Publié par Contretemps.eu . Pour la Grèce, seul un vote « non » dimanche peut rendre possible une alternative anti-austérité durable. Nous publions ici l’analyse de Panagiotis Sotiris, intialement parue en anglais sur le site états-unien Jacobin.
Panagiotis Sotiris est membre de la direction d’Antarsya, coalition de la gauche révolutionnaire grecque, et enseigne à l’Université de l’Égée.
Le référendum qui doit avoir lieu dimanche en Grèce ne constitue pas un débat politique. Il s’agit d’une bataille dans la guerre en cours entre, d’un côté, la société grecque et, de l’autre, l’Union européenne (UE) et le Fonds monétaire international (FMI), qui tentent de faire de la Grèce l’expérience récente la plus brutale de transformation sociale néolibérale.
Carl Schmitt a écrit que les seules catégories existentialistes sont celles de l’ami et de l’ennemi. C’est précisément cela qui peut expliquer la tactique de l’UE, en particulier de l’Allemagne, au cours de la crise grecque. Il n’y a jamais eu de négociation. Depuis le commencement nous faisons face à une guerre existentielle, au sens schmittien, durant laquelle il ne s’agit pas de trouver un terrain d’entente ou un compromis mais bien la capitulation pleine et entière de l’ennemi.
Cela permet de rendre compte du refus de négocier véritablement avec la partie grecque, malgré les douloureuses concessions faites par cette dernière et son acceptation de l’austérité. C’est la raison pour laquelle il y a toujours eu de nouveaux termes et de nouvelles exigences émergeant durant les négociations. C’est aussi pourquoi toute discussion relative à la réduction du fardeau de la dette a été refusée, précisément parce que la dette a constitué l’instrument le plus commode pour ce chantage ouvert et cynique imposé à une société tout entière.
La décision du gouvernement grec d’organiser un référendum a marqué un acte de rupture avec l’UE. Nous devrions nous souvenir que celle-ci est allergique aux référendums depuis l’expérience traumatisante de 2005, et se montre généralement hostile à tout exercice de la souveraineté populaire susceptible de compromettre ses politiques néolibérales. En outre, nous sommes ici face à un référendum ne portant pas sur une politique qui doit encore être mise en œuvre mais sur une politique qui l’est déjà – du moins pour ce qui concerne le cœur de cette arme disciplinaire que constitue la gouvernance économique européenne. Rejeter les propositions des créanciers équivaut ainsi à rejeter l’essence de la forme contemporaine de l’intégration européenne.
En conséquence, pour l’UE et en particulier pour l’Allemagne, la décision même d’organiser un référendum a signifié la fin des négociations. D’une certaine manière, la tactique allemande est simple : aller jusqu’au bout du référendum. Si le vote « oui » l’emporte, le nouveau plan d’austérité sera encore plus brutal. Si les Grecs votent majoritairement « non », il faudra alors se préparer à la sortie de la Grèce de la zone euro (« Grexit »).
En ce sens, l’idée du Premier ministre grec Alexis Tsípras selon laquelle un nouveau cycle de négociations succèdera à un vote « non » massif, n’a aucun fondement. Même si l’UE et le FMI veulent encore un accord humiliant et non une sortie de l’euro forcée et punitive, ils profiteront sans doute de la situation actuelle – banques privées de liquidités, contrôle des capitaux, effondrement du marché, pénurie d’argent liquide, et probablement pénurie de biens fondamentaux – et la prolongeront afin d’imposer la politique de dévastation sociale dans sa version complète.
L’idée d’un référendum était correcte, et elle a libéré des forces sociales et un potentiel que nous n’avions pas vu à l’œuvre dans les derniers mois. Pour la première fois, on peut voir la Gauche – à l’exception du Parti communiste, qui demeure englué dans son gauchisme paranoïaque – mener réellement une bataille. Mais le référendum n’est pas une négociation ; c’est le début de la rupture.
Malheureusement, Syriza ne s’y est pas préparé. Le fait que de nombreux poids lourds tels que Yannis Dragasakis, Giorgios Stathakis, Dimitrios Papadimoulis, et d’autres encore, aient appelé ouvertement à l’acceptation d’un accord quel qu’il soit, au mépris de l’insistance de Tsípras sur la nécessité préalable d’un vote « non », constitue un exemple des limites de Syriza. Tsípras a montré du courage et de la détermination, refusant de capituler et mettant tout son poids en faveur du Non. Néanmoins, il continue de présenter le vote « non » comme une négociation tactique, faisant des propositions jusqu’à la dernière minute, et non comme le début d’une confrontation plus large.
Dans le même temps, on constate déjà une polarisation massive de la société grecque. La campagne pour le Oui combine une mobilisation de strates bourgeoises et intermédiaires (un grand nombre d’associations professionnelles appellent au Oui), et le déploiement de toutes les formes de la guerre idéologique. Les médias privés sont autant de machines de propagande pour le vote « oui », et les entreprises grecques menacent ouvertement leurs salarié•e•s de licenciements massifs si le vote « non » l’emporte, utilisant le refus de payer les salaires comme moyen de rendre la menace crédible.
La peur est en train de devenir le facteur déterminant. Dans le même temps, on remarque des signes de radicalisation dans le camp du Non, certaines personnes devenant prêtes, plus que jamais, à accepter le coût total de la rupture si cela ouvre la perspective d’une fin de l’austérité.
Le problème principal reste que l’essentiel nous fait cruellement défaut : un récit cohérent en faveur d’une rupture qui s’avère en réalité inévitable. Un récit sincère qui parlera des difficultés initiales et des bénéfices à long-terme du Grexit, pourvu que la sortie s’opère souverainement, et le besoin d’un paradigme de développement différent. Un récit militant qui pourrait aussi en appeler au peuple pour soutenir cette stratégie d’une manière énergique, endosser l’épreuve initiale et combattre la peur. Syriza est encore récitent à se confronter à ce défi, et la gauche radicale se montre de son côté déficiente face au besoin de passer des slogans aux programmes.
Un vote « oui » ne signifierait pas seulement que le gouvernement grec aurait à signer un accord humiliant. Il conduirait aussi à un processus plus large de réalignement de la scène politique, incluant une énorme pression sur Syriza – y compris exercée de l’intérieur – en faveur d’un tournant à droite. Un tel vote serait surtout utilisé pour modifier le rapport de forces en faveur du capital et pour renverser préventivement les moindres aspirations émanant des classes subalternes.
Une victoire massive du Non constitue la seule solution, la seule possibilité de déclencher une dynamique et de mettre fin au pilote automatique de l’austérité et de la dévastation sociale. Mais ce ne sera pas suffisant. Il est plus urgent que jamais pour la Gauche qu’elle prenne au sérieux les défis évoqués plus haut.
Le défi ne consiste pas à obtenir quelques bouffées de dignité, quelques moments de victoire et un bref intervalle de souveraineté populaire, avant la défaite et la capitulation. Il s’agit de prouver que peut véritablement émerger une alternative durable.
Panagiotis Sotiris, Traduit par Ugo Palheta