Pour chacun des deux grands « partis de gouvernement », une défaite à l’élection majeure de la ve République représente toujours un facteur de crise. Cette fois, les résultats du 22 avril et du 6 mai, combinés au contenu de la campagne de Sarkozy, aboutissent à un cocktail particulièrement détonant.
La tonalité ultra droitière de la campagne de Sarkozy, sa drague éhontée des électeurs du FN, le malaise qui en a résulté dans une partie de la droite ont été largement commentés au cours de la campagne1. Il faut insister sur le fait qu’il ne s’agit pas d’un positionnement purement ou uniquement « opportuniste », mais d’une ligne politique suivie avec constance depuis au moins le 30 juillet 2010, date du tristement célèbre discours de Grenoble stigmatisant les Roms, et plus généralement les immigrés, et revendiquant une politique sécuritaire exacerbée.
Des divergences politiques et d’interprétation
A demi-mots, des dirigeants de premier plan de l’UMP, tels que Raffarin et Fillon, ont à plusieurs reprises pris des distances. Des seconds couteaux ont été beaucoup plus explicites. Le député des Yvelines, étienne Pinte, a ainsi parlé de « faute contre l’éthique républicaine et la morale chrétienne ». La sénatrice et ex-ministre Chantal Jouanno, pour laquelle Sarkozy a « validé les mots et l’agenda du FN », estime que « si nous avions fait campagne sur les thèmes essentiels – l’économie, le redressement financier, les déficits, la compétitivité – nous aurions pu convaincre les Français. »
Mais cette analyse est loin d’être unanimement partagée. Le secteur regroupé autour du secrétaire général de l’UMP, Jean-François Copé, considère au contraire que la dite « stratégie de droitisation » a payé, que la droite est passée près de la victoire et qu’avec un autre discours électoral, Sarkozy aurait subi une défaite beaucoup plus nette. Après tout, 50 % des électeurs du FN se sont reportés sur lui au second tour (il en eut fallu 70 %...) sans que cela ait repoussé massivement les électeurs du MoDem, qui se sont montrés assez peu sensibles à la prise de position de leur candidat en faveur de Hollande.
Le même type de division se manifeste quant à l’interprétation des scores du premier tour. Pour les uns, la droite a fait l’erreur de légitimer le discours du FN et les électeurs qui en ont été convaincus ont (selon le mot fameux de Le Pen père) préféré l’original à la copie. Pour les autres, le résultat de Marine Le Pen aurait été encore plus important si Sarkozy n’avait pas bloqué sa progression en reprenant nombre de ses thématiques.
La crise va s’approfondir
En réalité, après ce score de 48,4 % qui, en même temps, a scellé la défaite et dépassé tout ce que les sondages avaient promis pendant des mois, aucune « preuve des faits » ne peut être apportée à l’appui d’aucune des deux thèses. Lesquelles vont donc, nécessairement, continuer à s’affronter.
Mais cette opposition que l’on pourrait dire politique se double aussi d’une lutte de cliques et de clans, principalement (mais pas uniquement) entre « copéistes » et « fillonistes ». Déjà, leurs troupes s’affrontent quotidiennement à Paris. Le retrait de la vie politique (peut-être temporaire, mais pour l’instant réel) annoncé par Sarkozy ajoute une dimension de crise de leadership. L’UMP est une formation verticaliste, absolument non démocratique, dont la vocation est de s’organiser autour d’un « chef ». à l’origine, son sigle signifiait d’ailleurs « union pour la majorité présidentielle ». Or le chef incontesté vient de faire ses adieux. Il y a tout à parier que dès les législatives passées, la lutte pour le pouvoir et le contrôle de l’appareil, avec en point de mire 2017, deviendra féroce.
Jusque-là, les dirigeants de la droite s’efforceront de jouer l’unité et le rassemblement. C’est une direction « collégiale », ont-ils affirmé, qui mènera la bataille des législatives. Parallèlement est annoncée une réforme des statuts qui permettrait désormais l’organisation interne de « mouvements », c’est-à-dire de tendances ou courants. De même est évoquée la perspective de l’organisation, avant 2017, de « primaires » sur le modèle adopté par le PS. Mais le chemin vers une éventuelle transformation en un parti de droite « moderne », plus « normal », donc rompant aussi avec ce qui restait, sur le plan de l’organisation, de la symbolique gaulliste, s’annonce tout sauf simple.
Et les tendances centrifuges ne cessent de se manifester. Ainsi la députée-maire de Montauban, Brigitte Barèges, membre de la Droite populaire réputée pour ses discours ultra réactionnaires, vient-elle de déclarer que cette composante de l’UMP n’écartait pas la possibilité de s’en séparer pour se constituer en parti. « Avec la Droite populaire, on a eu ce débat entre nous, pour savoir si on créait un parti [...] Pour l’instant, la majorité [de la Droite populaire] se range au principe que tant qu’il y a des législatives, on reste tous ensemble, on essaie de gagner, et on verra après [...] Après, on verra. On se comptera et, en fonction du nombre qu’on représentera, peut-être on pourra parler de la façon dont on fonctionne » (Le Monde, 9 mai).
Sous la pression du FN
Même si la règle édictée pour ces législatives, aucun accord avec le FN et renvoi dos-à-dos de ce dernier et de la gauche, sera probablement respectée (on comptera les exceptions qui seront présentées comme autant de « bavures »), la question d’une réorganisation globale de la droite et de l’extrême droite se posera dès la fin du mois de juin. Dans ce cadre, la Droite populaire pourrait évidemment jouer un rôle de passerelle avec le parti lepéniste.
Beaucoup dépendra sans doute du résultat du « troisième tour » électoral. Si dans le cadre de triangulaires avec le Front national et le PS (ou ses alliés), de nombreux députés sortants de l’UMP se retrouvaient battus, les forces poussant dans le sens de l’éclatement s’accroîtraient grandement.
Cependant la pression du FN est d’ores et déjà très forte et, ce qui est le plus grave, elle s’exerce aussi et peut-être d’abord « à la base ». La principale conséquence de la ligne Buisson-Sarkozy est le décloisonnement qui s’est opéré entre de très larges parties des électorats respectifs de la droite et de l’extrême droite. Selon une enquête Ipsos réalisée le 6 mai pour Le Monde, 70 % des électeurs de l’UMP et 68 % de ceux du FN se déclaraient favorables à des désistements réciproques aux élections législatives. Un sondage Viavoice publié le 9 mai par Libération donne des résultats sensiblement différents : 46 % des électeurs de l’UMP et 80 % de ceux du FN seraient de cette opinion. Mais dans les deux cas, l’élément notable est qu’il s’agit de chiffres très élevés.
Comme le signalait Gérard Courtois, l’analyste du Monde (dans son édition datée du 8 mai) commentant la première de ces enquêtes : « Ces chiffres saisissants démontrent, en tout cas, que la pression sera très forte, à la base, pour rompre les digues qui séparent, depuis trente ans, la droite parlementaire de l’extrême droite. Si elles sont maintenues, l’UMP risque d’être laminée ; si elles sautent, elle est menacée d’implosion. Dans les deux cas, Marine Le Pen en tirera bénéfice. »
Jean-Philippe Divès
1. Voir notamment, dans Tout est à nous! L’hebdo, « Nicolas Le Pen » (22 mars), « En échec, Sarkozy drague l’extrême droite » (26 avril), « La droite entre espoir fou et malaise » (3 mai).