Publié le Dimanche 16 février 2025 à 11h00.

« Face au libéralisme et à la menace d’une prise de pouvoir par l’extrême droite, il faut être inventifs et ambitieux ! »

Entretien. Le 11e Congrès national de la FSU (Fédération syndicale unitaire) s’est tenu à Rennes du 3 au 7 février. La nouvelle secrétaire générale, Caroline Chevé, a bien voulu répondre aux questions de L’Anticapitaliste.

Comment devient-on secrétaire générale de la FSU, Caroline Chevé ?

Mon parcours est un parcours militant assez classique, militante au secteur « entrée dans le métier » du SNES FSU, puis à la direction de la section académique d’Aix-Marseille, élue des personnels en comité technique, en CAP (commission administrative paritaire) et en CHSCT, j’ai pris une première casquette « fédérale » en 2019, en pleine bataille sur les retraites, comme secrétaire départementale de la FSU13. Le mouvement de 2023 m’a amenée à m’impliquer pleinement dans la réflexion fédérale nationale, je pense que c’est comme ça que l’idée a émergé dans la FSU de me confier cette tâche.

Quels ont été les temps forts du congrès ?

Sans conteste la réunion de la commission Droits des femmes : la salle était pleine, l’ambiance combative et joyeuse, un moment fort qui annonce une belle grève féministe le 8 mars ! Je retiens aussi l’intervention de Saed Erziqat, secrétaire général du GUPT (General Union of Palestinian Teachers) dont le témoignage sur l’éducation nous a bouleverséEs. Et bien sûr les autres interventions des invitées, Cécile Duflot pour l’AES (Alliance écologique et sociale), et les secrétaires générales de la CGT et de Solidaires : les femmes sont désormais majoritaires dans l’intersyndicale interpro !

La FSU est très diverse : le congrès a-t-il arrêté des axes revendicatifs unifiés permettant de mobiliser toutes les composantes, dans l’unité avec les autres organisations syndicales ?

La FSU est présente dans la fonction publique de l’État et dans la territoriale. La mobilisation de 2023 contre la réforme des retraites continue de produire des effets : maintenant que le dossier est rouvert, nous allons peser pour obtenir l’abrogation de cette réforme, et remettre sur la table les conséquences désastreuses des précédentes, notamment pour les femmes. Nous n’acceptons pas que les retraites des fonctionnaires soient discutées en l’absence d’une de leurs principales organisations syndicales, c’est pourquoi nous exigeons d’être reçuEs. Pour cela il nous faut alimenter le rapport de forces, et nous sommes prêtEs à mobiliser nos collègues.

Les rémunérations des agentEs de la fonction publique sont centrales : il faut augmenter de 20 % le point d’indice et donner 80 points supplémentaires à toutEs les agentEs tout de suite. Il faut revaloriser les métiers les plus féminisés qui sont les moins bien rémunérés, et les plus précaires. Il faut arrêter les politiques d’individualisation des rémunérations qui cassent les collectifs et aggravent les inégalités. Nous sommes aussi bien déterminéEs à faire reculer le gouvernement sur les 90 % de rémunération en congé maladie : au regard des conditions de travail et du vieillissement des agentEs de la fonction publique, c’est inadmissible. D’autres chantiers sont fondamentaux : la santé au travail, l’aménagement des fins de carrière, les recrutements...

Le budget d’austérité, arraché par un triple 49.3, aura des conséquences terribles sur les services publics. Nous avons gagné contre la suppression des 4 000 postes à l’éducation, mais si nous n’obtenons pas de collectif budgétaire pour créer des postes, la rentrée scolaire 2026 va encore être très dure. Là aussi nous alertons et mobilisons nos collègues !

Ce sont des sujets qui rassemblent au sein des intersyndicales au niveau interpro, fonction publique, ou dans les secteurs, même si nous ne voyons pas touTEs les choses de la même façon : nous continuons à travailler à des stratégies communes.

