La victoire de Syriza est un évènement extrêmement positif. Elle va permettre de desserrer l’étau de l’austérité qui a provoqué une chute du niveau de vie de la population grecque sans guère d’exemple en-dehors de périodes de guerre. Au niveau européen, elle constitue une défaite pour les gouvernements de droite et de gauche qui ne cessent de répéter qu’il n’y a pas d’alternative à l’austérité et à la destruction des acquis sociaux. Au-delà, l’Histoire reste à écrire.
Pour comprendre ce qui est train de se jouer en Grèce, outre la crise lancinante des économies européennes, il faut prendre en compte deux paramètres : la nature de Syriza et les circonstances de son arrivée au pouvoir. Syriza est une construction composite. Jusqu’à une date récente, plus une confédération de courants qu’un parti. En effet, autour de composantes issues du communisme grec et en rupture avec le sectarisme du KKE (PC grec), se sont agglomérées diverses organisations venues de l’extrême gauche.
Réformisme et social-libéralisme
Le centre de gravité de Syriza est le réformisme mais il existe une habitude erronée d’utiliser le terme « réformiste » pour désigner aussi bien les PS français, espagnol, portugais, etc. Le PS de Hollande est bien issu du réformisme mais n’est plus réformiste : ses réformes sont en fait des « contre-réformes » qui démantèlent les droits sociaux. Le PS est devenu social-libéral. Syriza a un programme qui va dans le sens de la satisfaction des aspirations populaires, même s’il a été édulcoré par la direction Tsipras dans la période récente.
Le deuxième paramètre de la situation est constitué par les circonstances de l’arrivée au pouvoir. Les exemples français, tant en 1936 que 1981, montrent que ce qui est décisif, c’est la mobilisation de « ceux d’en bas ». En 1936, la mobilisation ouvrière s’est déclenchée de façon largement spontanée. Dans les années 1970, après la signature du programme commun de la gauche, les directions syndicales n’ont plus eu comme perspective que de canaliser la combativité vers les élections et ensuite vers le soutien au gouvernement. Le futur du gouvernement Syriza dépendra donc de la mobilisation populaire. Mais celle-ci reste largement à construire pour des raisons complexes : limites du syndicalisme grec, manque d’enracinement militant de larges secteurs de Syriza, sectarisme du KKE dont la direction souhaite au fond que rien ne change pour préserver son pré-carré bureaucratique, et aussi poids de la crise et de la misère qui pousse de larges secteurs populaires à reporter leurs espoirs sur un parti ou un homme providentiels.
Le facteur décisif : la mobilisation
De plus, Syriza arrive au gouvernement dans le contexte de la crise d’un capitalisme internationalisé et financiarisé et dans un pays enserré dans l’Union européenne. Pour faire des réformes, il faut donc plus de radicalité que ce n’était le cas à l’époque antérieure. Cela peut tendre à favoriser les courants prétendument « raisonnables » qui poussent à édulcorer encore plus le programme de Syriza et à risquer d’embourber le gouvernement grec dans des négociations sans fin avec l’Union européenne. L’alliance avec le parti souverainiste ANEL ne sera pas non plus sans incidence Dans l’immédiat, les premières mesures sociales du gouvernement Tsipras vont dans le sens d’une remise en cause des reculs imposés par les gouvernements du PASOK (socialiste) et de la droite sous la férule de la Troïka.
En conclusion, l’Histoire n’est pas encore écrite : tout dépendra du mouvement populaire et aussi de la capacité d’initiative des courants de gauche, révolutionnaires ou radicaux, dans et hors de Syriza. Pour ce qui nous concerne, aider les Grecs passe par la lutte pour nos propres revendications. S’il y avait un vrai mouvement contre la loi Macron, Hollande mettrait moins d’énergie à faire pression sur Syriza (il a souligné immédiatement au nouveau gouvernement grec que les « engagements » devaient être respectés). Mais une action de solidarité plus directe sera aussi nécessaire : il faut lutter contre la propagande anti-grecque ; il faut dénoncer les pressions de l’Union européenne ; la France est des créanciers de la Grèce, elle doit renoncer à cette dette. Quelle que soit notre analyse des limites de Syriza, nous devons nous garder d’une posture passive, celle du commentateur qui dira ensuite « on vous l’avait bien dit », car une défaite du peuple grec serait aussi notre propre défaite.
Henri Wilno