«J'avais dit que je restais socialiste. J'ai été élu avec l'appui du PS, de la gauche (…) Suis-je un social-démocrate? Oui!» avait répondu François Hollande à l’occasion d’une conférence de presse, le 14 janvier dernier. Sa réponse avait ouvert dans le petit monde médiatique un grave débat : François Hollande est-il ou non social-démocrate ? Un débat quelque peu hors sol conséquence sans doute de l’esprit facétieux du Président alors en plein psychodrame sentimental et qui engageait son changement de cap, à droite toute…Il dénonçait un État «trop lourd, trop lent, trop cher», les «abus» et «excès» de la Sécurité sociale, tendant la main aux patrons et plaidant pour des économies drastiques, une baisse des impôts et mettait en route son pacte de responsabilité… Au-delà des facéties de Hollande, la question mérite cependant d’être discutée pour comprendre l’évolution des rapports politiques en France mais aussi, peut-être, plus largement en Europe.
Le compromis social… unilatéral
Inutile de dire que nos fins commentateurs des petites phrases hexagonales ne pensaient nullement à la social-démocratie de la fin du XIXe siècle, premier parti moderne de la classe ouvrière. Leur social-démocratie a renoncé depuis longtemps au socialisme, à la classe ouvrière même si ses dirigeants aiment bien, de temps en temps, réveiller les fantômes du passé, Jaurès tout particulièrement, pour essayer de se grandir eux-mêmes. Les héritiers de la social-démocratie se sont, partout, adaptés à l’économie de marché depuis longtemps. Leur « Etatisme » d’après la seconde guerre mondiale était dévoué, corps et âme, à la classe capitaliste. Au pouvoir ou dans l’opposition, ils lui ont, durant les 30 glorieuses, garanti la paix sociale. Il y avait alors du « grain à moudre ». La bourgeoisie accrochée à son Etat a pu ainsi relancer la machine à profit et affronter les sales guerres coloniales. Le « compromis social » était pour le moins à sens unique, il visait à soumettre les travailleurs à la politique des classes dominantes en échange de quelques concessions au prix de leur soutien aux guerres coloniales. A la fin des années soixante, sous les effets de la crise il a commencé à prendre l’eau et la social-démocratie d’après-guerre s’est, en France, effondrée. Il a fallu un homme de droite, Mitterrand pour la faire renaître de ses cendres à travers l’union de la gauche en utilisant le Parti communiste qui représentait 20% de l’électorat. Mitterrand a su plier le PC à sa politique tout en s’en servant pour redonner au parti socialiste des guerres coloniales et du soutien à De Gaulle une nouvelle vertu de gauche, nouvelle et bien fragile…
La fin du PC et la fin du PS Mitterrandien
Et c’est Mitterrand qui a « réconcilié » le PS avec la bourse, les dividendes et l’a engagé sur la voie du libéralisme alors que le PC ne cessait de s’affaiblir payant le prix de sa participation au gouvernement durant les 4 premières années Mitterrand de 1981 à 1984, puis, après l’effondrement de l’URSS, sous Jospin de 1997 à 2002. Jospin avait accéléré les affaires en déclarant dans la campagne présidentielle de 2002 qu’il ne défendait pas un programme socialiste. Ce n’était pas un scoop mais le dire était une façon de vouloir forcer la marche vers le libéralisme.
Mitterrand a fait, à sa façon, le même boulot que Thatcher. Jospin, lui, s’inscrit dans le même processus que Blair ou Schröder.
La social-démocratie s’adapte aux besoins de la bourgeoisie et se coule dans le moule qu’elle lui impose. Le PC est bien trop affaibli pour continuer de peser sur les évolutions de la social-démocratie devenu social libérale. Celle-ci continue de s’abandonner, sans la moindre résistance, dans les bras du libéralisme.
Hollande « libéré » ou le « Président du Medef » et la fin de la social-démocratie
Aujourd’hui, Hollande a décidé de se défaire des derniers oripeaux de « la gauche ». Il s’est « libéré » et n’a même plus besoin de faux-semblants, il fait du Sarkozy. L'Humanité s’en indigne : "François Hollande sera, pour la deuxième partie de son mandat, le président du Medef... Il y a franchement de quoi rester interdit devant tant de tromperies. Le chef de l'État a douché hier tous les espoirs." Comment s’en étonner ?
Pour les libéraux, seuls comptent les intérêts et la politique du patronat avec lequel l’Etat entretient un « un dialogue constructif […] comme ce que fait le ministère de l’industrie allemand ». L’exemple allemand est le modèle d’une bonne politique. Il y a deux mois, François Hollande a reçu à l’Élysée Hartz, ancien conseiller de Schröder et inspirateur des réformes dites Hartz IV, qui ont fabriqué des bataillons de pauvres en réduisant les allocations chômage et en créant les jobs à un euro de l’heure. Plus qu’un symbole, une politique…
L’an dernier, à Leipzig, lors du congrès du SPD, Hollande avait rendu hommage à l’ancien chancelier : « Le progrès, c’est aussi de faire dans des moments difficiles des choix courageux pour préserver l’emploi et anticiper les mutations industrielles. Et c'est ce qu'a fait Gerhard Schröder et qui permet aujourd'hui à votre pays d'être en avance sur d'autres. Ces décisions ne sont pas faciles à prendre, elles peuvent même faire surgir des controverses, mais rien ne se construit, rien de solide ne se bâtit en ignorant le réel ». Aujourd’hui, le SPD participe à la grande coalition avec Angela Merkel, en France, Hollande est en train de liquider le PS, deux façons de donner raison à la réalité : la social-démocratie est morte depuis longtemps, sous ce masque s’est perpétué un parti parfaitement adapté à l’ordre bourgeois, qui s’y est moulé au point que le masque ne sert plus à rien, que ses dirigeants éprouvent le besoin de s’en défaire.
Le choix de Manuel Valls comme Premier ministre au lendemain de la déroute du PS aux élections municipales s’inscrit dans cette évolution. Il est le plus à droite des dirigeants du PS, lui qui souhaitait, lors de la primaire pour désigner le candidat du PS à l’élection présidentielle de 2012, l'abandon du mot "socialisme" : "Il faut transformer de fond en comble le fonctionnement du PS, nous dépasser, tout changer: le nom, parce que le mot socialisme est sans doute dépassé; il renvoie à des conceptions du XIX° siècle".
L’histoire met du temps pour tourner les pages, mais une page est bel et bien tournée. Cela s’exprime au sein du monde du travail par une abstention croissante, le rejet des partis institutionnels, les partis du Medef. Cette abstention laisse le terrain libre à l’extrême-droite mais elle est aussi le point de départ de la reconstruction d’une conscience de classe, d’un nouveau parti des travailleurs.
Yvan Lemaitre