Entretien. Alors que les agriculteurEs se battent pour un revenu décent et la reconnaissance de leur métier, non sans certaines contradictions parmi elles et eux, nous avons rencontré Olivier Lainé, militant de la Confédération paysanne en Seine-Maritime (76) et membre de sa commission climat, qui nous explique les raisons de la colère et les revendications.
La Conf’ en lutte avec la FNSEA, ce n’est pas courant, qu’en dis-tu ?
Les manifestations agricoles qui s’étendent en Europe et en France expriment une crise du revenu et de la reconnaissance de nos métiers. La Confédération paysanne, membre avec d’autres syndicats européens de Via Campesina, en dénonce les causes depuis des années. La libéralisation et l’industrialisation de l’agriculture sont la conséquence des choix politiques faits par le gouvernement en cogestion avec la FNSEA qui s’oppose au plafonnement des aides, à l’augmentation des aides agro-environnementales, qui nous pousse vers les productions d’énergie pour remplacer un vrai revenu de notre production agricole, qui encourage l’agrandissement et la course à la compétitivité pour développer nos exportations. La crise agricole qui se manifeste aujourd’hui montre les limites du modèle construit depuis des années par la FNSEA. Pour autant, dans cette période de crise, les paysanNEs se mobilisent et c’est une bonne chose. La Conf’ est naturellement à leurs côtés.
Peux-tu détailler plus précisément les causes de la crise ?
Les causes sont multiples. D’abord, il y a la course à l’agrandissement, véritable compétition entre paysanNEs pour accéder au foncier (de plus en plus cher à l’achat) ou à la location (les droits au bail), qui conduit à l’endettement et à la disparition des paysanNEs (perte de 20 % des fermes en dix ans). Quand j’ai démarré mon activité, en 1982, les paysanNEs représentaient 7 % de la population active. En 2022, c’était moins de 3 %. Dès qu’unE agriculteurE part à la retraite, la plupart du temps sa ferme part à l’agrandissement de ses voisins, ou bien celui qui a déjà la plus grosse structure récupère les terres. Dans ma région, pour 4 fermes cédées, 1 seule est reprise, les 3 autres sont rattachées à d’autres fermes.
Ensuite, une politique libérale de compétition sur le marché mondial nous force à nous aligner sur des prix de plus en plus bas, en concurrence avec des pays qui n’ont pas les même normes sociales, environnementales, alimentaires. Les traités de libre-échange nous sont défavorables. Comme, par exemple, les accords votés en novembre dernier au Parlement européen (88 % de pour), avec la Nouvelle-Zélande, qui pourraient entrer en vigueur dès juin 2024, pour l’importation de 38 000 tonnes de moutons et 10 000 tonnes de bovins, de 15 000 tonnes de poudre de lait et 25 000 tonnes de fromage. Tout cela, après avoir parcouru 20 000 km, sera vendu moins cher et viendra concurrencer des productions locales.
Enfin, il faut discuter la répartition des aides de la PAC qui vont principalement aux « gros », ceux qui ont de la surface, comme les céréaliers. Notons que le président de la FNSEA, céréalier dans la Brie, exploite avec sa femme 700 ha de terres, et son niveau de revenu qui est dû aux aides de l’Europe est colossal.
Peux-tu revenir sur le revenu annuel moyen des paysanNEs ?
11 000 agriculteurEs touchent le RSA, 41 000 la prime d’activité, 1 paysanNE sur 10 dépend des allocations de solidarité. Sans compter toutes celles et ceux qui ne les touchent pas, découragéEs par les démarches administratives complexes. La profession souffre des prix non rémunérateurs.
Par exemple, le prix du lait bio : payé 480 euros/1 000 litres en 2023, pour un prix de revient de 550 euros. Et c’est la même chose en conventionnel et dans beaucoup d’autres filières. Les prix agricoles ne couvrent pas nos coûts de production, et nous ne pouvons pas répercuter les hausses de charges sur nos prix de vente (énergie, aliments, assurances, entretien, etc.). Pareil pour la hausse du prix du GNR (gazole non routier).
Les politiques agricoles inégalitaires bénéficient avant tout aux grandes exploitations. Les aides directes non plafonnées favorisent les grandes fermes au détriment des petites et moyennes.
Ce qui explique que, sans moyens à la hauteur, de nombreuses fermes hésitent à s’engager dans des changements de pratiques, alors qu’une grande partie des agriculteurEs seraient intéressés pour le faire. Qui accepte de transformer radicalement son système quand le revenu est précaire, l’avenir incertain et les investissements colossaux ?
Beaucoup de paysanNEs se tournent vers la méthanisation, l’agrivoltaïsme pour avoir des compléments de revenus. Des énergéticiens sont à l’affût du business. Est-ce pour toi une solution ?
La Confédération paysanne défend la méthanisation pour valoriser les effluents, lisiers... Là où le système est perverti, c’est quand on cultive des céréales (comme le maïs, très méthanogène) pour alimenter les méthaniseurs. Les CIVES (céréales intermédiaires à vocation énergétique) sont quasi impossibles à cultiver dans les régions soumises à la sécheresse.
Quant à l’agrivoltaïsme, il pose le problème du foncier. Le projet gouvernemental est de couvrir de panneaux 45 000 hectares prochainement. Ça ne va pas du tout. Les toits des parkings, immeubles... pourraient être équipés de panneaux.
Le mouvement actuel n’aborde pas l’idée que le sort de tous les travailleurs et travailleuses est lié, qu’on travaille en usine, dans un bureau, à l’hôpital ou la terre. Qu’en penses-tu ?
Peut-être que la Confédération paysanne n’insiste pas assez là-dessus. Oui, le sort des producteurs et des consommateurs est lié. Les salaires sont trop bas, l’inflation mine les petits budgets. C’est aussi pour ça que la Conf’ défend la perspective d’une sécurité sociale de l’alimentation, comme une nouvelle branche de la Sécu.
Quelles perspectives pour la suite ?
Le problème de l’agriculture ne se réduit pas aux « normes environnementales ». Quand elles seront supprimées, aura-t-on une hausse de nos prix et une baisse de nos charges ? Non bien sûr.
Les défis écologiques de l’agriculture sont nombreux, et il est irresponsable de vouloir les éviter : pollution par les produits phytosanitaires (l’eau n’est pas potable dans de nombreux captages de Seine-Maritime), érosion des sols, disparition des puits de carbone que sont les prairies naturelles, destruction des paysages, de la biodiversité, contribution aux émissions de gaz à effet de serre.
Refuser aujourd’hui la transition écologique, c’est ignorer la question du dérèglement climatique qui risque de compromettre la production agricole, notre alimentation et l’avenir de l’humanité.
La Confédération paysanne préfère regarder cette vérité en face, et réclamer un accompagnement pour engager une transition vers l’agro-écologie. Et ceci en préservant nos revenus, qui est la condition première pour que les paysanNEs acceptent de s’engager dans des changements. Et en nous protégeant de la concurrence déloyale des importations à bas prix.
Refuser aujourd’hui la transition écologique conduirait à un divorce entre les paysanNEs et les attentes sociales. Si nous voulons que les consommateurs nous comprennent et nous suivent, nous devons nous aussi faire la démarche d’être à l’écoute des enjeux sociétaux.
Propos recueillis par la Commission nationale écologie