Prendre la mesure du « mouvement indépendantiste catalan », c’est s’intéresser aux organisations réellement existantes qui le portent. Fondées bien avant les récents CDR, les Comités de défense du référendum devenus Comités de défense de la République, qui le structurent aussi, ses deux « entités » historiques principales sont l’Assemblea Nacional Catalana (ANC) et Omnium Cultural.
Leur engagement militant, particulièrement les 20 et 21 septembre 2017, pour que se tienne le référendum du 1er octobre interdit par l’Etat d’Espagne a valu à leurs présidents, Jordi Sànchez et Jordi Cuidant, d’être incarcérés en détention préventive le 16 octobre pour un présumé délit de « sédition », passible de 30 ans de prison d’après l’Injustice monarcho-bourgeoise de Madrid.
Engagées dans la bataille citoyenne et juridique pour la libération des prisonniers politiques, l’ANC et Òmnium ont été les chevilles ouvrières de la grande manifestation « Llibertat presos polítics » (Libérer les prisonniers politiques) à Barcelone, le 11 novembre (750 000 participants, selon les chiffres de la police) et du raz de marée catalan « Europe, réveille-toi ! », à Bruxelles le 7 décembre (45 000 participants selon les chiffres de la police).
Nous reproduisons ci-dessous, traduites de leurs sites Internet, les présentations respectives (« Qui som ? », Qui sommes-nous ?) de l’ANC et d’Omnium.
Assemblea Nacional Catalana (ANC)
« L’Assemblée nationale catalane est une organisation transversale et unitaire dont l’objectif est l’indépendance de la nation catalane par des moyens démocratiques et pacifiques. Elle compte plus de 500 assemblées territoriales à travers le pays, une cinquantaine d’assemblées sectorielles et extérieures, formées par des dizaines de milliers de personnes qui travaillent bénévolement pour la liberté collective.
« L’ANC a organisé les deux mobilisations les plus massives de l’histoire des Pays catalans et parmi les plus importantes d’Europe. La première, le 11 septembre 2012, avec le rassemblement à Barcelone "Catalunya, nou estat d’Europa" [Catalogne, nouvel Etat d’Europe], et la seconde, la Diada de 2013 [la Diada, tous les 11 septembre, commémore le sacrifice des derniers combattants catalans contre l’annexion de la Catalogne au royaume d’Espagne, en 1714 par les Bourbons d’Espagne], avec la "Via Catalana cap a la Independència" [La Voie catalane vers l’indépendance].
« L’ANC est l’héritière du mouvement des consultations sur l’indépendance qui ont eu lieu dans tout le pays de 2009 à 2011. Le 30 avril 2011, la Conférence nationale pour l’Etat catalan ("Conferència Nacional Catalana per l’Estat Propi") a marqué le début de l’expansion de l’ANC à travers le territoire, jusqu’à sa constitution le 10 mars 2012 au Palais Sant Jordi. »
La déclaration finale de cette conférence de 2011 affirme :
« Nous sommes une nation formée depuis plus de mille ans, qui a su se doter politiquement de son propre système constitutionnel, parmi les plus avancés d’Europe. Au 18e siècle, tout le dispositif constitutionnel catalan a été annulé par l’annexion violente et illégitime à l’Etat espagnol. Cependant, la nation catalane a résisté à la domination politique qui s’en est suivie et a développé au cours des trois derniers siècles un vaste mouvement de renaissance culturelle et politique. Elle a réagi à la dernière dictature [franquiste] en promouvant l’organisation de l’Assemblée de Catalogne, une expérience qui sert de précédent au processus de récupération de la conscience et de la dignité nationales du moment présent. Avec le Statut de 1979, le Parlement et le Gouvernement ont été rétablis, ce qui a permis de recommencer la reconstruction nationale.
« Nous avons résisté et nous avons fait pays. Tout au long de la dictature franquiste, la conscience nationale a généré un vaste mouvement culturel et politique de reconstruction nationale, avec diverses expressions politiques qui, au fil du temps, se sont révélées de plus en plus favorables à la souveraineté nationale et au droit du peuple catalan à décider de son avenir. Les mobilisations de 2006 et 2007, promues par la "Plate-forme pour le droit de décider" et les "Consultations sur l’indépendance" initiées en 2009, ont été couronnées par la grande manifestation du mois de juillet 2010.
« Maintenant, nous devons construire notre propre Etat. Le processus initié avec l’Assemblée de Catalogne, qui a abouti à la constitution dans l’Etat espagnol d’un cadre autonome démocratique, a épuisé ses possibilités. Aujourd’hui, face aux agressions de cet Etat qui sont persistantes, croissantes et insoutenables pour des secteurs de plus en plus nombreux de la société catalane, il n’y a qu’un seul dilemme : choisir entre l’indépendance ou la disparition en tant que nation. Dans un monde globalisé, le seul moyen de maintenir une culture, une langue, une identité est d’avoir son propre Etat. C’est aussi le seul moyen de mettre fin à la saignée financière que subit la Catalogne et d’atteindre des niveaux de bien-être conformes aux efforts, au travail et aux sacrifices du peuple catalan.
