Michel Antony, ancien syndicaliste, défend les services publics d’une manière plurielle et convergente. Il est président du Comité de vigilance pour le maintien des services publics de proximité (Haute-Saône)1 et prépare actuellement les journées de mobilisation du 12 au 14 mai 2023 à Lure pour un nouvel élan pour nos services publics. L’Anticapitaliste l’a rencontré.
Quel est aujourd’hui l’état des services publics ?
Les services publics n’ont jamais été aussi dégradés. C’est un abandon complet au niveau politique et idéologique depuis bientôt 30 ans. On a de moins en moins de personnelEs dans les hôpitaux, dans les gares, dans les tribunaux. On supprime et on réduit les services ruraux excentrés mais pas seulement. Les banlieues comme le Val-de-Marne, la Seine-Saint-Denis sont les pires cas en France en termes de raréfaction. Toute la France est touchée par des services publics pour la plupart exsangues. Les personnelEs en nombre insuffisant perdent la foi, démissionnent. Dans les gares, on ferme les guichets. Il n’y a pratiquement plus de contrôleurEs donc on ne peut plus aider les gens en difficulté dans les trains. Les tribunaux sont tous regroupés dans les chefs-lieux. On force les gens à se déplacer, subissant ainsi la double peine. Les Gilets jaunes ont été un catalyseur important de ce qu’on subit. L’obligation de mobilité, cela coûte cher, c’est anti-écologique, c’est dangereux (risques et pertes de chance), c’est une perte de temps.
Il y a une nécessité forte d’une réaction. Alors pourquoi maintenant ?
Parce qu’on arrive au bout du bout. Il y a 20 ans, quand on nous proposait des mesures de regroupement, de mutualisation ça pouvait encore passer. On se disait oui c’est vrai il y a des difficultés, des problèmes de moyens. On va essayer de faire au mieux. Sauf qu’aujourd’hui ces mots de mutualisation et de regroupement sont tous faits pour une réduction systématique du service public. La situation est tellement dramatique et subie par toutes et tous qu’il y a enfin une vraie convergence entre associations d’éluEs, syndicats, associations d’usagerEs. Des volontés unitaires apparaissent et se renforcent enfin.
En 2004, j’ai contribué à la naissance de la Coordination des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité dont le siège national est à Lure en Haute-Saône et en 2005 à celle de la Convergence nationale de défense et de développement des services publics. À l’époque et depuis, on a toujours mis en avant que pour bloquer la machine qui nous écrase, les personnelEs, les professionnelEs, leurs syndicats, les associations d’usagerEs, les mouvements citoyens et les éluEs locaux devaient être ensemble. Nous avons l’obligation de marquer un grand coup d’arrêt. Il y en a marre ! C’est assez ! Il faut renverser la politique générale que tous les gouvernements ont menée. Il faut que l’ensemble des partenaires concernés se regroupent et c’est le moment ou jamais de le faire, car la population dans son ensemble est avec nous.
Pourquoi Lure en Haute-Saône ?
Depuis environ 40 ans, Lure a une tradition de lutte et de mobilisations plurielles et dynamiques pour résister contre la destruction des services publics. Dans les années 1980, alors que la gauche venait de « prendre le pouvoir », on avait lancé avec Jack Ralite (PCF) comme ministre de la Santé, des mouvements pour défendre la maternité par exemple. Il avait fallu se battre contre ceux dont on était plutôt proches idéologiquement. Localement, on avait mis en place un collectif de défense qui groupait des usagerEs, des militantEs-citoyenEs, des éluEs locaux. Grâce à un vrai ancrage local, on avait eu l’appui de plus de cent mairies, par exemple pour défendre l’hôpital ou les Trésoreries. Ce n’était pas toujours facile, mais on a réussi à faire cette unité, y compris syndicale. Dans certains cas, on a stoppé ou limité ces destructions de services en Haute-Saône : ici un guichet de gare, là des urgences, ailleurs quelques structures judiciaires. Notre ville est un peu symbolique : ce qu’on subit à Lure depuis 40 ans, toutes les communes de petite ou de grande taille, y compris le cœur de Paris aujourd’hui, le connaissent. L’idée c’est donc de valoriser ces innombrables luttes locales, de les généraliser, de les coordonner et les faire converger dans un mouvement plus puissant.
Comment cet événement va s’organiser ?
Lors des rencontres de Lure en mai prochain, nous allons travailler ensemble, malgré nos différences. La Convergence nationale pour les services publics, la Coordination nationale pour la santé, la Convergence nationale rail et plus de 180 autres organisations et associations (partis, syndicats, associations) vont débattre, proposer et manifester ensemble. Notre appel pour un Nouvel Élan pour les services publics résume bien cette volonté d’avancer unitairement pour remettre au premier plan nos biens communs et l’intérêt général, en favorisant toujours une vraie proximité et en s’appuyant sur des réseaux les plus écologiques afin de garantir une mobilité choisie. Les choix humains, l’égalité et la solidarité doivent l’emporter sur toute autre considération administrative ou financière.
Vous attendez combien de personnes ? Quelles sont vos ambitions pour cet événement ?
On attend du monde. Les 183 organisations nationales et régionales signataires (c’est colossal) enverront des délégations, participeront aux ateliers de réflexion, à la tenue des stands du Village des services publics dans le Parc de l’Abbaye. D’autres signatures sont en attente. C’est quasiment du jamais vu. Le ras-le-bol est tel que le mouvement prend bien et s’élargit sans cesse à des mouvances moins traditionnelles dans ce type de regroupement : LDH, UNEF, mouvements féministes, de retraitéEs, de mutualistes, collectifs locaux…
Un gros travail de réflexion est prévu sur ce que doivent être les services publics, sans en nier les manques. Au-delà de la défense de l’existant, on va tout faire pour partir des besoins des populations et des territoires pour nos propositions. Il faut améliorer et développer les services publics, en créer de nouveaux. Comment gérer les problèmes de l’agriculture, de l’eau, des finances, du logement ? Comment démocratiser les services publics ? À les rendre aux usagerEs-citoyenEs qui sont les premierEs concernés ? Les orientations peuvent être parfois plus autogestionnaires. Il peut s’agir aussi de redonner vie et pouvoir à des structures plus représentatives et délibératives. Dans l’après-midi du samedi 13 mai une grosse manifestation nationale donnera de l’éclat à cette mobilisation, que l’on veut festive et conviviale.
On espère augmenter largement cette convergence. Il faut qu’on amène dans le mouvement l’ensemble des organisations, des fédérations, des unions locales, des collectifs. On espère plusieurs milliers de personnes à Lure. C’est toute notre société qui est appelée à se battre pour son propre intérêt.
Propos recueillis par Norbert Nusbaum