Publié le Vendredi 20 septembre 2024 à 19h00.

« On a deux ans devant nous pour expliquer au monde entier les crimes de l’agent orange »

Entretien. Tran To Nga, qui mène un long combat pour que soit reconnue la responsabilité de 14 industriels de l’agrochimie dans l’épandage du défoliant connu sous le nom d’agent orange et qui a fait 3 à 5 millions de morts en Asie du Sud-Est, était présente à la fête de l’Humanité, les 13-14-15 septembre. 

Tu mènes ce combat de sensibilisation depuis plusieurs années. En 2014, tu as intenté un procès et tu as commencé les démarches juridiques. Comment as-tu conçu ton combat depuis toutes ces années ? 

En vérité, j’ai commencé en 2009. Après, il y a eu beaucoup de problèmes de décisions du gouvernement français. Et au Vietnam aussi. C’est pour ça que j’ai commencé à envoyer l’assignation à 26 firmes. Ils n’ont répondu qu’un an après. C’est pour cette raison que la première audience était seulement en 2014. Les parties américaines — la partie adverse — ont demandé d’annuler ce procès. Cela s’est passé ainsi pendant les 19 audiences jusqu’à ce qu’une des firmes propose une négociation pour arrêter. On a dit non. Et c’est ainsi qu’après la 19e audience de mise en état, on est arrivés à l’audience de plaidoirie le 15 janvier 2021. Et le 11 mai 2021, le tribunal de grande instance d’Évry a décidé que ma plainte était irrecevable. Pendant ces presque sept ans, on a continué la bataille. Je suis devenue de plus en plus forte. Je suis entourée de plus en plus. Je suis soutenue de plus en plus. Et la frontière de ce combat s’est élargie. On a été reconnu aussi en Suisse, même aux Amériques. Et ce qui est très bien, c’est qu’au fur et à mesure des années, il y a le collectif Vietnam Dioxine qui s’est regroupé. Et c’est comme ça que s’est formée « ma jeune armée ». Je suis devenue encore plus forte. 

Le 22 août 2024, la cour d’appel de Paris, encore une fois, m’a débouté. Pire, le tribunal m’oblige à payer une amende à la partie adverse. Et cette injustice, encore une fois, a soulevé la colère publique. Donc déboutée, mais ça m’a renforcée encore. Je suis devenue plus forte avec toutes celles et ceux qui ­m’entourent, avec « ma jeune armée ». 

La décision de la cour d’appel de Paris du 22 août 2024 qui juge ta demande irrecevable, comment l’interprètes-tu ? 

Je crois que c’est une décision irraisonnable, injuste. Et puis irrespectueuse aussi. Selon la loi, le tribunal ne devrait pas profiter de l’immunité judiciaire. Mais la cour de Paris, comme le tribunal d’Évry, se sont aussi refugiés derrière une loi très ancienne, vieille de 50, 60 ans. 

J’avais espéré quand même que les juges de la Cour seraient plus justes. Je m’attendais à un autre verdict. William Bourdon, mon avocat, a dit que mon procès est un procès unique, historique, mais politique aussi. Et quand la politique joue dans notre combat, on peut s’attendre à tout. La Cour de Paris, qui devrait être du côté de la justice, a donné un verdict injuste. Mais je ne me sens pas découragée, parce que j’ai vu qu’après ce verdict, je suis encore bien soutenue. Le comité de soutien aussi, a pris une bonne décision, celle d’avancer, même si on a un espoir de 1 % de chance pour gagner, on y va. Et je pense que notre devoir maintenant, ce n’est pas d’attendre le verdict en cassation. On pourrait avoir une justice, on pourrait avoir encore une injustice, ce n’est pas grave. On a encore deux ans devant nous pour parler, pour expliquer au monde entier les crimes de l’agent orange. Et il y a autre chose : notre combat est la base — je le pense avec modestie — c’est la base des autres batailles, des autres combats pour l’environnement, contre les projets écocides, contre le chlordécone. C’est pour ça que j’ai toujours dit : on est à côté de vous, on est avec vous. Je suis de tout cœur avec eux. Je suis à côté, mais je ne rentre pas dans leur combat parce que j’ai un combat. Mais c’est ce combat qui renforce les autres dans leur combat. 

Comment est-ce que tu envisages la poursuite du combat ? Comment te sens-tu pour la suite des ­événements ?

Je me fais un peu de souci parce que William me dit qu’il est déçu. C’est normal qu’il le soit. Après il a dit qu’il va se battre jusqu’à son dernier souffle. Mais c’est la décision du comité et tout le travail du collectif, des jeunes qui sont formidables. Ils ont bien travaillé. Je me sens toute confiante, moi. Je suis aussi déterminée malgré mon âge [83 ans]. Je ne suis pas triste du tout. Il faut aussi reconnaître que pendant les trois journées de la fête de l’Huma, nous avons fait un beau, très beau travail, des belles rencontres. Et ça aussi, c’est grâce aux jeunes des collectifs, Je leur suis très reconnaissante. Je prépare une rencontre avec les jeunes. Je les aime beaucoup. Je serai très heureuse qu’ils viennent ici dans mon petit appartement comme avant. C’est comme ça qu’on se rend notre gratitude et qu’on se donne encore du courage, de la détermination pour avancer. C’est juste que moi, je peux partir d’un moment à l’autre. Je ne suis pas pessimiste. Il faut regarder en face la vérité. Je crois que même si je disparais, les jeunes continueront notre bataille. Notre bataille, ce n’est pas d’attendre le verdict en cassation. Le jugement peut être cassé, le dossier peut retourner à Évry pour la forme, etc. Pour moi, ce n’est plus grave. Le plus important, c’est de crier haut et fort comme on l’a fait pour que le monde refuse les guerres, pour renforcer aussi le combat. C’est notre mission, notre devoir devant l’humanité, je pense. 

Est-ce que tu peux nous rappeler ta devise ? 

Ma devise, c’est : patience, courage, espoir quand même. Et après, c’est détermination. 

Propos recueillis par Amel

 

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