Nous sommes aussi engagéEs dans une campagne unitaire pour lutter contre le racisme et l’antisémitisme sur les lieux de travail, pour nous, c’est central.

Où en êtes-vous des contacts avec la CGT ? Et Solidaires ? La maison commune ?

La CGT et Solidaires sont nos partenaires permanents dans les luttes, nos analyses convergent la plupart du temps. Nous nous retrouvons dans une même ambition de développer un syndicalisme qui transforme la société tout en défendant les travailleurEs. La FSU porte depuis longtemps l’ambition de construire un nouvel outil syndical, capable de répondre aux enjeux actuels. Pour cela elle s’adresse prioritairement à la CGT et à Solidaires, mais sans exclusive des forces qui pourraient nous rejoindre. Avec la CGT des discussions ont commencé l’an dernier, pour engager une étape de rapprochement qui ne soit pas une affaire d’appareils syndicaux, mais une dynamique visant à renforcer notre syndicalisme. Dans la perspective de la construction d’un nouvel outil syndical, a émergé l’idée de la mise en place d’une « maison commune du syndicalisme de lutte et de transformation sociale » à construire avec souplesse en fonction des secteurs et en s’appuyant sur le contexte local, au plus près du terrain qui pourra entraîner les équipes militantes au-delà des seules FSU et CGT.

Concrètement, il s’agit de proposer des espaces d’échanges et de travail thématiques pour bâtir ensemble des plateformes revendicatives, de développer un catalogue partagé de formations syndicales en direction des militantEs comme des salariéEs, à l’image de ce qui a été initié sur la lutte contre les idées d’extrême droite. Nous allons aussi envisager des initiatives, des publications et des campagnes communes en direction des salariéEs. Dans la fonction publique, nous pensons à la préparation collective et partagée des instances de l’administration ou des collectivités, quand cela est possible, en complément de ce qui est fait par nos syndicats nationaux.

Face au libéralisme, et à la menace d’une prise de pouvoir par l’extrême droite, si on veut renforcer le syndicalisme de transformation sociale et trouver un souffle nouveau pour le monde du travail, il faut être inventifs et ambitieux !

La FSU a participé au NFP. Est-elle prête à s’engager à nouveau, pour la défense des libertés et contre l’extrême droite, dans la construction d’un cadre unitaire social et électoral regroupant partis, syndicats, mouvements sociaux ?

Attention soyons précis ! La FSU a participé à la dynamique du NFP, pas au NFP en tant que tel, au sens de l’alliance qui ne concerne que les partis. Face à la menace d’une prise de pouvoir par le RN aux législatives de 2024, la FSU s’est engagée de manière inédite : elle a appelé à voter pour le programme du NFP, en considérant qu’une part importante de ses revendications — mais pas toutes — s’y trouvaient. 

Elle l’a fait en toute indépendance et en conscience. Elle s’est investie fortement dans la dynamique incroyable qui a empêché la victoire de l’extrême droite, manifestation, meetings, expressions publiques… 

Aujourd’hui la FSU considère qu’il faut peser sur les programmes des organisations progressistes, elle le fait dans de multiples cadres, parfois seulement avec les organisations syndicales et les associations, parfois aussi avec les organisations politiques, sur des sujets majeurs comme la lutte contre l’extrême droite, l’égalité entre les femmes et les hommes, la défense des libertés… L’idée d’un cadre unitaire tel que vous le décrivez dans votre question ne correspond pas, aux yeux de la FSU, à la période que nous connaissons et elle pourrait mettre à mal l’indépendance syndicale. Les organisations syndicales doivent conserver toute leur latitude pour définir les stratégies avec les salariéEs et les agentEs publics. C’est sur le lieu de travail que se construisent les mobilisations qui permettent de peser sur le politique. En revanche nous pensons essentiel de multiplier les espaces d’échanges, de rencontrer les partis et les éluEs pour nourrir les programmes et ouvrir des débouchés politiques à nos luttes.

Propos recueillis par Vincent Gibelin