Par Eurisa Rukovci, publié par internationalviewpoint.org. Depuis deux semaines maintenant des centaines de citoyens du Kosovose rassemblent pour défendre une plus grande autonomie pour l’Université de Pristina. Rassemblés sous le slogan « Pour l’Université », ils se sont alliés pour défendre les réformes proposées par le Recteur pour améliorer la qualité de l’enseignement supérieur. Hier, le renvoi du Recteur par le Conseil de Direction de l’Université a suscité l’outrage parmi ses supporters du mouvement « Pour l’Université », qui ont appelé à une manifestation prévue le 22 octobre à 11h devant le Ministère de l’Éducation à Pristina.
Le Club Politique Étudiant (KPS) est l’un des nombreux groupes d’étudiants et d’individus qui soutiennent la manifestation. Une de leurs militantes, Eurisa Rukovci présente ici un compte-rendu des défis supérieur que le mouvement étudiant se bat pour relever au sein de l’enseignement supérieur.
Eurisa Rukovci a rejoint le KPS en 2014 et en a été membre depuis, activement engagée dans la protestation radicale et les actions de gauche à caractère social de gauche.
La pédagogie des opprimés
Pour paraphraser le pédagogue marxiste Paulo Freire dans son œuvre principale La pédagogie des opprimés, une vision authentique de l’éducation est celle qui a pour but de transformer la structure sociale qui entoure le monde universitaire. Les bureaucrates néo-libéraux qui gèrent notre système éducatif veulent pousser les professeurs dans un point de vue étroit de « procédure d’audit » et de « systèmes de gestion », comme manière d’atteinde l’efficacité dans les salles de cours. Le même problème est présent dans tout le système éducatif du Kosovo. La période d’après-guerre a ouvert la voie à la gestion et aux réformes néo-libérales qui ont ruiné le système éducatif dans son ensemble, depuis la primaire jusqu’à l’enseignement supérieur. C’est particulièrement le cas à l’Université de Pristina, point névralgique historique du militantisme politique qui ouvrait la voie aux changements sociaux et à la solidarité parmi les étudiants. Il suffit de mentionner les manifestations de gauche du « National Liberation Front of Kosovo » en 1968, 1981 et 1997. Elles ont préparé le terrain pour que l’Armée de Libération utilise l’université comme centre politique dans lequel recruter un grand nombre de soldats. L’université de Pristina peut être vue comme une incarnation vivante des dialectiques, où le bien et le mal, la justice et l’injustice s’affrontent. Et lors de ces affrontements fréquents qui ont un caractère révolutionnaire, on peut voir que dans les dernières années le bien a toujours triomphé sur le mal. Toutefois, depuis la guerre de 1998-1999, les récentes politiques illégitimes ont fait pencher la balance en faveur du gouvernement, sale et corrompu, et de ses marionnettes (la majorité des professeurs, doyens et organisations étudiantes).
Percevant les circonstances, des étudiants aux idéaux de gauche ont décidé de se regrouper et de lancer une organisation étudiante – le Club Politique Étudiant (KPS) - en 2010 pour combattre toutes les structures corrompues ou minéesau sein de l’université. Un but commun nous a unis, fondé sur un modèle d’égalité universelle et d’équité sociale. Quand l’organisation a été créée, ses ambitions n’étaient en rien nationalistes et nous n’avions pas l’intention de produire une propagande chauvine et d’alimenter les sentiments faciles présents dans la population. L’organisation avait des tendances de gauche depuis le départ. Au début, on a commencé comme un club de débat où on lisait, on écoutait et on regardait tout ce qui se faisait à gauche. Après nous être établis en tant que groupe, on est passés à d’autres choses. Tout d’abord, on est allés sur le terrain de la protestation et des actions politiques en commençant par l’opposition à l’augmentation des frais d’inscription, des revendications pour de meilleurs conditions dans les salles de cours et dans les dortoirs, etc. Après 2012, les gens ont commencé à faire plus attention, et on a attiré l’œil des médias dominants avec le blocage de la faculté de philosophie.
L’apogée de notre activité a été les manifestations de janvier et février 2014, et le « SKV Movement ». On a commencé avec 50 étudiants et après deux semaines on a obtenu le soutien de plus de 5000 manifestants. La police a répondu par la violence en utilisant la force, les gaz lacrymogènes et même des enlèvements. Avec tout ça on a réussi, comme l’a écrit Zizek, à transformer la violence impartialeet quotidienne du système en violence subjective. Depuis lors, le côté positif, pour ainsi dire, est que nous avons un plus grand nombre de militants. On continue avec un militantisme politique qui cible la Compagnie d’Électricité, la corruption du gouvernement, les droits des femmes, etc.
Système qui exploite – éducation qui exploite
On continue de s’opposer aux formations politiques et sociales là où nous vivons. Bien que nous formulions une critique contre la situation politique générale au Kosovo, nous comme concentrés sur la critique de l’enseignement supérieur. Nous nous opposons aux réformes néo-libérales et au processus de Bologne qui est en train d’être appliqué dans notre université. Et si l’on prend en compte le fait que dans notre pays la formation politique et son développement sont capitalistes, les relations de production sont des relations d’exploitation. Cela implique que l’enseignement supérieur en tant que partie de la superstructure fonctionne comme un système d’exploitation aussi. Dans leur livre Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous1, Wilkinson et Pickett ont montré que les pays qui mettent en oeuvre des politiques moins discriminantes et qui atteignent un taux plus bas d’inégalités ont un système d’éducation qui est meilleur en qualité. Les pays aux faibles inégalités, principalement les pays scandinaves, ont une éducation de meilleure qualité si l’on compare avec la Grèce, l’Italie, les USA et les autres pays qui suivent la logique du marché libre.
