Contrairement à un mythe nationaliste flamand, la Belgique ne fut pas à l’origine une construction artificielle. L’Etat-nation en formation reçut un coup quand l’establishment refusa le bilinguisme en Wallonie, tout en exigeant son maintien en Flandre en faveur de la minorité francophone.
Quand la Belgique se détacha en 1830 du Royaume Uni des Pays-Bas, le droit de vote censitaire appartenait à une bourgeoisie et une aristocratie qui représentaient 1 % de la population. Se considérant comme l’âme de la nation, elles considéraient leur langue, le français, comme celle du pays. L’enseignement secondaire et universitaire était de fait réservé à ses enfants. La majorité non francophone, habitant le nord du pays, devait se contenter d’un enseignement primaire en flamand.
Contre cette situation qui bloquait l’accès aux instances de l’Etat et à la vie culturelle, un mouvement émancipateur et démocratique se développa à partir des années 1840. Le poids de ce mouvement culturel flamand, porté par divers courants idéologiques, grandit suite à l’accès des masses au droit de vote plural (masculin) en 1893 et au vote simple (toujours masculin) en 1919. Les Flamands devenaient une force politique.
La responsabilité du fait que le mouvement flamand fut accaparé plus tard par le bas-clergé et une droite nationaliste, doit être attribuée au Parti ouvrier belge (POB). Ce POB foncièrement réformiste et lié aux libéraux dans un anticléricalisme primaire, ayant sa base principale en Wallonie, avait donné la liberté à ses parlementaires de voter pour ou contre les demandes du mouvement flamand.1 En 1898 le Néerlandais devint enfin la deuxième langue officielle du royaume. L’université de Gand devenait néerlandophone en 1930. En 1932 l’enseignement secondaire devait se faire dans la langue de la région. En 1935 les tribunaux devaient rendre justice selon cette même règle. En 1992 la Belgique devint un État fédéral.
Un Etat-nation avorté
Contrairement à un mythe nationaliste flamand, partagé par certains « wallingants », la Belgique ne fut pas à l’origine une construction artificielle. Le mouvement flamand était même « belgiciste », craignant une annexion par la France. Mais la population flamande a perdu sa sympathie pour la Belgique suite au rejet systématique par la « francophonie » des aspirations démocratiques du mouvement émancipateur flamand. L’Etat-nation en formation reçut le coup de grâce quand l’establishment refusa le bilinguisme en Wallonie, tout en exigeant son maintien en Flandre en faveur d’une petite minorité francophone : deux poids et deux mesures.
Suite au déclin de l’industrie wallonne à partir des années 1950, l’Etat-nation perdit également son infrastructure économique, qui reposait sur l’industrie traditionnelle en Wallonie, dirigée par la holding de la Société générale de Belgique – depuis lors accaparée par Suez.2 Après la grande grève générale de l’hiver 1960 naquit un mouvement nationaliste wallon de type prolétarien, luttant pour le fédéralisme dans l’espoir de pouvoir régénérer ainsi son industrie. Mais ce Mouvement populaire wallon (MPW) eut la vie courte. Aujourd’hui, la Wallonie est redevenue « belgiciste », principalement de peur d’un dédoublement désavantageux pour elle de la sécurité sociale entre les deux communautés. Le développement en Flandre d’une industrie moderne a renforcé l’esprit fédéraliste flamand face à une Wallonie présentée comme parasitaire. La crise des années 1970 a pourtant aussi frappé la Flandre et sapé le traditionnel parti démocratique nationaliste flamand, la Volksunie (VU). Une partie de la VU a rejoint l’extrême droite du Vlaams Blok, devenu Vlaams Belang (VB), une autre tendance le Parti socialiste flamand (SP.A) et un troisième groupe a formé la Nouvelle Alliance Flamande (NVA), le parti de Bart de Wever.
LA NVA : ni séparatiste, ni fasciste
Il y a des raisons de contester la caractérisation avancée par une certaine presse, majoritairement francophone, de la NVA comme un parti séparatiste qui veut détruire le royaume des Saxe-Cobourg. De Wever souscrit à la « théorie » avancée par l’Alliance libre européenne (ALE) fondée en 1981 et reconnue par le parlement européen en 2004, une alliance qui réunit selon Paul Dirkx3 « dix formations régionalistes, quatorze autonomistes et onze séparatistes représentant dix-sept Etats membres ». L’ALE se prononce pour des « nations sans État » au sein de l’UE. Il s’agit ici non pas d’un nationalisme ethnique, mais d’une communauté de destin. L’idée « confédéraliste » de la NVA semble répondre à cette conception des autonomistes. Le principe de subsidiarité y joue un rôle (« ce que nous faisons nous-mêmes, nous le faisons mieux »), tout comme l’idée selon laquelle on volerait « nos richesses pour soutenir des fainéants ». Il s’agit en fait d’une revendication d’autonomie maximale au sein de l’UE, donnant plus de pouvoir aux groupes capitalistes régionaux. On retrouve ces idées en Catalogne et en Italie du Nord. Elles ne peuvent que corroder la solidarité des travailleurs et leur conscience de classe. Il n’est d’ailleurs pas certain que le patronat flamand veuille s’isoler de l’armée de réserve industrielle wallonne.
