Article publié le 19 décembre 2012 par socialistworker.org
Traduit de l’anglais par Jean-Philippe Divès
La Coalition de la gauche radicale, connue sous le nom de Syriza, a créé un choc en Grèce et à l’échelle internationale quand, au printemps dernier, elle est à deux reprises passée à quelques points d’une victoire dans les élections nationales. Syriza proposait une alternative à l’austérité drastique défendue par l’establishment de la politique et de l’économie grecques avec, derrière lui, les dirigeants européens.
Au début du mois, Syriza a tenu une conférence de délégués élus, premier pas d’un processus visant à constituer une organisation plus unifiée. La coalition est actuellement composée d’une douzaine d’organisations de gauche, allant du socialisme révolutionnaire au réformisme radical, ainsi que de nombreux individus qui n’en sont pas membres et ont rejoint Syriza surtout depuis les élections. L’organisation la plus importante est Synaspismos, qui compose l’essentiel de la direction actuelle de Syriza et compte dans ses rangs Alexis Tsipras, qui préside le groupe des 71 députés de Syriza.
Panos Petrou est un membre dirigeant de l’organisation anticapitaliste Gauche internationaliste des travailleurs (DEA), l’un des groupes fondateurs de Syriza en 2004. Il rapporte ici sur ce qui s’est passé dans la conférence et sur le débat politique qui se mène au sujet de l’avenir et du cours politique de Syriza.
Syriza a tenu sa première conférence nationale de délégués élus du 30 novembre au 2 décembre 2012. C’était le premier pas d’un processus de plusieurs mois devant conduire à un congrès de fondation dont on espère qu’il décidera, au printemps 2013, de transformer Syriza en une formation politique plus unifiée.
Vers la conférence
Syriza a préparé sa conférence nationale avec une campagne d’assemblées locales qui ont constitué de nouvelles sections dans les localités comme sur les lieux de travail, recruté de nouveaux membres et organisé la discussion politique. Syriza compte aujourd’hui près de 500 sections et plus de 30 000 membres dans tout le pays.
Ces membres ont élu 3 000 délégués à la conférence nationale, qui à leur tour ont élu une nouvelle direction de la coalition. L’aspect le plus positif de la conférence a donc été ces très importants pas en avant dans la transformation du Syriza en une organisation de masse, ainsi que dans la mise en place de droits démocratiques et d’une représentation pour les milliers de militants non organisés qui ont rejoint la coalition et constituent aujourd’hui la majorité des membres de Syriza.
La conférence et son processus d’organisation n’ont évidemment pas été parfaits. Il y a eu à la fois des faiblesses objectives, auxquelles il fallait s’attendre dans un processus visant à transformer une coalition relativement petite en une organisation de masse, et des questions politiques qui ont été problématiques.
Un exemple en a été la décision d’autoriser l’enregistrement de nouveaux membres avec droit de vote jusqu’au jour de l’élection des délégués. De nombreuses sections locales ont protesté, en défendant l’idée que pour pouvoir participer aux décisions, les membres de Syriza devraient être actifs.
Un autre exemple a été le projet de déclaration. La publication d’un document politique afin d’organiser la discussion dans les sections était très importante. Mais le projet n’a été publié que peu avant la conférence, de sorte que le temps a manqué pour le nécessaire débat de fond.
Le projet de déclaration et le débat politique sur l’avenir de Syriza
Le projet de déclaration était ce que son nom suggérait : un projet, devant servir à lancer le débat politique qui se poursuivra jusqu’au congrès de fondation de Syriza.
Ce projet, qui incluait toutes les opinions pouvant exister au sein de Syriza, était très vague et ambigu. Il fallait s’y attendre vu le niveau d’accord entre les différentes composantes de Syriza. Mais il y a quelques raisons importantes et urgentes de clarifier maintenant des problèmes spécifiques.
Un de ces problèmes est le caractère particulier de la période actuelle. Le gouvernement de coalition fait face à des problèmes sérieux et, si des élections étaient convoquées, Syriza pourrait être amenée à prendre la tête d’un gouvernement avant son congrès de fondation prévu au printemps.
D’autres questions urgentes sont celles auxquelles nous sommes confrontés du fait d’une situation extrêmement dure. Certaines sont des questions de vie ou de mort, pour Syriza comme pour la gauche dans son ensemble et pour la classe des travailleurs. Il nous faut donc être catégoriques dans certains choix cruciaux qui pourraient intervenir très vite.
Une troisième raison est la position prise récemment par certains membres dirigeants de Synaspismos. Au fur et à mesure que Syriza s’approche de la possibilité de gagner les élections et de former le gouvernement, les pressions afin d’ajuster les orientations de la coalition dans un sens plus « réaliste » augmentent.
