En matière de pensée libertaire (adjectif servant aujourd’hui d’adjuvant de saveur à n’importe quoi, même à l’extrême droite), C. Ferrer s’y connaît mieux que d’autres, et largement. Sociologue argentin né en 1960, auteur notamment d’une Critique de la violence technique (2000) qui reste à traduire, il a publié une Anthologie de la pensée anarchiste contemporaine, ainsi que ce livre remarquable par son élégance d’écriture (de traduction et d’édition aussi) et sa lucidité sans faux-semblants, au risque que l’ennemi s’en réjouisse. L’anarchisme, surgi comme « un miracle, un don de la pensée politique », risque-t-il de disparaître de la planète comme il disparut longtemps d’Argentine ? Du fait de son radicalisme, n’était-il pas déjà « quasi né en état d’extinction », et ses promoteurs condamnés à de rudes « vies réfractaires » dont ce volume rapporte quelques exemples splendides ?
Leur « modèle de vie » et d’opposition à la domination se trouve perdu de vue du fait du petit nombre de ses tenants, du déclin de l’idéal d’émancipation consécutif à l’effondrement de l’URSS, et de l’oubli progressif des luttes passées, comme si « une force comparable à celle du déluge » était venue « emporter les ponts de l’histoire ». Chaque grande tendance politique révolutionnaire se trouvant de ce fait affrontée à son propre « drame culturel », C. Ferrer ne ménage ni la social-démocrate ni la communiste mais n’épargne pas non plus la libertaire, tout en dégageant son rôle irremplaçable face au « mystère de la hiérarchie » pesant aujourd’hui sur la plupart des groupes humains. C. Ferrer ose même cette formule, « l’anarchisme n’existe pas, il est une insistance ». Pour ses vues critiques et ses propositions (par exemple contre l’envahissement de la vie par l’argent), son livre est de ceux qu’il importe de lire et de méditer.
G. B.
Plon, 216 pages, 19 euros