Face à un Sarkozy usant et abusant des thématiques d’extrême droite, on aurait pu croire à une victoire très large, tant le choc de l’opinion était profond. Oui, mais voilà : le manque de souffle, la fadeur de la campagne socialiste étaient telles que le départ de Sarkozy s’est joué à peine à plus d’un million de voix...
Paradoxalement, pour le PS, lors de cette présidentielle, le pire a été évité. On sait que le FMI est aujourd’hui l’objet de la haine – il n’y a pas d’autre mot – des peuples d’Europe du Sud. Il faut donc imaginer le symbole politique qu’aurait été le fait que le principal parti de gauche français présente le directeur général du FMI comme candidat à la présidentielle. Pour les raisons que l’on sait, DSK ne put être le candidat du PS et dut céder la place à Hollande. Mais l’orientation demeura.
L’ex-premier secrétaire du PS a mené une campagne se limitant pour l’essentiel à surfer sur le rejet de Sarkozy et de l’UMP, se gardant bien de toute promesse. Après avoir fait la course en tête dans tous les sondages possibles, l’élection de Hollande s’est finalement faite sur le fil. Cela, alors qu’il va trouver face à lui une situation proprement explosive.
Situation économique et question européenne
La politique d’austérité mise en œuvre par la troïka impérialiste (Commission européenne, BCE, FMI) est déjà en train d’étouffer l’activité économique partout en Europe. Même l’Allemagne est désormais touchée : on s’attend là-bas à une croissance zéro pour les trois premiers mois de 2012. Dans ces conditions, le leadership allemand sur l’UE est de plus en plus contesté, notamment par Madrid. L’UE exige en effet de Rajoy des mesures d’une brutalité inouïe alors que les grèves générales se succèdent dans ce pays. En clair, l’Espagne est prête à sombrer dans un chaos similaire à celui qui prévaut en Grèce.
Symptomatiquement, Rajoy – le chef de gouvernement de la droite espagnole – a donc multiplié les signaux amicaux en direction de Hollande (et l’italien Monti serait sur la même ligne). En toile de fond de ces grandes manœuvres, il y a la volonté d’un certain nombre de pays d’imposer à l’Allemagne et à la troïka une inflexion de la politique économique de l’UE. Au-delà de la politique de désendettement actuelle, il s’agirait de prendre des mesures de soutien à l’activité, bref de faire un peu de « keynésianisme », étant entendu qu’on ne reviendra pas sur l’austérité. La convergence avec ce que n’a cessé de défendre Hollande durant sa campagne est évidente : « Le candidat socialiste veut qu’il [le pacte budgétaire européen] soit « complété » par un « pacte de responsabilité, de gouvernance et de croissance », visant à stimuler l’activité et à « réorienter le rôle de la Banque centrale européenne dans cette direction » sans toutefois toucher aux statuts de cette dernière. »1
Il semble bien que Bruxelles et Berlin s’apprêtent à prendre en compte ces revendications. Le ministre des affaires étrangères allemand, Westerwelle, déclare en effet : « nous allons travailler ensemble à un pacte de croissance pour l’Europe, nous devons ajouter de nouvelles impulsions de croissance, cela passe par des réformes structurelles ». On s’acheminerait vers la publication d’un « agenda de croissance » lors du sommet européen de juin. Le pacte budgétaire, lui, demeurerait inchangé (de toutes façons, revenir sur son contenu, approuvé par 25 gouvernements, présenterait une difficulté extrême).
Selon toute probabilité, cette inflexion de la politique économique de l’UE servira d’alibi à Hollande pour « démontrer » que la « renégociation » du pacte budgétaire européen est en cours et justifier sa ratification par le Parlement. En fait, la « règle d’or » condamnerait les peuples d’Europe à une austérité sans fin. En France, elle aboutirait à amputer le budget de l’État de près de 80 milliards d’euros. Par comparaison, le premier poste budgétaire du pays est l’éducation dont le montant annuel est de plus de 50 milliards... On voit l’enjeu de la question.
Vers une réactivation du « dialogue social »
Avec Hollande, c’est le représentant d’un parti en proie à une crise d’identité profonde, et par là-même fragilisé, qui arrive au pouvoir. Il faut notamment avoir en tête que le PS compte à peine 200 000 adhérents, pour l’essentiel parfaitement étrangers au monde de la lutte de classes.
Il est donc clair que pour faire passer « l’austérité de gauche » qui s’annonce, les relais sociaux du PS ne pourront suffire. Le gouvernement qui s’annonce ne pourra avancer qu’avec l’étroite collaboration des appareils, notamment syndicaux. Désormais, donc, l’heure est donc au respect des « corps intermédiaires », après l’époque Sarkozy où ils avaient été littéralement piétinés par un président ouvertement antisyndical – comme on l’avait encore vu le 1er mai.
