Le candidat de la finance a gagné face à la représentante de ce qu’est actuellement le fascisme en France. Ce face-à-face marque la fin d’une période politique et le début d’une autre. Sauf à se satisfaire de vérités justes mais abstraites (« le capitalisme reste le capitalisme, les patrons restent les patrons et seuls les travailleurs peuvent vraiment changer le monde »), les anticapitalistes devront apprendre à faire dans un contexte largement nouveau.
Macron a gagné la présidentielle en surfant sur la déconsidération de la gauche institutionnelle et de la droite traditionnelle et en se dotant aussi de sa propre machine électorale. L’épisode des législatives sera sans doute plus périlleux : rien ne garantit que des candidats peu connus d’En Marche réussissent à s’imposer au point d’apporter une majorité stable au nouveau président. Pour surmonter cette difficulté, des tractations sont engagées tant avec les « vallsistes » et « hollandais » du PS qu’avec divers échantillons de la droite. Malgré les incertitudes sur la majorité dont disposera finalement Macron parmi les députés, on peut penser que dans un premier temps, la voie sera dégagée pour ce président qui a annoncé vouloir réformer le Code du travail par ordonnances.
Marine Le Pen a été battue et il n’est pas évident que le FN réussisse à avoir son propre groupe parlementaire dans la prochaine assemblée. Mais ses résultats électoraux montrent un enracinement réel, de plus dans une fraction importante des classes populaires. Son emprise au sein de la police et de l’armée est de plus en plus affirmée. Fasciste ou pas, le FN ? On ne tranchera pas ce débat ici, mais il faut constater que tout ce qui compte dans le fascisme en France (en dehors de quelques bandes de nervis et illuminés) est avec le Front et souvent dedans, et pas seulement à la base mais au plus profond de son appareil. Ni faire de l’antifascisme abstrait un principe d’action et d’unité, ni relativiser la lutte spécifique contre le FN dans l’attente du grand mouvement ouvrier qui balaiera la puanteur : la voie n’est certes pas simple.
Mélenchon, pour sa part, a tiré un bilan de la déconsidération du PS et de l’impuissance du reste de la gauche institutionnelle. Il a construit une machine ultra-personnalisée à gagner des élections, qu’il va maintenant tester aux législatives en n’offrant à ses partenaires potentiels que le choix entre soumission totale ou rejet. Néanmoins, au-delà des législatives, ce serait une erreur d’assimiler la France insoumise (militants ou sympathisants) à Mélenchon et son cercle de fidèles.
La fin d’une époque
C’est la fin de la configuration politique qui a marqué la Ve République depuis 1974 : l’opposition de deux camps, la droite parlementaire mêlant gaullistes et libéraux, et la gauche parlementaire hégémonisée par le PS. Durant ces années, marquées par le chômage de masse, s’est progressivement effritée la capacité des travailleurs, non pas à mener des luttes mais à « faire peur » au patronat en tant que classe (pour reprendre une expression d’une étude sur Peugeot-Sochaux1), ce qui a laissé celui-ci et ses serviteurs politiques, malgré des vagues périodiques de mouvements d’ensemble, en capacité de déployer des attaques de plus en plus systématiques.
D’autant que le champ syndical a lui aussi été marqué par des évolutions dramatiques, non seulement en termes militants, mais du fait du soutien quasi inconditionnel de la CFDT et de ses satellites aux multiples contre-réformes mises en œuvre depuis 1995.
Outre le cycle des grands partis et celui des luttes, cette période a aussi vu se dérouler un cycle des anticapitalistes : ces derniers ont gagné une implantation dans les entreprises et une légitimité politique, mais pas au point de construire des organisations électoralement significatives dans la durée et, surtout, de peser, au-delà de quelques entreprises, sur un mouvement d’ensemble comme celui contre la loi El Khomri en 2016.
Dans cette présidentielle, Philippe Poutou a réussi à incarner partiellement le refus de ce système et à faire entrer les vrais problèmes (chômage, racisme, corruption des « élites »), mais le NPA ne l’a pas capitalisé électoralement : le « vote utile » et l’attentat des Champs-Elysées y ont certainement contribué, même s’il conviendra aussi d’engager le débat sur les moyens propres à apparaître, non seulement comme les plus honnêtes et les plus résolus, mais aussi comme les représentants d’une alternative à ce monde.
Notre horizon immédiat, outre les législatives, est évidemment « Pas d’état de grâce pour Macron, non aux ordonnances, levée de l’état d’urgence, arrêt de Notre Dame-des-Landes ». Il faut unifier autour de ces mots d’ordre (et dans la lutte contre la répression) tout ce qui peut l’être. Ces batailles nécessaires conditionneront en partie l’avenir.
Henri Wilno
- 1. Stéphane Beaud et Michel Pialoux, « Retour sur la condition ouvrière – Enquête aux usines Peugeot de Sochaux-Montbéliard », rééd. La Découverte, 2012.