Il y a eu de nombreux signes montrant que des éléments de la direction de Synaspismos veulent préparer un tel tournant. Ces dirigeants vont au-delà des ambiguïtés du projet de déclaration. Dans leurs apparitions publiques et leurs interviews, ils interprètent l’accord de base sur ce qui unit Syriza d’une façon qui modère ses orientations, ou même contredit cette même base d’unité.
C’est pour ces raisons que des forces au sein de Syriza ont décidé de rendre public le débat politique, dans le but de traiter de ces questions controversées et d’inviter les membres de Syriza à être attentifs à la nécessité de défendre la coalition face aux pressions potentielles afin de modérer ses orientations.
Avant la conférence, trois organisations de l’aile gauche de Syriza – la Gauche internationaliste des travailleurs (DEA), Kokkino (qui signifie « Rouge ») et le Groupe politique anticapitaliste (APO) – ont donc publié une déclaration commune soulignant les questions les plus importantes qui méritent d’être clarifiées.
Il y a eu d’autres contributions au débat. Ainsi, le « Courant de gauche » de Synaspismos, la plus importante tendance minoritaire au sein de Syriza, a publié deux amendements au projet de déclaration, en commun avec une tendance plus petite, le « Regroupement de gauche ». Le premier portait sur la question de l’unité de la gauche, déclarait explicitement que nos alliés sont à gauche et qu’il s’agit spécifiquement du Parti communiste et d’Antarsya. Le second, concernant la dette et la zone euro, proposait d’affirmer plus clairement le refus de Syriza de tout chantage de l’Union européenne destiné à maintenir l’austérité.
La conférence et les résultats du vote
La direction de Synaspismos a tenté d’empêcher la discussion politique, afin d’éviter un débat ouvert sur les questions controversées qui ont été mentionnées précédemment. Les divergences politiques dans la conférence se sont donc principalement exprimées lors de l’élection de la nouvelle direction de Syriza.
Il y a eu deux listes différentes de candidats, tout délégué pouvant choisir une de ces listes mais aussi voter pour un nombre limité de candidats de l’autre liste.
Les délégués représentant la majorité de Synaspismos, qui soutiennent la direction en place et Alexis Tsipras, se sont joints à des représentants d’autres composantes de Syriza, incluant l’Organisation communiste de Grèce (KOE, une organisation maoïste), la Gauche de renaissance communiste et écologique (AKOA, d’orientation eurocommuniste), les communistes libertaires du Groupe de la gauche radicale (Roza) ainsi que des groupes d’anciens membres du Pasok qui ont rejoint Syriza.
Ensemble, ces forces ont formé le « Bulletin unitaire ». Cette alliance défendait le projet de déclaration tel qu’il était, et en général l’idée que Syriza évoluait dans la bonne direction, sans qu’il y ait aujourd’hui aucun problème sérieux. Elle a remporté 75 % des voix.
Les tendances Courant de gauche et Regroupement de gauche ont pour leur part formé, avec DEA, Kokkino et APO, la « Plateforme de gauche » qui a obtenu 25 % des voix.
La Plateforme de gauche s’est formée sur la base d’un accord sur d’importantes questions posées dans les documents mentionnés précédemment. J’en résumerais les points principaux comme suit :
- Syriza doit maintenir son engagement en faveur d’un « gouvernement de gauche », avec des appels à une collaboration avec le Parti communiste et Antarsya ;
- Elle ne devrait accepter qu’un « gouvernement de gauche » et écarter tout soutien à une coalition gouvernementale qui inclurait des partis bourgeois ;
- La coalition doit continuer à défendre la fin immédiate du paiement de la dette et à refuser le moindre sacrifice pour sauver l’euro ;
- Syriza doit défendre la fin de l’austérité par tous les moyens nécessaires, et placer les besoins des travailleurs au-dessus des propositions « réalistes » destinées à satisfaire les besoins du capitalisme.
La formation de la Plateforme de gauche a été un événement important dans cette conférence. Elle a affirmé le droit à exprimer des points de vue différents au sein de Syriza et à les discuter ouvertement devant l’ensemble de ses membres, de ses alliés et de ses électeurs, à l’opposé des pressions afin de faire taire les critiques – un piège dans lequel sont tombés, pendant la conférence, de nombreux camarades animés de bonnes intentions.
La Plateforme de gauche a également envoyé le message selon lequel tout tournant vers le modérantisme ou tout renversement des orientations de Syriza rencontreraient une sérieuse résistance interne. Ce message était adressé à de nombreux et différents interlocuteurs : les membres dirigeants de Syriza qui veulent ajuster le programme de la coalition ; la classe dirigeante qui entend domestiquer Syriza ; et les camarades du Parti communiste et d’Antarsya, afin de leur montrer qu’il y a une opposition de gauche forte et visible face à toute tentative d’imprimer à Syriza un tournant à droite, une opposition qu’ils pourraient rendre plus forte en la rejoignant.
Un bilan de la conférence
Les 25 % obtenus par la Plateforme de gauche sont un point de départ très positif afin d’ouvrir à l’intérieur de Syriza un débat sérieux sur le cours politique de la coalition.