« Un Etat catalan sera un Etat riche dans le contexte européen et international. Par conséquent, il devra contribuer au progrès des autres peuples et nations de la planète. La solidarité est une valeur bien enracinée dans notre façon de voir le monde et elle continuera à l’être, mais maintenant à partir d’une volonté libre et souveraine.
« Sur la base de ces considérations, nous croyons qu’il est nécessaire de convoquer une "Conférence nationale pour l’Etat catalan", si elle l’approuve, engagera le processus constituant d’une Assemblée nationale catalane, comprise comme l’organe unitaire de la société civile pour atteindre la majorité sociale favorable à la constitution de la Catalogne en tant qu’Etat indépendant, dans des conditions d’égalité avec les autres Etats européens.
L’Assemblée nationale catalane devrait travailler à :
• Construire une majorité sociale favorable à la constitution d’un Etat catalan.
• Jeter les bases de la construction d’un Etat catalan démocratique, moderne, solidaire, juste et participatif.
• Gagner le soutien international à la constitution de ce nouvel Etat.
• Maintenir un engagement sincère de solidarité avec le reste des peuples et des nations.
« Nous lançons donc un appel aux citoyens de Catalogne pour participer à la Conférence nationale pour l’Etat catalan, qui se tiendra le 30 avril à Barcelone. Nous demandons également aux entités et organisations de la société civile et aux partis politiques de diffuser et d’encourager leurs sympathisants et militants à y participer. Nous sommes fermement convaincus que, par la volonté du peuple catalan uni, nous atteindrons les niveaux plus élevés de liberté et de prospérité pour notre nation. »
Omnium Cultural
« C’est le 11 juillet 1961, au cours de la longue nuit de la dictature franquiste, que cinq entrepreneurs courageux et engagés pour le pays ont signé l’acte de constitution d’Omnium Cultural. Lluís Carulla i Canals, Joan B. Cendrós i Carbonell, Fèlix Millet i Maristany, Pau Riera i Sala, et Joan Vallvé i Creus ont créé l’organisation à un moment historique marqué par la censure et la persécution de la culture catalane. Conscients que la préserver était une nécessité nationale, les cinq fondateurs d’Omnium, avec le soutien, les encouragements et les conseils d’autres personnes, comme Joan Triadú i Font, ont fait de l’organisation un outil fondamental de résistance nationale et de survie des institutions culturelles catalanes.
« Depuis lors, Omnium, principale organisation civique et culturelle du pays, a été le point de référence de la société civile catalane avec une présence partout dans le Principat [c’est-à-dire la Catalogne sud dans ses frontières actuelles au sein de l’Etat espagnol]. Les mobilisations successives en faveur d’un pays plus juste et plus libre, avec la Déclaration de Santa Coloma comme coup d’envoi et des moments de pointe, telles la manifestation du 10 juillet 2010 [« Nous sommes une nation. Nous décidons »] et les Diades des 11 septembre 2012, 2013, 2014 et 2015.
« Plus de 55 ans plus tard et avec près de 60 000 adhérents et adhérentes, Omnium continue de travailler intensément pour la cohésion sociale d’un pays construit à partir de toutes ces luttes partagées qui nous façonnent en tant que peuple.
« Le fonds historique de l’organisation est déposé aux Archives nationales de Catalogne, où vous pouvez consulter les premiers examens de formation des enseignants de catalan dans la clandestinité, les écrits, affiches ou informations des conseils d’administration. »
Extraits de la Déclaration de Santa Coloma (29 octobre 2012) :
« Nous avons fait ensemble un long chemin depuis que, en 1961, cinq entrepreneurs ont fondé Omnium Cultural, la même année où naissaient notre association, Cavall Fort, Edigsa i Edicions 62 et où fut célébré le premier récital des Seize Juges. 1961 marqua, d’une certaine manière, le début de la résurgence catalane, après une très longue période d’après-guerre et de déception que la fin de la Seconde Guerre mondiale n’ait entraîné aucun changement de la dictature qui menait une tentative de génocide culturel dans notre pays. Nous avons repris le flambeau des exilés dans la lutte pour notre survie. C’est pourquoi nous serons toujours les débiteurs de la génération qui a repris le combat pour la culture et la langue catalanes dans des conditions âpres, dévastatrices et des plus difficiles. Sans son travail et les espoir qu’elle y a placés, aujourd’hui, tout simplement, nous ne serions pas ici (…)
Avec toute la solennité du moment, avec l’émotion que nous procure le chemin que nous avons parcouru ensemble, avec l’espoir que nous franchirons la nouvelle étape qui nous manque, sereinement, joyeusement, à Omnium Cultural nous allons travailler dur pour ce projet enthousiasmant. Nous appelons toutes les organisations et tous les citoyens à nous accompagner dans cette aspiration, à s’impliquer et participer à la réalisation de ce grand objectif qui est de vivre sans tutelle ni contrainte. Parce que nous voulons simplement pouvoir respirer dignement et vivre librement, comme n’importe quel autre peuple d’Europe. Vive la Catalogne libre ! »
Pierre Granet