Née le 18 juin 2014 à Caen, la « Convergence des Hôpitaux en lutte contre l’Hostérité » réunit plus de 60 établissements de toutes catégories (CHU, hôpitaux généraux, établissements de psychiatrie, pour personnes âgées ou médico-sociaux). Deux manifestations nationales ont été organisées à son initiative à Paris, les 23 septembre et 18 novembre 2014.
La Convergence cherche à répondre à une double réalité : la multiplication de luttes au cours des derniers mois, et leur isolement dû au refus des directions des principales fédérations syndicales de les coordonner. L’appel à la première AG des hôpitaux, le 4 avril à Caen, situait bien le problème : « Partout les hôpitaux souffrent des mêmes maux (...) Aujourd’hui, l’heure n’est plus seulement à la contestation hôpital par hôpital (...) mais bien de donner une réponse nationale à un problème national. »
Face à des situations insupportables (manque d’effectifs, restructurations, introduction des méthodes de gestion du secteur privé), des luttes éparses ont touché depuis deux ans de très nombreux services et établissements hospitaliers. Mais dans le meilleur des cas elles aboutissent à des succès ponctuels, souvent vite remis en cause, alors que les salariés ont affaire à une offensive globale menée par les gouvernements, hier de droite, aujourd’hui « de gauche ».
Aucune riposte syndicale sérieuse ne s’est opposée aux réformes libérales de grande ampleur intervenues dans le secteur hospitalier depuis 2003 (réformes de la tarification et de la « gouvernance », loi HPST dite « Bachelot »). Avec l’arrivée au pouvoir de Hollande, c’est le « dialogue social » qui prévaut entre les dirigeants des principales fédérations et le gouvernement : une « concertation » sans luttes dont la seule fonction est de faire avaliser les projets gouvernementaux moyennant quelques miettes.
Les directions syndicales renoncent ainsi ouvertement (CFDT) ou dans les faits (CGT et FO) à un syndicalisme fondé sur la mobilisation et le rapport de forces. Quant à la fédération SUD santé-sociaux, si elle affirme bien le projet de coordonner les luttes, ses forces limitées ne lui permettent pas, seule, d’avancer dans cette direction. Les équipes syndicales (essentiellement CGT et SUD) qui sur le terrain continuent d’organiser la résistance, vivent de plus en plus mal cette situation.
L’appel de Caen
Ainsi s’explique l’écho très large rencontré par l’appel, en mars 2014, de l’intersyndicale CGT/SUD et des salariés en lutte de l’EPSM (établissement public de santé mentale ) de Caen. Par deux fois, ils ont mis en échec le plan d’austérité que voulaient leur imposer leur direction et l’Agence régionale de santé. Ils ont alors été confrontés à une très forte répression (intervention de la police, condamnations en justice) cherchant à interdire, de fait, toute poursuite de la mobilisation. L’exemplarité de leur lutte leur a donné la légitimité pour s’adresser à tous les hôpitaux confrontés aux mêmes difficultés.
Leur démarche est unitaire, portée par la section SUD et un fort syndicat CGT, ayant une audience non seulement dans sa région mais aussi au sein de sa fédération. Cela a permis, lors des premières assemblées générales des hôpitaux, une participation aussi importante de syndicats CGT que de syndicats SUD.
Construire la mobilisation
Malgré la multiplication des conflits hospitaliers, on est encore très loin d’une mobilisation et d’une grève reconductible sur le plan national. Il faut pour cela surmonter le scepticisme, le poids des défaites passées, les désillusions et le désarroi produit par l’aggravation de l’austérité sous un gouvernement « de gauche », l’inaction des directions syndicales. Celles-ci (à part SUD santé-sociaux) s’opposent de manière très déterminée à toute tentative de généralisation d’un mouvement échappant, de plus, à leur contrôle. La réaction de la direction de la fédération CGT, tentant de s’opposer par tous les moyens à la participation de ses syndicats à la Convergence, en témoigne.
Il est vraisemblable que la généralisation des « plans de retour à l’équilibre » et d’attaques telles que la loi de financement de la sécurité sociale 2015 et le « pacte de responsabilité » fasse mûrir les conditions pour de grandes luttes, mais les rythmes en sont encore imprévisibles. Il ne s’agit donc pas pour la Convergence, dans le rapport des forces actuel, de « décréter » ou de lancer des incantations à une grève générale des hôpitaux, mais de prendre des initiatives concrètes pour avancer dans cette direction en s’appuyant sur les luttes existantes. A l’étape actuelle la Convergence joue le rôle d’un comité unitaire de mobilisation pour une lutte généralisée des hôpitaux, s’appuyant sur des équipes syndicales combattives.
