Le coup d’État contre le président bolivien Evo Morales a suscité le genre d’angoisse que les grandes défaites des luttes révolutionnaires évoquent : la chute d’Allende, la mort du Che au combat, la défaite de la guerre civile espagnole. « La critique n’est pas une passion de la tête, c’est une tête de passion », a déclaré Marx. Nous n’avons pas à mettre de côté les sentiments qui nous enveloppent aujourd’hui, nous devons les mobiliser à des fins positives.
Nous ne connaissons toujours pas l’ampleur des événements qui se déroulent en Bolivie, si la révolution peut éviter d’être abattue, si elle peut échapper à de nombreux morts au sein des mouvements sociaux, les peuples autochtones et la base sociale du parti politique de Morales, le Movimiento Al Socialismo (MAS). Les défenses sociales d’Evo sont puissantes et les classes dirigeantes savent qu’elles vont devoir les démolir pour pouvoir avancer dans leurs projets. Les dernières nouvelles sont inquiétantes - maisons en flammes, persécutions, arrestations.
D’autres chocs importants nous attendent et le résultat n’est pas écrit. El Alto - une ville d’un million d’individus à majorité autochtone proche de la capitale, La Paz - a une tradition insurrectionnelle héroïque qui a fait tomber plusieurs gouvernements dans le passé. Il incarne les traditions de lutte dans lesquelles Evo lui-même a été formé.
Je suis intéressé de voir quel genre de polarisation se développe parmi les militants de gauche face à ces faits. Les positions de la gauche sont regroupées en deux grands pôles. Certains sont incapables de se positionner correctement dans la lutte contre le coup d’État parce qu’ils s’en tiennent à des avertissements ou à des slogans qui sont déjà dépassés. Par exemple, le Parti pour le socialisme (PTS) argentin a publié il y a quelques semaines un article intitulé : « Ni avec Evo, ni avec Mesa (les forces de droite). Pour une solution politique indépendante ! » Alors même que les préparatifs du coup d’État étaient en cours et que le gouvernement devait être défendu. D’autres défendent Evo et renoncent à leur « droit de critiquer » un gouvernement qui vient d’être renversé sans lutte, même s’il a remporté près de la moitié des voix lors des dernières élections. Il est tombé comme un château de cartes, annulant ce qui semblait être le processus progressif le plus stable de la région. Evo a vaincu sans se battre et cet élément fait partie de notre angoisse et devrait faire partie de notre bilan.
Nous luttons pour gagner, et pour gagner, nous devons tirer les leçons appropriées de nos expériences. Ce que Evo a fait hier, il faut le dire, est analogue aux actions entreprises par Juan Perón en 1955 face à un coup d’État ou à celles de Salvador Allende en 1973 (et à l’inverse de ce que Chavez a fait en 2002). Évidemment, ces démissions et ces retraites, comme celle d’Evo, n’ont pas empêché la moindre effusion de sang ; au contraire, elles ont laissé les organisations et mouvements sociaux et politiques ainsi que les classes populaires à la merci de violences réactionnaires. Les exécutions de 1955 et le génocide de Pinochet témoignent avec éloquence de cette réalité. Les contre-révolutions produisent la violence, pas les révolutions. Il n’y a pas de comparaison entre leurs coûts sociaux et humains.
La démission d’Evo (et de son vice-président Garcia Linera) reposait sur la conviction qu’il n’y avait pas d’autre alternative. Mais si tel était le cas, c’est le résultat d’une politique naïve qui n’était pas préparée à une épreuve de force avec le genre de réaction autoritaire que chaque processus progressif provoque de la part des classes dirigeantes. C’est la naïveté de la « conciliation de classe ». Les leçons de l’histoire dans ce domaine sont incontestables. L’exemple d’Allende reste trop proche de nous pour que nous puissions jouer avec le feu de cette façon.
Espérons qu’il n’est pas trop tard pour éviter une défaite historique et la liquidation de l’une des expériences les plus remarquables vécues par les peuples d’Amérique latine au cours des dernières décennies.
Martín Mosquera
11 novembre 2019, Initialement posté sur FB. Traduit en angalis par No Borders News avec la permission de l’auteur. Martín Mosquera est membre de Democracía Socialista, groupe sympathisant de la IVe Internationale en Argentine.