des paysans pensent voter pour le partage immédiat des terres – que pourtant les SR de droite refusent. S’y ajoute le fait que la confection de ces listes a été contrôlée par la majorité de direction, de droite, qui a donné à ses partisans une prépondérance absolue. Ainsi les SR de gauche se retrouvent-ils à la Constituante en position ultra-minoritaire, alors même qu’ils ont constitué la première force au sein du récent congrès des soviets de députés paysans, en y obtenant une majorité absolue en alliance avec les bolcheviks.
Autrement dit, y compris d’un strict point de vue démocratique-bourgeois, les élections à l’Assemblée constituante étaient sérieusement viciées. Or il est un fait que pour les bolcheviks et la démocratie soviétique, non de façon immédiate mais à moyen et plus long terme, ces résultats puis la dissolution de la Constituante – devenue à partir de là l’étendard autour duquel se rallie toute la contre-révolution – ont constitué un facteur d’affaiblissement. Trotsky le reconnaît implicitement dès 1918, quand il souligne à ce propos, dans son texte « Les principes de la démocratie et la dictature prolétarienne », qu’« en dernière analyse, c’est pour le prolétariat un avantage de pouvoir introduire sa lutte de classe et même sa dictature par les canaux des institutions démocratiques ».5
Reste donc la question : pourquoi dans ces conditions les bolcheviks – majoritaires au comité exécutif central des soviets, responsable de la convocation – n’ont-ils pas différé la tenue de ces élections, au moins de quelques semaines ? Après tout, rien n’imposait de se conformer à la date qui avait été fixée, après moult atermoiements, par le gouvernement agonisant de Kerenski. D’autant que le pouvoir soviétique venait d’affronter (ou affrontait toujours) plusieurs offensives armées – les raisons à mettre en avant ne manquaient pas.
Deux explications apparaissent possibles. La première est celle mise en avant nombre d’opposants aux bolcheviks : ces derniers étaient cyniquement pour la Constituante quand ils étaient dans l’opposition, et contre elle une fois qu’ils étaient installés au pouvoir ; après s’être retrouvés en minorité, ils ont simplement voulu se débarrasser du problème, en finir une fois pour toutes avec ces lubies démocratiques pour avancer vers la consolidation de leur dictature.
L’autre explication, beaucoup plus rationnelle, est que comme en d’autres circonstances (par exemple pendant les journées de Juillet, et même dans la période préparatoire à l’insurrection d’Octobre6), et alors que la pression populaire pour la convocation de ces élections était forte, la situation leur a échappé. Ils n’en ont pas pris toute la mesure et ont été réduits à improviser – sans jamais s’écarter cependant de leur ligne directrice, d’engagement d’un processus socialiste qui devait aider à développer la révolution en Europe. Dans tous les cas, les avertissements de Lénine rapportés par Trotsky se sont avérés étonnamment prémonitoires.
Réunion et dissolution
A l’annonce des résultats, la direction bolchevique se réunit pour voir comment affronter le problème. Faut-il lancer un appel à rappeler et réélire les députés qui ne représentent pas la volonté populaire ? Repousser la date de convocation ? Assez vite s’impose l’idée que maintenant que le vin est tiré, il faut le boire. Les députés à la Constituante sont convoqués à Petrograd et celle-ci se réunira dès que seront arrivés un nombre minimum d’entre eux, fixé à 400.
Lénine rédige des Thèses sur l’Assemblée constituante7
, qui sont publiées le 13 décembre dans la Pravda. Elles signalent notamment que « l’Assemblée constituante, convoquée d’après les listes des partis qui existaient avant la révolution prolétarienne et paysanne, sous la domination de la bourgeoisie, entre nécessairement en conflit avec la volonté et les intérêts des classes laborieuses et exploitées qui ont déclenché le 25 octobre la révolution socialiste contre la bourgeoisie. Il est naturel que les intérêts de cette révolution l’emportent sur les droits formels de l’Assemblée constituante (…) Toute tentative, directe ou indirecte, de considérer l’Assemblée constituante d’un point de vue juridique, purement formel, dans le cadre de la démocratie bourgeoise habituelle, sans tenir compte de la lutte de classes et de la guerre civile, équivaut à trahir la cause du prolétariat et à se rallier au point de vue de la bourgeoisie (…) ».
