Après 11 mois de combat, 595 femmes de ménage licenciées ont gagné la bataille juridique pour leur emploi. Mais le gouvernement ne veut toujours pas les réintégrer. Leur mobilisation est exemplaire.
Les femmes de ménage bloquant l'entrée du ministère des Finances.
Limogées depuis septembre, puis licenciées au bout de huit mois, 595 femmes de ménage de la fonction publique sont devenues le symbole de la résistance contre la politique de rigueur en Grèce. Elles sont devenues l'avant-garde de la résistance actuelle à la politique de la Troïka, osant affronter des ennemis aussi puissants que le gouvernement grec, la Banque centrale européenne, la Commission et le FMI.
Une lutte exemplaire
Tout a commencé quand, pour imposer la partie la plus dure de son programme d’austérité, le gouvernement a ciblé en priorité les femmes de ménage du ministère des Finances, de l’administration fiscale et des douanes. Il les a placées dans le « mécanisme de disponibilité » depuis fin août, ce qui s'est traduit par ce qu’elles touchent les trois-quarts de leur salaire de 550 euros pendant huit mois avant d'être licenciées définitivement. Le gouvernement a suivi exactement la même stratégie qu’à Skouries (1) : s’attaquer d’abord aux plus faibles et aux moins susceptibles d’être soutenues, c’est-à-dire les femmes de ménage, pour ensuite faire passer le gros des employés à la trappe, c’est-à-dire aboutir au licenciement des 25.000 fonctionnaires publics. Et au moment où les mouvements de résistances étaient saignés à blanc par l’austérité, atomisés, fatigués et vulnérables.
Il croyait qu’avec « cette catégorie de travailleurs », ces femmes pauvres de « basse classe » touchant des salaires d’environ 500 euros et, croyait-il, pas très intelligentes (d’où le slogan des femmes de ménage : « Nous ne sommes pas des connasses, nous sommes des femmes de ménages »), il aurait vite fini par les écraser comme des mouches.
Le but étant de privatiser le travail des femmes de ménage pour en faire cadeau à des sociétés privées de nettoyage. Ces sociétés mafieuses connues pour être les champions de la fraude fiscale, réembauchent avec des salaires de 200 euros par mois, soit de deux euros par heure, avec assurance partielle, sans aucun droit du travail, ce qui équivaut à des conditions de semi-esclavage.
Ces femmes limogées et sacrifiées sur l’autel de l’anthropophagie de la Troïka, ces femmes de 45 à 57 ans, souvent monoparentales, divorcées, veuves, endettées, ayant à leur charge des enfants ou maris chômeurs ou des personnes handicapées, se trouvent devant l’impossibilité de toucher prématurément leur retraite et cela après plus de 20 ans de travail, et dépourvues de toute possibilité de retrouver du boulot.
Elles ont alors décidé de ne pas se laisser faire. Elles ont pris leur vie en mains ! Une poignée de femmes décident de bousculer les routinières formes de lutte des syndicats traditionnels. Quelques-unes prennent l’initiative de s’organiser elles-mêmes, un noyau des femmes de ménage qui avaient déjà lutté et gagné 10 ans plus tôt pour obtenir des contrats de longue durée. Elles ont travaillé en tissant patiemment une toile d’araignée à l’échelle du pays.
Et comme ces servantes du ministère des Finances ont été jetées dans la rue et que faire la grève n’a plus de sens dans leur cas, elles ont décidé de faire un mur humain avec leur corps dans la rue, devant l’entrée principale du Ministère des Finances, place de « Syntagma », la place devant le Parlement, la plus emblématique du pouvoir.
Ce n’est pas un hasard que ce soient des femmes qui ont fait naître des formes de lutte pleines d’imagination. Déconsidérées à cause de leur genre et de leur classe sociale, marginalisées par les syndicats et n’ayant point de liens avec les organisations traditionnelles de la gauche grecque, elles ont dû faire du bruit pour être audibles et créer une image pour être visibles.
Aux grèves passives, aux journées d’actions éphémères et inefficaces, elles ont substitué l’action directe et collective. Elles misent sur la non-violence, l’humour et le spectaculaire. Avec des couronnes d’épines sur la tête à Pâques, avec la corde passée autour du cou devant le siège du parti de la Nouvelle Démocratie, avec de la musique et des danses elles réclament : la réembauche pour toutes et tout de suite ! Tout cela est inédit en Grèce.
Elles occupent et bloquent l’accès au Ministère et elles pourchassent les membres de la Troïka quand ils veulent entrer au Ministère, les obligeant à fuir en courant et à prendre en groupe la porte de service protégés par leurs gardes du corps. Elles affrontent et se battent corps à corps avec les unités spéciales de la police. Tous les jours, elles inventent des nouvelles actions, qui sont reprises par les médias, elles alertent toute la population : en somme elles brisent l’isolement.
