Par Antonis Ntavanellos. (18 février 2015, traduction A l’Encontre, en collaboration avec Anna Christopoulou; Antonis Ntavanellos est membre de l’exécutif de SYRIZA et de la direction de DEA)
Il est bien connu que les gens, avec leur action de masse depuis en bas, écrivent l’histoire. Bien que dans des conditions qui ne sont pas celles de leur choix.
Le résultat hérité des luttes de la période précédente, c’est-à-dire les rapports de forces entre les principales forces sociales, le niveau de politisation, le niveau d’organisation sociale et politique dont disposent les travailleurs et les forces populaires, représente des facteurs qui «pèsent» sur les développements politiques.
Le résultat électoral du 25 janvier 2015 plonge ses racines dans la grande explosion de résistance sociale contre la politique des «mémorandums» au cours des années 2010-2012: les grandes grèves générales, les manifestations massives de centaines de milliers de gens, le «mouvement des places», les grèves sectorielles successives ont secoué la quasi-totalité des travailleurs et travailleuses.
Pour la gauche – et en particulier pour son aile effectivement communiste – le scénario optimal serait que ces luttes aboutissent directement à la victoire, parvenant à renverser le pacte de la classe dirigeante locale avec les «créanciers» internationaux. Or, cela n’a pas été le cas. Le monde du travail fut confronté à la puissance brutale de l’Etat et à l’intransigeance de ceux «d’en haut» qui déclaraient que seul un soulèvement victorieux les forcerait à se retirer de la ligne qu’ils avaient tracée pour faire face à la crise.
La solution électorale
C’était la base d’un «tournant» vers une «issue électorale» qui a succédé à la période de l’agression populaire centrée autour de la place Syntagma. Ce fut un «tournant» durable parce qu’il impliquait des luttes déterminées (ERT, nettoyeuses, travailleurs mis en disponibilité…), mais se menant à une plus petite échelle que celles de la période précédente. C’était un «tournant» qui a poussé à s’orienter vers la gauche au plan politique, parce que les gens ont continué à rejeter fermement la soumission aux mémorandums (contrairement à ce qui s’est passé par exemple dans d’autres pays européens…) et à placer tous leurs espoirs dans une victoire politique de la gauche (SYRIZA) qui les soulagerait du cauchemar de l’austérité, cela au moyen de la «solution facile» des urnes.
C’est dans cette période-là que la victoire de SYRIZA trouve ses fondements. Une victoire qui, avant d’être électorale, fut politique et idéologique au sein de la gauche. L’interprétation en est simple. SYRIZA avait un profil unitaire (l’appel à «l’unité d’action de toute la gauche»), une perception transitoire dans son programme (par opposition aux «projets» déclamatoires, sur le papier, avancés par d’autres) et la réponse clé à la question du pouvoir politique: un gouvernement de la gauche. Ces «armes», ainsi que la décision du congrès de condamner la stratégie du centre gauche, ont fait passer SYRIZA [en 5 ans] de 4% à 36%…
Mais, malgré tout, ce que SYRIZA a gagné ce sont des… élections. Le recul du mouvement social au cours de deux années (2013-2014) a pesé sur les possibilités de mobiliser les gens. Cela rend les responsabilités de la direction de SYRIZA ainsi que celles de la totalité des membres de SYRIZA tout à fait déterminantes pour la poursuite des développements.
Le lendemain des élections, la direction de SYRIZA a dû entrer dans la négociation avec les bailleurs de fonds. Il est normal de chercher quelque compromis: une manière pour se redresser et pour prendre un peu de temps pour respirer. Les gens l’ont compris et sont descendus dans la rue avec une double intention. Premièrement, soutenir le gouvernement dans le conflit avec les créanciers. Deuxièmement (et ce n’est que les aveugles qui n’ont pas pu le voir), exiger une position déterminée, illustrée par le slogan «Pas un pas en arrière!» (Qui, à propos, a été lancé par les membres de SYRIZA…).
Et à juste titre. Car il y a un compromis qui pourrait être considéré comme honnête s’il permet à SYRIZA d’étaler son programme anti-austérité. Mais il y a des compromis qui équivalent à un suicide politique. Si, par exemple, les mémorandums sont renommés tout simplement en «Programme» et que la troïka se rebaptise sous le nom d’un autre mécanisme de surveillance.
Au moment des élections, la direction de SYRIZA, par la bouche de ses principaux responsables, avait promis que les engagements de Thessalonique (Foire internationale du 14 septembre 2014) seraient appliqués immédiatement et indépendamment de la volonté des créanciers. On signalait, en effet, que ses engagements relevaient de ce que «nous pouvons» directement et non de tout ce que «nous voulons». Indiquant de la sorte – à juste titre – l’intention de procéder, dès que possible, à «ce que nous voulons». Aujourd’hui, le noyau de «l’unilatéralisme de classe» du programme de Thessalonique se voit reporté au moins de 10 à 12 mois. On présente comme une priorité d’aborder la «crise humanitaire».
Je vous rappelle que cette idée de «crise humanitaire» renvoie à la conception selon laquelle la société a besoin d’un «filet de sécurité» pour les gens qui plongent dans la pauvreté absolue et la misère. C’est un concept social-démocrate et même propre à la période sociale-libérale (y compris la Banque mondiale).
Par contre, la Gauche communiste a toujours mis l’accent sur l’emploi et les droits sociaux qui les empêchent de tomber dans la pauvreté et la misère. SYRIZA se doit de donner directement et vite la priorité aux salaires, aux allocations de retraite, aux dépenses pour l’éducation et les hôpitaux publics, pour le système d’assurances sociales… brisant ainsi, vraiment, le filet d’austérité qu’ont établi les mémorandums.
Directement liée au programme est la question des alliances politiques que le nouveau gouvernement tente d’exprimer. L’alliance du gouvernement avec les «ANEL» (Grecs Indépendants) était un choix unilatéral de la direction (Tsipras), face auquel nous avons exprimé notre opposition. Pourtant un problème majeur a déjà surgi: l’existence d’un pôle social-démocrate au sein du gouvernement, ayant un poids crucial dans le domaine de l’économie et les banques. Au moment où ces lignes sont écrites, nous ne connaissons pas le choix pour le président de la République (voir à ce propos l’article publié aujourd’hui sur ce site et celui en date du 19 février). Si les scénarios de «cohabitation» se confirment, alors nous aurons dans le pouvoir gouvernemental un «front», une version d’un gouvernement d’unité nationale, duquel ne seront absentes que la droite de Samaras et Aube dorée. Ce résultat est un nouveau projet politique, différent du «gouvernement de gauche» (et même de la gauche radicale) établi par la conférence de SYRIZA (en juillet 2013).
Les perspectives
Est-ce le bout du chemin? La réponse est claire: Non. Les contradictions dans la tentative de réconciliation avec les créanciers sont énormes. L’apparition du monde du travail sur l’avant-scène – avec ses exigences, ses espoirs et ses attentes accumulés face à la barbarie du mémorandum – est le facteur qui peut tout changer dans une direction positive. Et le facteur «parti SYRIZA» ne devrait pas être sous-estimé par qui que ce soit. Un réseau national d’activistes et de militants politiques, qui pendant les années précédentes a été «nourri» par la résistance ouvrière et populaire, doit, dans les nouvelles conditions, trouver son chemin et l’ouvrir, aussi pour les autres. Il le fera en insistant sur les objectifs du renversement de l’austérité et d’une orientation de transition propre à la politique de la gauche radicale.