Pour apprécier correctement les résultats de la conférence, nous devons garder à l’esprit que les 75 % de voix du Bulletin unitaire ne constituent pas un bloc homogène. Si la Plateforme de gauche s’est efforcée d’exprimer le besoin d’une aile gauche visible, la majorité qui a voté différemment n’est pas pour autant entièrement membre de l’aile droite de la coalition.
Le Bulletin unitaire a intégré un spectre de forces très large, depuis les membres de Synaspismos les plus modérés, qui poussent à ajuster le programme de Syriza dans le sens du « réalisme », jusqu’à des camarades de gauche très radicaux qui ont probablement pensé que la meilleure façon de faire avancer Syriza était d’argumenter en faveur de leurs positions dans le cadre de la majorité, ou bien qui ont priorisé le besoin pour la coalition d’apparaître « unie ».
Il y a eu en outre, de la part d’éléments de la majorité, la démarche consistant à s’appuyer sur l’aspiration à l’unité des membres de base et sur l’ambiance généralement optimiste de cette première conférence, pour présenter la Plateforme de gauche comme des « diviseurs » qui veulent débattre sans raison. Cela a rendu le soutien à la Plateforme de gauche plus difficile pour de nombreux délégués, quel que soit le niveau de leur accord avec ses positions.
Une indication en a été donnée par le vote sur les amendements au projet de résolution présentés par le Courant de gauche et soutenus par la Plateforme de gauche. L’un et l’autre ont été battus, mais le nombre de voix qu’ils ont obtenu a montré que les idées de la Plateforme ne sont pas confinées à seulement 25 % de Syriza. L’amendement disant qu’un « gouvernement de gauche » et que l’unité devaient être recherchés avec des forces telles que le Parti communiste et Antarsya a reçu le soutien de près de 40 % des délégués. Celui sur la dette et la zone euro a frôlé la majorité à quelques voix près. Et cela, malgré l’ambiance de polarisation à l’égard des « diviseurs » de la Plateforme de gauche.
Ainsi, il est clair que ni la conférence dans son ensemble, ni les 75 % de délégués ayant soutenu le Bulletin unitaire n’ont donné mandat aux dirigeants de Synaspismos de faire évoluer Syriza dans un sens plus modéré. A l’inverse, la plupart des interventions des délégués tendaient vers la gauche.
Mais ceci ne retranche rien à l’importance des efforts de la Plateforme de gauche afin de mettre en évidence les grands problèmes qui vont se poser à nous et de les poser sur la place publique. L’avenir de Syriza reste toujours une question ouverte.
Et maintenant ?
L’émergence de la Plateforme de gauche et les efforts de ceux qui l’ont formée afin d’ouvrir le débat politique ont établi pour Syriza d’importants précédents. Cela a imposé quelques règles élémentaires pour le fonctionnement d’une coalition plus unifiée, en particulier le droit de critiquer la direction de Syriza autant que nécessaire, ainsi que d’exprimer et défendre les divergences politiques qui existent dans la coalition de façon publique et organisée, à travers des courants, blocs, listes de candidats, etc. La Plateforme de gauche a également affirmé l’existence d’un contrepoids organisé de gauche face à toute tentative de faire virer Syriza à droite.
Le débat sur les choix que Syriza a maintenant à faire doit continuer au niveau local parmi les membres de Syriza. Et, plus important, il doit être tranché par la lutte des classes et l’engagement des militants de Syriza en son sein. Comme cela a été démontré à de nombreuses reprises dans le passé, l’esprit vital du mouvement de résistance est notre principal allié dans le combat pour le cours politique de Syriza.
En même temps que ce facteur externe, les membres de Syriza qui soutiennent la Plateforme de gauche ont besoin d’une stratégie consciente et permanente. Dans la conférence, il est apparu clairement que les forces existent – et dépassent de loin ceux qui ont ouvertement soutenu la Plateforme de gauche – pour faire face à toute tentative de modérer le programme de Syriza et de pousser la coalition vers la droite.
L’une de nos tâches les plus importantes est d’organiser ces forces, de les engager dans les luttes sociales et de les coordonner en leur donnant une voix politique. Cela peut s’avérer la plus importante contribution afin de mettre un terme aux rêves des barons des médias qui voient Syriza capituler dans le futur devant le modérantisme.
Notre organisation, DEA, combat pour ces objectifs depuis maintenant des années, et continuera à le faire avec les camarades partageant notre contribution commune avec Kokkino et APO, avec ceux qui ont formé la Plateforme de gauche, et avec tous les camarades souhaitant lutter pour une véritable alternative ouvrière à la crise du capitalisme.
La route qui nous attend ne sera pas facile, mais il est clair que l’avenir de la gauche et de la lutte des classes en Grèce dépendra dans une très large mesure du cours que prendra Syriza. Personne ne devrait s’abstenir de la bataille qui se mène pour ce cours politique.