Ces thèses évoquent la possibilité de convoquer une nouvelle Constituante, plus représentative de la volonté du pays : cela ne se fera pas, parce que le temps manque, qu'il y a bien d’autres sujets de préoccupation (dont celui des négociations de paix avec l’Allemagne), mais aussi et surtout parce qu’une fois que sont connues les décisions du congrès des soviets et les premières mesures du gouvernement, l’engouement populaire pour la Constituante retombe largement. Les thèses de Lénine exigent ensuite « une déclaration de l’Assemblée constituante reconnaissant sans réserve le pouvoir des Soviets, la révolution soviétique, sa politique relative à la paix, à la terre et au contrôle ouvrier, l’adhésion ferme de l’Assemblée constituante au camp des adversaires de la contre-révolution des cadets et des kalédiniens. »
Le conseil des commissaires du peuple décide de présenter à la Constituante une « Déclaration des droits du peuple travailleur et exploité » reprenant les orientations du 2e congrès des soviets et l’appelant à reconnaître le pouvoir soviétique et à s’incliner devant lui : « la Russie est déclarée république des soviets de députés d’ouvriers, de soldats et de paysans. Tout le pouvoir central et local appartient à ces soviets. » Si l’Assemblée constituante refuse, elle sera dissoute. Les SR de gauche, qui partagent pleinement cette orientation, viennent d’entrer au gouvernement suite à l’accord passé – à la mi-décembre – avec le Parti bolchevique. En revanche, plusieurs commissaires du peuple de l’aile bolchevique « modérée », qui restent en désaccord, ont démissionné.
La convocation en séance de l’Assemblée constituante est fixée au 5 janvier. Le même jour, ses partisans organisent une manifestation aux abords du palais Tauride où la réunion doit se tenir. Pour l’essentiel, c’est la petite et moyenne bourgeoisie qui défile. Alexander Rabinowitch (source indiquée en note 2) calcule que le nombre des manifestants est sensiblement supérieur aux 10 000 comptabilisés par les autorités, mais largement inférieur aux 100 000 revendiqués par les organisateurs. Des barrières, tenues par des détachements de gardes rouges et de marins dépêchés par le soviet de Petrograd, ont été dressées pour bloquer les accès au palais. Des tirs éclatent lorsque des cortèges – non armés et, pour la plupart, pacifiques – tentent de s’en approcher ou de les contourner. On relève une vingtaine de morts et des dizaines de blessés. Pour Rabinowitch, rien ne permet d’affirmer que cela aurait été le résultat d’une politique délibérée : dans l’improvisation générale qui règne, les détachements de garde, sans expérience ni ordres clairs ni véritable commandement, sont pour l'essentiel livrés à eux-mêmes.
A l’intérieur, la séance commence par l’élection de la présidence de l’Assemblée. Les bolcheviks présentent la candidature de la prestigieuse dirigeante des SR de gauche, Maria Spiridonova. Elle recueille 153 voix contre 244 au principal dirigeant SR de droite, Victor Tchernov. Le débat s’engage ensuite sur l’ordre du jour. Bolcheviks et SR de gauche demandent que l’on commence par examiner la Déclaration des droits soumise par le Conseil des commissaires du peuple. Sans même mentionner les soviets, donc en posant la Constituante comme unique source légitime du pouvoir, l’aile droite propose que l’on commence à examiner les bases politiques et constitutionnelles sur lesquelles l’Etat russe doit maintenant s’organiser. Son ordre du jour est adopté sans débat, par 237 voix contre 146. Les SR de gauche puis les bolcheviks quittent alors la salle pour réunir leurs fractions.
La séance reprend vers une heure du matin. Raskolnikov pour les bolcheviks, puis Steinberg pour les SR de gauche, annoncent que leurs partis se retirent de l’Assemblée constituante. Les députés restants décident de continuer à délibérer, jusqu’à ce le marin responsable de la sécurité leur demande de quitter la salle « parce que la garde est fatiguée ». Tchernov fait alors voter dans l’urgence, sans débat, une série de résolutions avant que les participants ne se dispersent, vers cinq heures du matin. Le lendemain, le CEC promulgue le décret de dissolution. L’Assemblée constituante a vécu.
Il est symptomatique que cette décision ne suscite alors, au sein de la grande majorité de la population, ni protestation ni même inquiétude. Ce qui prédomine est un sentiment d’indifférence et même de mépris envers une institution qui apparaît comme vaine, inutile.
Alexander Rabinowitch cite les souvenirs rédigés dix ans plus tard par un député SR de droite du nom de Sviatitsky : « il faisait remarquer que l’Assemblée constituante était morte cette nuit, non par manque de courage de ses partisans qui n’auraient pas été prêts à mourir pour elle, ni à cause de la demande des marins, mais "comme conséquence de l’indifférence avec laquelle le peuple a réagi à notre dissolution, ce qui a permis à Lénine de nous congédier d’un simple revers de la main : Qu’ils rentrent juste chez eux !" »
Edward Hallet Carr (cf. note 2) conclut plus généralement : « La révolution d’Octobre avait tranché la question, bien ou mal. Que le moment fût ou non venu de la révolution prolétarienne, et quelles que dussent être les conséquences finales s’il fallait répondre à cela par la négative, la révolution prolétarienne s’était bel et bien produite. Après Octobre 1917, personne ne pourrait défaire ce qui avait été fait et ramener la révolution à un moule démocratique bourgeois. »
Jean-Philippe Divès