Les terrasses des restaurants, cafés et bars français ou encore les plages recommencent à se remplir à partir de ce mardi 2 juin 2020. Depuis plusieurs jours déjà, les berges de la Seine à Paris, les bords des canaux et d’autres lieux sont de nouveau très fréquentés. Or, à la différence de plusieurs pays voisins, le gouvernement français continue obstinément à refuser d’autoriser des rassemblements publics à caractère politique ou social. En Allemagne, au contraire, le Tribunal constitutionnel fédéral (équivalent du Conseil constitutionnel, en France) a autorisé explicitement des manifestations sur la voie publique dès le 16 avril – mesures de confinement ou pas – à la condition que les organisateurs/organisatrices prennent des mesures de protection contre les risques sanitaires liés au « nouveau Coronavirus » (SARS Cov-2).
La marche des solidarités interdite...
Une manifestation de cinq à dix mille personnes, interdite par la préfecture de police mais puissante, a néanmoins pu se tenir samedi 30 mai 2020 à Paris. Il s’agissait d’apporter une solidarité active aux personnes réfugiées ou migrantes, souvent parmi les premières victimes de la classe sanitaire parce que parquées en centre de rétention, abandonnées dans des foyers formels ou informels (tels que « les Baras » à Montreuil) sans protection réelle contre les risques de contamination au Covid-19, privées de droits. D’autres rassemblements sont attendus dans la semaine, à Paris et ailleurs en France, notamment pour protester contre le meurtre de George Floyd aux États-Unis.
Si nous nous félicitons évidemment de ces succès, nous continuerons à dénoncer la décision des pouvoirs publics français d’interdire par principe les rassemblements publics, alors qu’ils rouvrent toutes les écoles, laissent les salariéEs emprunter le métro – où la densité est parfois bien supérieure à celle de tout rassemblement – ; et alors que le Conseil d’État, après avoir été saisi par plusieurs associations catholiques d’extrême droite (Civitas, la Fraternité Saint-Pie X, l’AGRIF…), a ordonné la réouverture des églises et autres lieux de culte.
Le déconfinement et le renforcement de l'interdiction de manifester
Sur le plan juridique, la situation était (paradoxalement) plus ambiguë avant le « déconfinement » qu’elle ne l’est aujourd’hui.
Au cours du « confinement » (du 17 mars au 10 mai 2020), d’un côté, le décret n° 2020-293 en date du 24 mars 2020 n'interdisait, dans son article 7, que les rassemblements à partir de cent personnes. Cela n’a jamais annoncé comme tel dans le débat public au cours du « confinement » – le discours politique partait toujours du présupposé que les rassemblements dans l’espace public étaient interdits –, mais le nombre inscrit dans le droit positif était alors, concrètement, de cent personnes.
Toutefois, cette non-interdiction des rassemblements jusqu’à cent personnes était contrebalancée par l’article 3 du même décret n° 2020-293 du 24 mars 2020, qui introduisait également l'obligation d'être en possession d'une Autorisation dérogatoire de déplacement, limitant de fait les sorties personnelles à une heure quotidienne, sauf si la sortie était liée au travail.
À Paris, à partir d’un arrêté préfectoral du 7 avril 2020, l’exercice physique individuel (la pratique sportive) était, en plus, cantonné à une période quotidienne entre 19 heures et 10 heures du matin, le lendemain. Cela menaçait, de fait, les participantEs à tout rassemblement d’une amende de 135 euros dans la mesure où la participation à un rassemblement (par exemple politique) n’était pas prévue dans l’une des cases du document type d’Attestation dérogatoire de déplacement téléchargeable sur le site du ministère de l’Intérieur.
Depuis le « déconfinement », l’article 7 du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 interdit tout rassemblement de « plus de dix personnes », ceci jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire, actuellement en vigueur jusqu’au 10 juillet 2020 (et qui sera éventuellement prolongé).
Le préfet, la préfète ou, dans le cas parisien, le préfet de police peut cependant autoriser les rassemblements considérés comme « indispensables à la continuité de la vie de la Nation ». La manifestation du 30 mai dernier, par exemple, n’avait pas la chance d’être rangée par l’autorité préfectorale dans cette rubrique.
Même le président du groupe parlementaire principal de la droite, Damien Abad (LR), demande dans le Parisien du 29 mai 2020 « la levée » de cette interdiction. Certes, Les Républicains le font sans doute parce qu’ils se trouvent actuellement dans l’opposition. Mais le camp gouvernemental trouve, sans doute, l’occasion trop pelle de museler toute contestation sous prétexte de risque sanitaire… Nous ne l’accepterons pas plus demain qu’aujourd’hui.