Publié le Jeudi 26 avril 2018 à 16h02.

Rome, mars 68 : la bataille de Valle Giulia

Dans la seconde moitié des années soixante, ce sont les hippies, la mode beat, qui ont ouvert la voie suivie par le mouvement des étudiantEs contestataires. Les garçons et les filles protagonistes de la révolte beat, yéyé, se sont retrouvés dans les mouvements étudiants : « Ils se sont rebellés contre les professeurs, les directeurs, les parents, la police ; ils sont descendus dans la rue, ils sont passés de la chanson à l’action. D’autres attendent. En attendant, ils se sont laissé pousser moustaches et favoris », écrivait Sergio Saviane dans l’hebdomadaire l’Espresso du 28 avril 1968. Parmi ceux qui attendaient, il y avait les très jeunes gens des collèges que l’écho suscité par les affrontements qui s’étaient produits à Rome entre étudiants et policiers à Valle Giulia, le premier mars 1968, avait poussés dans la rue.

Pendant le mois de février, dans la capitale, plusieurs facultés étaient en cours d’occupation, et il y avait eu des affrontements avec des étudiants fascistes. La faculté d’architecture avait été évacuée par la police. Le 1er mars, la manifestation s’était dirigée vers cette faculté et les étudiants étaient bien décidés à la reconquérir. La faculté était occupée par les policiers. Quand le cortège est arrivé, ils l’ont attaqué pour le disperser. Mais cette fois, au lieu de fuir, les manifestantEs ont réagi à l’agression. En utilisant des planches de bancs, des branches d’arbres, des pierres… les étudiantEs sont passé à l’offensive et ont réussi à rentrer dans leur faculté. Pleins du sentiment de satisfaction d’avoir entrepris, avec succès, la reconquête et d’avoir vaincu la peur d’affronter la police, leur appartenance au mouvement fut renforcée. Ce moment fut retracé dans une chanson célèbre écrite peu après par l’auteur-compositeur Paolo Pietrangeli : « Onze heure et quart devant la fac d’architecture/ il n’y avait pas encore raison d’avoir peur/ et nous étions vraiment nombreux/ et les policiers face aux étudiants/ ils ont empoigné les matraques et ils ont frappé comme ils le font toujours/ et à l’improviste il s’est produit/ un fait nouveau, un fait nouveau/ nous avons cessé de fuir. »

Valle Giulia a marqué un tournant. Jusque-là le mouvement avait pratiqué la résistance passive face à la violence de la police. À Valle Giulia, les étudiantEs ont inversé la modalité de lutte : ils ont repris celle des « combattants de rue », des jeunes aux tee-shirts à rayures de juillet 1960, descendus dans la rue contre le néofascisme et le tournant à droite du gouvernement, ainsi que des jeunes qui avaient animé les affrontements de la place Statuto, en juillet 1962 à Turin. Des manifestations populaires débouchant sur des affrontements avec la police n’étaient pas une nouveauté : la nouveauté, ce fut la façon d’occuper les rues et les places, et c’est ce qui a désorienté les forces de l’ordre. Un commissaire adjoint se lamentera dans l’Espresso du 12 mai 1968 : « les étudiants sont jeunes, ils portent des chaussures légères et ils courent comme des athlètes. Nos hommes ont un âge moyen d’environ 35-37 ans, ils portent de grosses chaussures, ont un équipement, et ils doivent donc faire un énorme effort pour suivre les cortèges »

Le mois de mars fut un mois où les occupations fleurirent : Lecce, Gênes, Turin, Florence, Urbino, Venise, Palerme... et puis, le 22 mars, l’université de Nanterre à Paris.

Diego Giachetti, traduction Bernard Chamayou