De Wever à déclaré qu’il n’obéissait qu’à un seul chef, l’organisation patronale flamande VOKA qui représente, non pas la grande industrie (pétrochimie, automobile, acier), mais plutôt les PME florissantes et de haut niveau technologique.
Il faut également souligner que la NVA n’est pas un part d’extrême droite et certainement pas fasciste. Cette appréciation s’applique plutôt au Vlaams Belang, le parti « anti-immigré », dont la direction colporte les idées d’une partie importante des nationalistes flamands qui s’étaient prononcés pour le fascisme avant et pendant la Deuxième Guerre mondiale . La NVA par contre est un parti purement néolibéral, adepte du parlementarisme bourgeois et défendant une culture et des comportements conservateurs. Elle surfe bien entendu, vu son nationalisme, sur la vielle rancune de larges couches de la population flamande envers l’establishment francophone et les « fransquillons ». « La tradition de toutes les générations mortes pèse d’un poids très lourd sur le cerveau des vivants », disait Marx. Le fait qu’on trouve dans la NVA des individus qui partagent des idées d’extrême droite n’a rien d’exceptionnel, il suffit pour s’en convaincre de regarder de près l’UMP française.
Un PS démagogique
Exigeant la démission de Jan Jambon, le ministre NVA des affaires intérieures qui a déclaré qu’il a de la « compréhension » pour les nationalistes flamands collaborateurs sous l’occupation allemande, Elio Di Rupo a fait de la politique politicienne de haut vol. Surfant sur l’idée mythique de l’importance de la collaboration nazie en Flandre (oubliant la collaboration en Wallonie), l’ancien premier ministre PS a attaqué le gouvernement dont son parti est exclu, non pas pour attaquer sa politique de choc, mais principalement pour cacher les mesures néolibérales que son propre gouvernement avait introduites.
La démarche a un effet néfaste en Flandre, où l’on considère son intervention comme la énième remarque méprisante et insidieuse contre les Flamands. Une telle réaction est néfaste pour les relations de solidarité plus que nécessaires entre les deux peuples. Notons que le PS participe sans états d’âme aux coalitions néolibérales dans les gouvernements de la Wallonie, de la Communauté française, de Bruxelles-Capitale et de la communauté allemande.
La réaction ouvrière
Si plus de cent mille personnes ont manifesté à l’appel des organisations syndicales dans la capitale belge, le jeudi 6 novembre 2014, à peine un mois après la formation du gouvernement fédéral, c’est que les travailleurs sont confrontés à un gouvernement qui entend détruire de la base au sommet l’Etat-providence imposé à partir de 1945 par le mouvement ouvrier.4
Cette fois-ci, la coalition gouvernementale comporte un seul parti francophone, le parti libéral MR du premier ministre Charles Michel, et trois partis flamands : la NVA nationaliste de l’homme fort Bart de Wever, le parti chrétien-démocrate CD&V et le parti libéral Open-VLD. De Wever a mis son véto contre toute participation gouvernementale des socialistes. Ceux-ci, rejoints par les chrétiens-démocrates francophones ont quant à eux refusé toute coalition avec une NVA « séparatiste ».
Nul ne sait comment se développera la crise institutionnelle. Mais le mouvement ouvrier y jouera un rôle fondamental, pour le meilleur ou pour le pire. Des deux côtés de la frontière linguistique, les confédérations syndicales socialistes (FGTB-ABVV), chrétiennes (CSC-ACV) et libérales (CGSL-ACLV) et le Mouvement ouvrier chrétien (MOC-ACW) qui chapeaute l’ensemble des organisations ouvrières chrétiennes, se sont mis en mouvement. Forts du succès de la manifestation du 6 novembre, ils prévoient des grèves provinciales tournantes le 24 novembre et le 1er décembre, suivies d’une grève générale en front commun pour le 15 décembre, tout cela accompagné par des initiatives émanant de diverses associations citoyennes.
Notons que des choses intéressantes se développent dans le mouvement syndical, qui le démarquent de ses traditions politiques. Dans la fédération FGTB de la région de Charleroi, des voix se sont élevées en faveur de la formation d’un parti ouvrier fidèle aux revendications syndicales, et ce en réaction au lien traditionnel qui unit la FGTB au PS social-libéral. En Flandre, certains membres du syndicat chrétien majoritaire se demandent, bien qu’encore timidement, s’il est toujours possible de se lier à leurs « amis » du MOC présents au sein du gouvernement. Ici aussi, une tradition est mise en doute.
Pips Patroons
Notes
L’auteur est un responsable de la LCR de Belgique.
1 Marcel Liebman, « Les socialistes belges 1885-1914 », Bruxelles, 1979 et H. van Velthoven, « Onenigheid in de Belgische Werkliedenpartij (1894-1914) », Revue belge d’histoire contemporaine, 1974.
2 Daniel Tanuro, « Pour comprendre la crise belge », Inprecor, novembre-décembre 2007.
3 Le Monde Diplomatique, novembre 2014.
4 Voir le site francophone de la Ligue communiste révolutionnaire, http:/www.lcr-lagauche.org