Publié le Samedi 4 février 2012 à 12h26.

La Poste, deux ans après

En octobre 2009, des centaines de collectifs organisaient une mobilisation « citoyenne » contre la privatisation de la poste. Faute d’une grève massive des postiers, ce fut un échec. Depuis, les conséquences funestes des réorganisations incessantes frappant les postiers ont périodiquement défrayé la chronique. Deux ans après l’adoption de la loi transformant officiellement la poste en société anonyme, où en est la plus grosse entreprise de France ?

Le Groupe La Poste est le premier employeur du pays (287 000 agents en 2010), et s’est hissé en 2010 au 24e rang des entreprises françaises en matière de chiffre d’affaires (20,9 milliards d’euros). C’est désormais le 2e opérateur postal européen au niveau du courrier et du colis express européen (20 % du marché européen pour le colis express). Certains secteurs de l’entreprise sont particulièrement rentables, comme la filiale du colis, ColiPoste, à propos de laquelle la direction du groupe explique que « les volumes traités au 1er semestre 2010 augmentent de 2,4 %, permettant ainsi une hausse de 3,4 % de son chiffre d’affaires par rapport au 1ersemestre 2009, pour atteindre 697 millions d’euros. Cette année encore, le chiffre d’affaires provenant du e-commerce a connu une croissance à deux chiffres (+ 12 %) »1.

Une multinationale en formation sous l’égide de l’État

Contrairement à ce qu’on aurait pu craindre, la poste n’a pas été vendue à la découpe et au plus offrant. La stratégie de la direction du groupe est plus subtile.

Le « Groupe La Poste » est constitué d’un ensemble de quatre holdings… réunissant presque 200 filiales !

Sofipost est la holding regroupant les activités Courrier, qui malgré tous les discours de la direction sur la « baisse structurelle du trafic de courrier », génèrent 52 % du chiffre d’affaires. Geopost concentre les activités colis et express (dont Chronopost), dont l’importance progresse (23 % du CA). La Banque postale et La Poste mobile ont développé récemment des partenariats avec des capitaux privés. La Poste mobile est détenue à 49 % par SFR et se développe en s’appuyant sur l’infrastructure du groupe privé et sur le réseau commercial de La Poste. La Banque postale se transforme peu à peu en un groupe financier qui prétend concurrencer les grandes banques en s’associant (entre autres) à la Société générale, Groupama et à CNP assurances. Ces partenariats constituent une entrée « par la grande porte » des capitaux privés.

Mais le privé se creuse également une niche au sein du groupe « par en bas » : la livraison des colis postaux, du colis express et, de plus en plus, du courrier aux entreprises sous contrat, est assurée par des sous-traitants, en bonne partie de toutes petites entreprises où les salariés travaillent dans des conditions difficilement imaginables. L’embauche à la journée, le paiement à la tâche (50 centimes par colis distribué…) et les journées de travail de plus de 10 heures se généralisent chez les livreurs travaillant pour Coliposte.

Cependant, l’État dispose toujours de 100 % des voix au conseil d’administration du groupe. Il garde en main les leviers essentiels. Il s’appuie sur certains capitaux privés pour exercer une pression à la baisse sur les salaires et sur les conditions de travail… mais aussi pour faire de La Poste une multinationale à la pointe des activités postales et des télécommunications, et à la fois un groupe financier de premier plan. Dans une tradition très classique pour le capitalisme français, l’État aide à la constitution de ce qu’il espère devenir un grand groupe…

Vicissitudes de l’insertion sur le marché mondial

La Poste a développé ces dernières années une implantation internationale tout à fait significative : elle effectue notamment des livraisons dans 40 pays, principalement en Europe mais aussi en Turquie, aux États-Unis… Sa stratégie d’insertion à un niveau international sur les secteurs des télécoms et de la finance, et de développement des segments rentables de ses activités historiques de distribution a un impact double. D’un côté, cela rend évidemment la direction plus forte : elle est plus prospère et plus arrogante, elle n’hésite plus à réprimer les militants syndicaux offensifs comme n’importe quelle multinationale privée (voir encadré page 15).

Mais le revers de la médaille, c’est qu’en étant plus insérée sur le marché mondial, La Poste est plus sujette aux secousses de la crise : « l’impact de la crise de la dette grecque a grevé les comptes de La Poste, dont le bénéfice net plonge de 21,2 %, à 377 millions d’euros au premier semestre. La Banque postale a ainsi passé 158 millions d’euros de provisions pour couvrir la perte de valeur des titres grecs qu’elle a en portefeuille »2.