Première échéance, une « conférence sociale » dont on ne peut attendre rien de bon, et surtout pas l’abrogation des mesures antisociales des gouvernements Fillon (retraites, législation antigrève, etc.). Gageons d’ailleurs que les directions syndicales invitées auront le bon goût de ne pas revendiquer de telles « énormités ». Aux dernières nouvelles, il y serait surtout question d’un « contrat de génération », donc d’une nouvelle salve d’allègements de cotisations pour le patronat.
En dernière analyse, l’alternative posée aux organisations syndicales sera donc de savoir si elles seront partie prenante ou non de la nouvelle majorité. Le repositionnement récent de la direction CGT ne laisse guère de doutes sur la question, alors que l’orientation affichée par le candidat socialiste durant la campagne ne permet de se faire aucune illusion.
Une majorité parlementaire PS-EéLV ?
Le futur gouvernement risque de bénéficier d’une situation institutionnelle inédite, puisqu’il pourrait disposer de la majorité au Sénat, à l’Assemblée et dans les collectivités territoriales. Mais la question de sa couverture parlementaire reste problématique. Il semble en effet que l’obtention d’une majorité absolue à l’Assemblée sera difficile à atteindre après les tripatouillages de circonscriptions opérés par Sarkozy. Alors que la majorité absolue est à 289 sièges, selon Le Monde, « l’accord entre le PS et ses partenaires ne lui permet donc d’envisager, même dans l’hypothèse haute, qu’environ 265 sièges pour lui-même. [...] Même si le PS et le PRG reconduisaient un groupe commun, il leur faudrait, au minimum, s’appuyer sur EéLV pour obtenir la majorité. »2
Or, vu les conditions de l’élection de Hollande, « l’hypothèse haute » n’est pas garantie. De plus, on sait que les écologistes sont des alliés peu fiables, ce qui est encore plus à risque lorsqu’on a en tête ce que la crise capitaliste pourrait bien exiger. Problème identique en ce qui concerne le FdG : impossible d’imaginer que ses députés endossent l’intégralité de la politique annoncée par Hollande – ce serait un suicide politique.
Dans ce contexte, l’annonce par Bayrou de son vote pour le candidat du PS a évidemment été une divine surprise pour le camp Hollande...
L’ouverture au centre
La question des rapports entre social-démocratie et droite (dite) civilisée est un vieux serpent de mer de la social-démocratie. Déjà en son temps, Mitterrand avait tenté une « ouverture » qui avait sombré dans le ridicule faute de partenaires crédibles.
Lors de la campagne présidentielle de 2007, Ségolène Royal et son équipe avaient multiplié les appels du pied en direction du MoDem. Après tout, ce qui distingue la politique du PS de celle du MoDem sur le fond est faible, très faible. Mais à cette époque, Bayrou avait rejeté ces offres qui n’auraient pu que le discréditer au sein de l’électorat de droite.
Le 3 mai, la droitisation extrême du candidat Sarkozy a mené le leader du Modem à annoncer qu’il voterait pour le candidat socialiste. Pour Hollande, cela pourrait permettre au futur gouvernement social-libéral d’élargir ses appuis et de ne pas être à la merci de ce que peuvent ou non endosser les dirigeants du FdG ou d’EéLV.
Car selon Bayrou lui-même, cette position va bien plus loin que le second tour de la présidentielle :
« Je suis certain que le jour venu, il faudra aussi qu’une partie de la droite républicaine soit associée à ce qu’il va falloir faire pour que la France s’en sorte. Par mon choix, je rends possible pour la première fois depuis longtemps cette union nationale, la vraie mobilisation des Français au service de la France. »3
C’est bien à l’esquisse de la constitution d’un axe PS-MoDem qu’on assiste. Se concrétisera-t-il ? Cela dépendra notamment des forces dont disposera Bayrou au parlement après le vote de juin (elles sont actuellement négligeables). On peut d’ailleurs parier que la direction socialiste fera ce qui lui est possible pour que le MoDem dispose de forces parlementaires un peu plus conséquentes.
Pas d’état de grâce
Les résultats électoraux du 6 mai ne peuvent pas faire illusion. C’est le représentant d’un parti très affaibli qui accède au pouvoir. Qui plus est, le rapport entre l’appareil socialiste et le monde du travail est des plus distendus : on a bien plus voté contre Sarkozy que pour Hollande. Le bilan de la Grèce, de l’Espagne, etc., marque les consciences et il n’y aura pas d’état de grâce.
Dès les semaines qui viennent, il reviendra au NPA de tracer la voie d’une politique alternative de gauche, ce qui implique de s’opposer à la politique que le candidat Hollande a esquissée durant sa campagne et qui ne peut que mener à « l’austérité de gauche ». Notre perspective demeure celle d’un gouvernement menant une politique de rupture avec l’économie de profit, car il n’existe pas d’autre moyen de préserver les acquis et d’arracher les revendications urgentes.
Pascal Morsu
1. Les échos, 17 avril 2012.
- « S’il est élu, François Hollande aura besoin d’alliés », Le Monde, 14 avril 2012.
- François Bayrou, déclaration du 3 mai 2012.