Malheureusement cette logique de « Chicago boys »2 a dévalué et commercialisé notre système éducatif. Après les manifestations de 2014, des changements ont été faits dans l’administration. L’ancien recteur a capitulé au milieu de la protestation étudiante après qu’il ait été dévoilé que ses recherches académiques ont été publiées dans des revues douteuses en Inde auprès desquelles il suffit de s’acquitter d’un droit pour publier. Après la chute du recteur corrompu en 2014, il y a eu un remplaçant temporaire pendant environ six mois.
À la suite de ces événements, un nouveau recteur a été nommé, Ramadan Zejnullahu. L’université de Pristina a été fortement condamnée pour ses liens avec la corruption et les partis politique, et pour l’absence de publications scientifiques. Le nouveau recteur a souhaité mettre un terme à tout ça, et a immédiatement été contesté par les « leaders » corrompus de l’université, parmi lesquels des professeurs et des organisations étudiantes, qui sont étroitement liés aux partis et à la corruption écrasant notre pays. Le Club Politique des Étudiants a dénoncé aux médias l’incrimination du Sénat et du Conseil d’Administration et la manière avec laquelle ils essaient toujours de maintenir la corruption, et pour chacun d’eux nous avons révélé les défauts de leurs travaux académiques, leurs plagiats, et leurs liens avec les partis politiques corrompus. Ils ont organisé une manifestation pour renverser le recteur en s’accrochant au mensonge que les réformes allaient nuire aux étudiants.
Cela a ouvert la voie à la manifestation étudiante du 9 octobre, qui a regroupé les étudiants militants et les membres de la société civile en soutien au nouveau recteur. En soutien aux nouvelles réformes, et en soutien à la lutte contre la criminalité dans notre université.
Même si l’appel à la mobilisation a été lancé avec un délai très court, 24 heures pour être exact, plus de 200 personnes nous ont rejoint. S’en est suivi une occupation du bureau du recteur par le Parlement Étudiant qui a duré deux jours. Nous avons alors décidé qu’il nous fallait radicaliser notre position, et nous avons décidé de taguer des slogans sur tout le campus universitaire. L’action symbolique du 18 octobre a été réprimée par la police et a débouché sur l’arrestation de cinq camarades. Même s’ils ont été relâchés pendant la nuit, nos militants ont été attaqués et menacés avec des armes et des matraques en caoutchouc dans les locaux l’Université de l’Éducation, dont le doyen a des pouvoirs politiques. Cela a donné raison à nos arguments et on voit clairement que même les agents de sécurité employés pour garder l’université sont au service de l’oppression et qu’ils sont utilisés comme des militants permettant de faire passer les programmes politiques par la violence.
Nous sommes contre et pour une idée, et un concept
Nous avons déclaré que nous ne défendons personne en particulier, ni ne combattons personne en particulier. Nous sommes contres et pour une idée, et un concept. Nous sommes contre l’idée d’université corrompue, corruption qui a été décrite et attestée, et qui démontre que les gains personnels éclipsent et prennent le pouvoir sur la confiance qui avait été placée dans les mains de ceux qui étaient chargés de l’éducation des étudiants. Nous sommes pour les nouvelles réformes qui sont en train d’être mises en place et qui fera de l’Université une institution académique meilleure, avec un niveau plus élevé, et qui ne sera pas manipulé par le pouvoir pour avantager les personnes en place au détriments du reste d’entre nous.
Pour plus de détails sur le mouvement et sur les activités globales du KPS il existe une déclaration du militant Eroll Gashi qui raconte que le KPS a récemment organisé une manifestation de soutien aux nombreux processus progressifs par lesquels l’université est en train de passer « Surtout nous demandons l’autonomie pour l’université, et comme dernière revendication nous demandons que le budget que l’on donne à l’enseignement devienne une priorité pour le pays » a dit Gashi, en ajoutant que l’université a définitivement besoin d’être politisée car la connaissance en elle-même est politique et que les étudiants doivent avoir une formation idéologico-politique. « Notre critique des organisations étudiantes, qui sont les leviers du gouvernement et des autres partis corrompus, tient dans le fait que ces partis aspirent à dépolitiser l’étudiant et l’université, et c’est à ça qu’ils leur servent. Contrairement à eux, nous développons une critique politique sur l’articulation de l’université et notre idéologie est claire, et vise une transformation radicale de toute la société » a dit Gashi, et il a ajouté que le KPS continuera à faire de l’université un facteur politique de société et de faire de la société une préoccupation politique de l’université.
Je repense souvent aux premières années de ma vie d’adolescente quand le chant était ma passion, et je me rappelle de la chanson « Rise above » du groupe « Black Flag ». Elle me rappelle toujours la lutte pour une meilleure société dans laquelle nous sommes engagés, et en particulier les paroles « We’re gonna rise above, we’re tired of your abuse, try to stop us, it’s no use3 ». J’ai commencé et je conclue cet article avec ces paroles qui reflètent la situation grave de notre université et nos espoirs de la transformer radicalement.
Traduction de l'anglais par Agatha
- 1. Ndt : R. G. Wilkinson et K. Pickett, Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous, Les Petits Matins, Paris, 2013
- 2. Les « Chicago boys » étaient un groupe d’économistes chiliens formés à l’Université de Chicago prônant des réformes ultra-libérales (notamment la privatisation des entreprises publiques chiliennes) et recrutés par la suite par le gouvernement formé par la junte militaire de Pinochet.
- 3. Ndt : que l’on peut traduire par « Nous allons nous insurger, nous sommes fatigués de vos abus ; vous pouvez toujours essayer de nous arrêter : c’est inutile »