25,44 % d’abstention, 8,56 % de blancs et nuls (11,47 % des votants), ce sont donc 34 % des inscrits qui ne se sont prononcés ni pour Macron, ni pour Le Pen. Le seul chiffre comparable, dans l’histoire, est celui du second tour de 1969 (35,57 %). A l’époque, le candidat du PCF, Duclos, avait atteint au premier tour le score historique de 21,27 %, et l’entre-deux tours avait vu l’encore puissant appareil communiste appeler à l’abstention ou au vote blanc, en désignant les deux candidats restés en lice, le gaulliste Pompidou et le centriste Poher, comme « bonnet blanc et blanc bonnet ».1
Pompidou et Poher n’ayant pas grand chose à voir avec ce qu’est Marine Le Pen, et aucun des principaux candidats éliminés n’ayant appelé au « ni, ni », la méfiance ou le rejet de Macron n’en sont que plus impressionnants. De plus, et ceci est inédit, selon l’enquête Ifop-Fiducial publiée le 8 mai par Paris-Match, 57 % des votants pour Macron2l’ont fait non par adhésion mais pour s’opposer à Le Pen. Soit 24,87 % des inscrits. Ajoutés aux 34 % précités, cela commence à faire beaucoup.
Jean-Yves Dormagen, un chercheur en science politique interviewé par Le Monde, a donc raison d’estimer « que la légitimité d’Emmanuel Macron, si l’on prend en compte les abstentionnistes, les votes blancs et nuls et les électeurs désenchantés qui ont surtout voulu s’opposer au Front national, est faible. »
Sans surprise, l’enquête Ifop-Fiducial nous apprend qu’avec 83 %, Macron a écrasé la concurrence dans la catégorie des personnes « qui ont les revenus les plus élevés », comme aussi parmi les plus de 65 ans (76 %) ainsi que dans les centres-villes ; et qu’il est « parvenu à s’imposer chez les dirigeants d’entreprise (66 %) et les travailleurs indépendants (67 %) (...) "Peut-être que le discours de Macron sur le RSI et sur la baisse des charges les a séduits", note François Kraus », le responsable de l’étude.
A l’opposé, « les électeurs de Jean-Luc Mélenchon sont ceux qui ont le moins participé » (et le plus voté blanc ou nul). Des partisans de la FI que l’on a d’ailleurs vus en nombre dans les manifestations syndicales du 8 mai, comme celle appelée à Paris par le « Front social ».
Dans le cadre des difficultés de tout type que connaît le mouvement ouvrier et social, tout cela est positif et prometteur. Parce qu’il va falloir se mettre à résister, à lutter, et vite. Le projet de Macron est d’une grande violence antisociale. Nombre de bobos ou gogos enrôlés dans les troupes d’En Marche vont vite déchanter.
Le dit partisan de la « rénovation politique » s’est immédiatement coulé dans le moule de la Ve République et de son homme providentiel. Comme en a témoigné cette procession ridicule, le soir du 7 mai au Louvre, où l’on ne voyait que sa silhouette et la semelle de ses chaussures (les riches qui ont bon goût marchent en semelles de cuir qu’ils ne protègent pas, comme le vulgaire, avec du caoutchouc ; quand elles sont usées, ils les font remplacer ou jettent les souliers à la poubelle).
L’impétrant veut finir de casser le Code du travail dès l’été et par ordonnances. Mais pour cela, il lui faudra une loi d’habilitation. La meilleure nouvelle serait qu’à l’issue des législatives, la bourgeoisie ne dispose ni d’une majorité présidentielle, ni d’une majorité parlementaire de cohabitation. L’offensive anti-ouvrière dont ses commis politiques sont chargés s’en trouverait compliquée. D’autant que la capacité des partis, soutiens de Macron au second tour (LR, UDI, En Marche, PS), à gouverner sur des « majorités d’idées » est tout sauf prouvée. Dans la politique bourgeoise ordinaire, sauf menace révolutionnaire, les intérêts des appareils (et des individus qui les composent) jouent un rôle qui est souvent premier. On l’a vu récemment avec la débâcle de la manœuvre hollando-vallsiste sur la « déchéance de nationalité ».
Macron nous a donc déclaré la guerre sociale... En ordre de bataille ! Guerre à la guerre !
Jean-Philippe Divès
- 1. Deux autres ressemblances sont frappantes à près de 50 ans d’intervalle : l’effondrement électoral de la SFIO (l’ancien PS de l’époque), dont le candidat Defferre, qui se présentait en tandem avec le radical bourgeois Mendès-France, avait à peine atteint les 5 % ; le fait que le total des voix « de gauche » se soit alors situé (si l’on y ajoutait le résultat de Michel Rocard pour le PSU et celui de notre camarade Alain Krivine pour la Ligue communiste) autour de seulement 30 %. Et l’on était pourtant en pleine période de montée des luttes et de radicalisation post-Mai 68...
- 2. Et jusqu’à 59 % selon l’enquête Harris Interactive.