Le 24 février 2021, le parquet de Milan a rendu public le résultat de l’enquête menée avec la Guardia di Finanza (Garde des finances, police douanière et financière italienne) : amendes pour un montant de 733 millions d’euros et obligation de mettre en place 60 000 contrats de travail parasubordonné1 pour les riders (cyclistes-livreurs). Cette décision secoue le capitalisme digital et marque une victoire importante pour le réseau national RidersXIDiritti (RidersXLesDroits) qui, depuis plusieurs années, lutte contre les nouvelles formes d’exploitation des géants du food-delivery.
Une plateforme est une infrastructure numérique qui met en relation au moins deux groupes d’individus2. Contrairement aux prétentions de neutralité et de coopération sociale, les plateformes digitales sont un moyen redoutable de captation et d’extraction de la valeur. Renforcées par le contexte de la crise sanitaire, les plateformes de food-delivery comme Deliveroo, Uber Eats, Glovo et Just Eat ont vécu une croissance exponentielle. Il s’agit d’un type de plateforme allégée (lean) qui ne possède pas les actifs desquels ils tirent leurs bénéfices et qui fournit donc avant tout un système d’intermédiation entre des prestataires qui travaillent à la demande et des clientEs qui passent les commandes.
Le développement de ce modèle est lié aux processus de dérégulation et de financiarisation des activités économiques du secteur numérique, à la baisse des coûts de transaction mais aussi et, avant tout, à l’exploitation du travail. Les travailleurEs mettent à disposition leurs propres moyens de transport et sont rémunérés à la tâche à partir de métriques de performance (le ranking). Ils sont en outre privés des protections et des droits sociaux et doivent prendre en charge les éventuels dommages associés au travail de livraison des repas (accidents de la route, risques pour la santé dus à la pollution de l’air et à la crise sanitaire…).
Organiser les inorganisables
La décision du parquet italien confirme ce que les travailleurEs des plateformes dénoncent depuis cinq ans : le travail pour les géants du food-delivery n’est rien d’autre qu’une forme d’esclavage et de caporalisme digital. « Aux hésitations et à l’incapacité de la politique, à ceux qui voudraient continuer à nous exploiter sans revenus, sans droits et sans protections sociales, nous répondons avec la lutte et la détermination » déclarent les riders de la Riders Union Bologna. Des syndicats autonomes sont nés dans les différentes villes italiennes (Rome, Bologne, Naples…) et ont commencé à mutualiser leurs expériences, à échanger sur les conditions de travail et à organiser la grève. Ils et elles se sont en outre structurés pour garantir des masques et du gel aux riders et pour promouvoir des opérations de screening. Les nouvelles « Unions » se coordonnent et agissent avec l’appui de la NIdil CGIL, la structure syndicale née en 1998 pour représenter les travailleurEs atypiques. L’objectif est d’obtenir un contrat collectif qui garantit les protections fondamentales.
Le 25 février, une centaine de travailleurEs issus des différentes organisations locales ont participé à une assemblée nationale sur Zoom et décidé d’organiser une journée de grève nationale le 26 mars. La grève, précisent-ils et elles, reste le principal moyen de lutte car elle implique un arrêt de l’activité économique. Cela demande une organisation particulière car les riders italiens ont besoin de sensibiliser les clientEs pour que, le jour J, ils et elles arrêtent les commandes via les plateformes en empêchant les patrons du digital de continuer leur activité.
Algorithme et lutte des classes
La pandémie semble avoir fonctionné comme un accélérateur dans la prise de conscience : alors que les riders sont désormais considérés comme des travailleurEs essentiels, ils et elles voient leurs tarifs baisser, ils et elles sont ostracisés pour leur engagement syndical et subissent un système de concurrence et de maltraitance inadmissible. « Nous attendons parfois des heures devant le MacDonald, déclare un rider expérimenté de Naples, tandis que les nouveaux entrants reçoivent la quasi-totalité des commandes ». Le système d’attribution des points ne prend pas en compte les conditions du trafic et les obstacles rencontrés par les travailleurEs : « Puisque les tarifs baissent et les kilomètres augmentent, nous travaillons presque gratuitement ». Pour les riders des villes du Sud, le travail sur plateforme constitue très souvent l’activité principale. Les livreurEs mobilisés sont en lien avec les collectifs des migrantEs pour lesquels l’absence d’un contrat est un obstacle majeur à l’obtention du permis de séjour.
Mais le vent tourne, les invisibles occupent le devant de la scène médiatique et politique et se mettent en mouvement pour réclamer leurs droits. Ils constituent une force collective inattendue qui pourrait ouvrir la voie pour un renouveau du mouvement ouvrier.
Les représentants de Riders Union Bologna ont clôturé l’assemblée du 25 février dans l’enthousiasme général : de par leurs conditions de précarisation et de flexibilisation, « les riders sont un symbole du monde du travail contemporain ». Leur force réside dans leur capacité à unifier et à représenter touTEs les travailleurEs. C’est le chemin que le mouvement RiderXIDiritti souhaite emprunter en travaillant à la construction de convergences avec d’autres secteurs touchés par la crise et avec d’autres statuts de travailleurEs précaires.