Une fragmentation du salariat... toute relative

Les salariés du groupe La Poste sont dispersés comme on l’a vu dans de nombreuses filiales, mais il faut ajouter que concernant la « maison-mère », les divisions entre les quatre grandes activités (bancaire, courrier, colis, enseigne) se sont renforcées au cours de ces dernières années, y compris sur le plan « physique » : des murs et des portes à code séparent par exemple les guichetiers et les facteurs qui, il y a 20 ans, travaillaient dans les mêmes bâtiments sous l’autorité d’un même patron.

Les fonctionnaires sont en passe de devenir minoritaires au sein de La Poste par rapport aux contractuels qui n’ont pas les mêmes droits. Plusieurs conventions collectives s’appliquent même pour des salariés qui travaillent au contact les uns des autres. Les salariés de Chronopost par exemple, relèvent de la convention collective du transport routier !

Course à la rentabilité

Diviser ainsi les postiers sert bien sûr un seul objectif: faciliter la mise en place des «réorganisations». Il s’agit de plans de rationalisation de la production, appliqués secteur par secteur et établissement par établissement : « Facteur d’avenir » pour la distribution, « Cap qualité courrier » pour les centres de tri, « Espace service client » au guichet… fascinante poésie patronale ! Une rationalisation d’un point de vue étroitement patronal, car la qualité de service se dégrade à vue d’œil, en particulier dans la distribution du courrier et du colis. Une rationalisation qui s’est surtout traduite par la suppression de 11 % des effectifs entre 2002 et 2010 (-36 000 postes !).

Ainsi, la « marge d’exploitation » de La Poste qui oscillait autour de 0 entre 1991 et 2002, est passée à 3,7 % en 20093. La direction de La Poste a fixé elle-même son objectif de rentabilité à 7-8 % pour 2015. On mesure le chemin parcouru… et celui à parcourir quand on sait que les grands groupes financiers ont tendance à exiger un « retour sur investissement » de 15 % !

Le tableau d’ensemble n’est donc pas très beau à voir : une entreprise qui combine les pires aspects du public (le fonctionnement bureaucratique et les salaires faibles) et les pires aspects du privé (la pression commerciale, l’instabilité de l’emploi). La gauche institutionnelle, qui a impulsé le processus de privatisation au début des années 1990, porte une grande part de responsabilité dans cette situation…

Nouveaux points faibles et anciens bastions

Mais les bouleversements que connaissent les activités historiques de La Poste ont créé de nouvelles concentrations de salariés relativement importantes, à des échelons décisifs : les plateformes colis (centres de tri de colis) et les nouveaux centres de tris de courrier géants (« Plateformes industrielles courrier ») couvrent des zones géographiques très étendues et regroupent plusieurs centaines de salariés. Au niveau du colis, la région parisienne concentre la moitié du trafic colis. Deux PFC (Gennevilliers et Moissy) trient l’ensemble des colis de la région. Le blocage de seulement deux sites peut paralyser 50 % du trafic d’un des secteurs les plus rentables pour La Poste…

Après la grande grève de 1974, la direction avait fait le choix d’éclater les gros centres de tri en de plus petites unités (plusieurs centres de tri par département). Plateformes industrielles colis et Plateformes colis sont désormais des points sensibles : à la fois stratégiques d’un point de vue de la production, et de grosses concentrations de salariés. Si une bonne partie des salariés travaillant au sein de La Poste sont dans de petites unités, avec des contrats précaires etc., des centaines de milliers sont concentrés dans des établissements de plusieurs dizaines ou centaines de salariés, des établissements qui dans les grandes agglomérations sont géographiquement proches les uns des autres.

Le développement des filiales, la baisse globale des effectifs, l’arrivée de la sous-traitance, l’apparition de concurrents n’entraînent pas la disparition des « gros morceaux » en termes de corps de métiers : La Poste compte 48 000 guichetiers, 100 000 facteurs… des métiers d’exécution où comme la charge de travail est de plus en plus lourde, La Poste a embauché des salariés jeunes, souvent issus des quartiers populaires. Ce sont aussi des secteurs où les syndicats sont loin d’être absents. À partir de ces bases arrière, il est possible de mener des bagarres et d’impacter par cercles concentriques l’ensemble du groupe et du secteur.