Au cours des deux premières assemblées générales, en avril et en mai, les participants ont appris à se connaitre, fait ensemble un « état des lieux » et commencé à débattre des actions à mener. Puis les trois manifestations, à Caen puis à Paris (juin, septembre, novembre), où se sont retrouvées des délégations significatives venues des régions, ont eu pour but de donner une visibilité nationale au mouvement naissant. La Convergence s’est dotée de moyens pour faire circuler l’information, populariser les luttes existantes, réagir face à la répression, préparer les initiatives, avec la création d’une page Facebook et la mise en place d’une équipe d’animation. Elle a élaboré une plateforme revendicative. Son logo commence à s’afficher dans les établissements sous forme de badge ou d’autocollants.
Lors de la dernière AG, en novembre, le débat s’est engagé pour passer à une nouvelle étape : nécessité de continuer à rythmer la mobilisation par des initiatives régulières, mais celles-ci ne peuvent être la répétition de manifestations nationales qui risqueraient d’épuiser les moyens financiers et militants sans permettre une nouvelle avancée. Tout en maintenant bien visible la dimension nationale de la mobilisation, il a été décidé de la poursuivre, dans l’immédiat, sous forme d’action locales et décentralisées, s’appuyant sur les luttes locales. Pour cela, il est nécessaire de travailler à l’enracinement de la Convergence dans les établissements, là ou elle est déjà présente, mais surtout là ou elle n’est pas : pour s’élargir, la Convergence doit se structurer.
La Convergence est d’abord un outil d’unité syndicale, et sa force est de faire travailler ensemble des équipes syndicales (essentiellement CGT et SUD) implantées dans les établissements, sans lesquelles il sera impossible de construire un mouvement d’ensemble.
Elle n’a donc pas vocation à devenir une organisation supplémentaire à côté des forces syndicales. Mais la Convergence a aussi un large impact auprès d’un courant de salariés combatifs, jeunes en particulier, qui ne se reconnaissent pas dans le syndicalisme tel qu’il existe aujourd’hui, même s’ils ne sont pas hostiles aux syndicats. Si elle s’appuie sur les forces syndicales, elle doit pouvoir permettre à toutes celles et ceux qui se reconnaissent dans ses objectif d’y trouver leur place et de la construire. Des réponses concrètes à ces questions sont à inventer.
Produit de la crise du syndicalisme, la Convergence peut contribuer à en être la solution. En rassemblant et en faisant travailler ensemble les syndicats attachés à un syndicalisme de lutte, elle peut contribuer à faire émerger dans le syndicalisme hospitalier un courant intersyndical combatif et unitaire, capable d’animer et de coordonner démocratiquement les luttes à venir, et de lui gagner des forces nouvelles, pour l’instant inorganisées syndicalement.
Un outil porteur d’avenir
Dans la perspective, vraisemblable, du développement des luttes hospitalières contre l’austérité, l’acquis de la Convergence, même avec des forces limitées, peut être décisif. Les grandes luttes sociales, dès qu’elles prennent une dimension nationale, buttent sur une difficulté majeure : même si à la base elles s’organisent démocratiquement et sont contrôlées par des assemblées générales de salariés en lutte ou de grévistes, les décisions centrales concernant les négociations, la poursuite ou non de l’action, les initiatives nationales à prendre restent totalement entre les mains des appareils des fédérations syndicales.
La grève des cheminots de juin 2014 contre la réforme ferroviaire en a fourni une nouvelle illustration. Menée sur le terrain par des AG combattives animées par les militants CGT et SUD, elle n’a pu aboutir, la coordination de la lutte étant restée en les mains des fédérations syndicales qui l’ont laissée progressivement s’essouffler. Si une lutte de cette nature se développait dans les mois à venir dans le secteur hospitalier, on voit ce que permettrait l’existence préalable de la Convergence. Une partie des équipes syndicales sur le terrain se connaîtraient et auraient l’habitude de travailler ensemble. Elles pourraient contribuer à construire une coordination démocratique nationale du mouvement, émanation des salariés et syndicats en lutte, susceptible de contrôler démocratiquement les négociations, décider de la poursuite ou non du mouvement, prendre des initiatives nationales.
Enfin le combat de la Convergence contre « l’Hostérité » ne se limite pas à la défense des revendications des personnels hospitaliers. Elle commence à être rejointe par des salariés du secteur social et médico-social, et s’ouvre aussi aux salariés de la santé privée qui subissent également les conséquences d’un système de soins fondé sur le profit. Elle s’attaque à toutes les dimensions de l’austérité dans la santé : défense du service public contre la marchandisation et la privatisation de la santé, défense de la Sécu. Elle a ainsi pu être rejointe par la coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité, ainsi que des associations de patients et de défense du droit à la santé. Elle a le soutien du collectif « Notre santé en danger » et, dans ce cadre, des partis politiques à la gauche du PS.
Alors que se développent dans toute l’Europe (Belgique, Grande Bretagne, Grèce, Portugal, « marées blanches » en Espagne) des résistances massives aux attaques sur les systèmes de santé, l’hirondelle de la Convergence ne fait pas forcément le printemps des luttes, mais elle peut y contribuer.
La Commission nationale santé-sécu-social du NPA