Ce qui d’habitude est représenté par une statistique sans vie et sans âme, par le chiffre du record du chômage, de la pauvreté, voici que ces « abstractions » s’humanisent, acquièrent un visage, deviennent des femmes en chair et en os, qui en plus ont une personnalité et une volonté politique propre. Elles s’appellent Litsa, Despina, Georgia, Fotini, Dimitra… Et avec leur exemple, leur courage, leur persévérance, leur rage de vaincre, elles redonnent espoir à toutes les victimes de l’austérité…
Après ces 11 mois de combat, après avoir défié et être devenues l’ennemi principal du gouvernement et de la Troïka, après avoir court-circuité la mise en œuvre des mesures de rigueur, après une présence très médiatisée sur la scène politique, ces femmes de ménage en lutte ne sont toujours pas considérées comme sujet politique par les opposants à l’austérité.
Depuis le début des mesures d’austérités infligées par la Troïka, ces femmes ont pris la rue en masse et leurs résistances semblent avoir une dynamique propre toute particulière et riche en leçons politiques.
Durant ces quatre ans de politiques d’austérité qui ont transformé la Grèce en un amas de ruines sociales, économiques et surtout humaines, on n’a parlé que très peu de la vie des femmes et bien sûr encore moins de leurs luttes contre les diktats de la Troïka. C’est donc avec surprise que l’opinion publique a accueilli cette lutte exemplaire faite entièrement par des femmes. Mais est-ce vraiment une surprise ?
Les femmes au cœur du mouvement de résistance à la destruction de l’État social
Les femmes ont participé en masse aux 26 grèves générales. Dans le mouvement des Indignés, elles occupaient les places, elles campaient, manifestaient. Elles se sont mobilisées en première ligne pour l’occupation et l’autogestion de la télévision publique ERT. Exemplaires, elles étaient l’âme des assemblées des grévistes des administrateurs universitaires dans l’éducation et les universités contre la « disponibilité » c’est-à-dire le licenciement après 8 mois avec 75 % de leur salaire.
25.000 fonctionnaires de l’État, en majorité des femmes, seront concernés par le dégraissage des services publics. Elles constituent aussi l’écrasante majorité (95 %) des volontaires du Mouvement de Solidarité et des dispensaires autogérés qui essayent de faire face à la crise sanitaire et humanitaire.
La participation massive des femmes aux mouvements de résistance contre la destruction de l’État social par les politiques de l’austérité, n’est donc pas une surprise : d’abord, la condition des femmes est dans l’œil du cyclone de l’austérité. La destruction de l’État social et des services publics fait exploser leur vie : en tant qu’employées majoritaires dans la fonction publique et en tant qu’usagères principales des services publics, les femmes sont doublement impactées par les coupes de tous genres. Elles ont donc mille raisons pour ne pas accepter une régression historique de leur condition de femmes, qui équivaudrait à un véritable retour au 19e siècle.
Dans un premier temps elles ne se démarquaient pas en tant que « sujet politique femmes », partageant les mêmes revendications et les mêmes formes de luttes avec les hommes dans les mouvements. Elles y étaient nombreuses, c’est tout.
Mais, déjà dans la lutte pionnière contre l’extraction d’or dans la région de Skouries(1), les femmes se sont très vite distinguées par leurs formes de lutte et leur radicalité. Et si la presse et l’opinion publique ignoraient l’incidence de leur identité de genre sur la façon de lutter, la police ne faisait pas autant : la police anti-émeute a ciblé tout particulièrement les femmes, utilisant une répression féroce et sélective pour terroriser toute la population à travers elles, pour anéantir toute désobéissance et tout mouvement de résistance. Criminalisées, emprisonnées, elles ont subi des violences humiliantes, sexuelles et donc spécifiques à leur corps et à leur genre.
Dans un second temps, les femmes ont exprimé des initiatives et des formes de luttes qui leur sont propres.
Mais attention, les forces antiémeutes brutalisent presque quotidiennement ces femmes, pour l’exemple, car leurs patrons craignent la contagion. Et c’est toute la Grèce qui assiste au triste spectacle de ces femmes souvent âgées qui, jour après jour, sont piétinées, maltraitées et blessées par des « Rambos » de la police, qui pourraient être leurs fils.
Pourquoi ? Parce que c’est la Troïka elle-même qui veut les abattre, parce qu’elles sont l’exemple à imiter par tous les opprimés, parce elles sont à la pointe de la contestation anti-austérité, non seulement en Grèce mais partout en Europe. Parce que leur lutte peut devenir contagieuse.
Plus que jamais, le combat de ces 595 femmes de ménage héroïques est le nôtre. Ne les laissons pas seules. Elles se battent pour nous, battons-nous pour elles. Organisons la solidarité européenne et mondiale !
Notes
1. Dans la région de Chalcidice, en Macédoine centrale, au nord de la Grèce, la population est en lutte contre la volonté de faire exploiter une immense mine d'or à Skouries par le géant canadien Eldorado Gold et la compagnie grecque Hellas Gold. Elle subit une répression scandaleuse.