Luttes : du nouveau sous le soleil ?

Évidemment, la conséquence des réorganisations, c’est d’abord et avant tout une augmentation de la charge de travail. Comme l’a montré le fameux rapport du syndicat des médecins de prévention de La Poste, l’impact en termes d’accidents du travail, de maladies professionnelles et de suicides est accablant. Presque personne parmi les salariés d’exécution ne défend les projets de la boîte… d’autant moins quand on sait que les postiers sont parmi les moins bien payés des anciens et actuels services publics (un facteur débutant gagne le Smic) et que les dix plus gros salaires atteignent 36 000 euros mensuels !

Des bagarres nombreuses mais dispersées

Face à cette réalité, la plupart du temps, le sentiment de résignation domine. Mais il est frappant, depuis plusieurs années, que pas une semaine ne passe sans qu’une grève de postiers se déclenche quelque part. Ces conflits touchent tous les métiers, toutes les régions… mais se déroulent les uns à la suite des autres. Ils parviennent parfois à limiter l’impact des réorganisations.

Même si aucune direction syndicale ne propose de perspective d’affrontement sérieux, depuis deux ans, les conflits sont de plus en plus longs et parfois plus dynamiques en termes de tentatives d’extension, de recherche du soutien de la population. Rassemblements de plusieurs centaines d’usagers à Decazeville ou Millau (Aveyron) en novembre dernier, tentatives d’extension de la grève à Paris 15 cet hiver, grèves regroupant plusieurs établissements dans le 92 et le 91, dans la banlieue grenobloise, occupations dans le style des « Indignés » et menace de grève de la faim encore dans la banlieue grenobloise… les postiers, lorsqu’ils sont aidés par des équipes militantes combatives, démontrent une aptitude à mener des conflits durs.

Pourtant, aux élections professionnelles de cet automne, au niveau national, les organisations syndicales les plus à droite (notamment FO et CFDT) connaissent une poussée, la CGT poursuit sa baisse historique (de presque 40 % en 1994 à moins de 30 % aujourd’hui) et SUD stagne autour de 22 %... tandis que la participation des postiers hors filiales est en baisse de 5 %.

Mais lorsqu’on épluche les résultats locaux, on se rend compte que les syndicats locaux les plus combatifs recueillent des scores très importants dans les départements ou même dans les bureaux où ils sont implantés (par ex. : plus de 48 % des voix au courrier pour SUD 91 qui a déclenché de multiples luttes ces derniers mois). Là où on propose aux postiers de se battre en regroupant les bureaux et même les services, là où des conflits ont été menés de manière exemplaire, les scores des organisations syndicales combatives sont élevés, et les postiers, loin de condamner le choix de l’affrontement, le valident. On court aujourd’hui le danger d’un glissement à droite des forces syndicales vers l’accompagnement des réorganisations, agrémenté d’un discours plus ou moins « responsable » ou plus ou moins « radical »... au moment même où une partie des postiers sont disponibles pour la lutte.

Le problème aujourd’hui est donc bien d’arrêter avec les grèves saucissonnées secteur par secteur et bureau par bureau, et de chercher à regrouper les bagarres au niveau national (et même au-delà...). Et mettre le doigt où ça fait mal, sur les questions qui regroupent à la fois tous les postiers mais aussi tous les travailleurs: les salaires, l’emploi et les conditions de travail. o Mobilisation contre la répression : le prochain épisode !

Quinze postiers du 92, dont Olivier Besancenot, sont toujours poursuivis pour « entrave à la liberté du travail » et « séquestration ». Les plaignants, des cadres de La Poste, ont fait appel de la décision du tribunal correctionnel du 5 septembre dernier : pour eux, déclarer les quinze postiers grévistes du 92 coupables, leur infliger 1 500 euros d’amende avec sursis et les mettre à la merci de nouvelles procédures disciplinaires, ce n’était pas suffisant ! Le jugement en appel peut annuler la peine… ou l’aggraver. Refusons que des collègues soient traités en délinquants parce qu’ils ont mené des grèves contre les suppressions d’emplois ! Donc RDV le 1er février devant le tribunal de Versailles, pour obtenir que les quinze postiers soient relaxés en appel !

Hosea Hudson

1. www.laposte.fr/legroupe/…

2. www.latribune.fr/entrepr… 3. www.ccomptes.fr/fr/CC/do…, page 14, www.usinenouvelle.com/ar…