Publié le Lundi 5 avril 2010 à 12h23.

Retraites : une fatalité démographique ?

En avril prochain, le gouvernement ouvrira officiellement le débat sur les retraites pour légiférer en automne 2010. Mais la bataille idéologique a déjà commencé. Gouvernement, patronat et experts en tous genres, nous martèlent que parce que nous vivons plus longtemps qu’il y a quarante ans cela nous obligerait à travailler plus longtemps. Derrière cette rengaine, ils nous préparent l’allongement de la durée de cotisation, la fin de la retraite à 60 ans et surtout une baisse drastique du niveau des pensions.

Il y avait 11 millions de retraités en 2000, ils seront 21 millions en 2040. C’est un fait qui doit être analysé en détail pour en tirer toutes les conséquences. L’augmentation du nombre de retraités sera due à deux facteurs : l’allongement de la durée de la vie et l’arrivée à l’âge de la retraite des derniers nés de la génération du « baby-boom » entre 2036 et 2040. Ensuite ce sera au tour des « classes creuses » et à partir de 2036-2040, le nombre de retraités se mettra à diminuer, ce qu’oublient de mentionner gouvernement et patronat.

Inégalités face à l’espérance de vie

Si l’espérance de vie augmente ce n’est pas d’un trimestre par an comme le clame le gouvernement, mais plutôt de 0,44 trimestre selon le rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) de 2007. L’augmentation de l’espérance de vie n’est pas une nouveauté et jusqu’à récemment cela a toujours été accompagné d’une réduction de la durée de travail. C’est ce que nous appelons le progrès. Par ailleurs si l’espérance de vie augmente, l’espérance de vie « en bonne santé », c’est-à-dire sans handicap majeur, n’est pas si élevée que cela. Ainsi, selon une note récente de l’Insee, les hommes peuvent espérer rester en bonne santé jusqu’à 63,1 ans et les femmes jusqu’à 64,2 ans, en moyenne. Mais l’un des problèmes majeurs est que les « seniors » sont inégaux face à l’usure du travail. En effet, l’espérance de vie chez les hommes varie de six ans entre un ouvrier et un cadre. À 35 ans, un ouvrier peut statistiquement espérer vivre encore en moyenne 41 ans et un cadre 47 ans.

Mais sur cette période, un ouvrier vivra en moyenne dix-sept ans avec une incapacité, contre treize pour un cadre. L’ouvrier peut donc espérer vivre en bonne santé jusqu’à 59 ans, soit dix ans de moins qu’un cadre. Quant aux femmes, les ouvrières vivent plus longtemps que les hommes ouvriers mais avec une durée d’incapacité plus longue (22 ans).

Ces écarts montrent l’ampleur des inégalités sociales face aux conditions de travail et de vie. En partant à la retraite à 60 ans, un cadre peut espérer vivre quinze ans sans difficultés contre sept ans pour un ouvrier. Alors si, à 59 ans en moyenne, un ouvrier souffre d’importants problèmes de santé, comment peut-il continuer à travailler au-delà ? À moins de partir à la retraite en renonçant à sa pension à taux plein. Et avec l’augmentation des trimestres de cotisations nécessaires, obtenir une retraite à taux plein sera quasiment impossible pour de nombreux cotisants, obligés de partir en retraite du fait de leur incapacité à travailler. Vu la faiblesse des pensions du régime de base, les salariés bénéficiant des plus faibles revenus auront comme unique alternative de travailler le plus tard possible pour obtenir une pension presque correcte.

Le chômage à la place de la retraite

Ils veulent nous faire travailler plus longtemps mais encore faudrait-il avoir du travail. Actuellement six salariés sur dix sont sans emploi ou touchent des aides sociales, au moment de la retraite. En 2007, on évaluait le taux d’emploi des 55-59 ans en France à 55,4 %. Dans la plupart des cas, les salariés de 55 ans et plus ont été chassés de leur entreprise au nom d’un « plan de modernisation » ou autre plan de prétendue sauvegarde de l’emploi (PSE). Pas un jour sans que l’on n’annonce des licenciements et des suppressions de postes, les cinquantenaires étant massivement touchés et pratiquement sans espoir de retrouver un emploi. Si l’âge de la retraite est repoussé à 62 ans, les pensions de retraite seraient en partie remplacées par des indemnités Assedic ou en RSA pour une majorité des salariés de 60 ans à 62 ans. Pour répondre au chômage des plus de 55 ans, un Plan national pour l’emploi des seniors a été mis en place et s’est fixé l’objectif de parvenir à un taux d’emploi des 55-64 ans de 50 % en 2010. Pour arriver à ce résultat, la droite a mis en place des « emplois vieux », pour inciter le patronat à embaucher les salariés âgés. Il s’agit de contrats à durée déterminés (CDD) de dix-huit mois, renouvelables une fois, à temps partiel. Les employeurs bénéficient ainsi d’une main-d’œuvre moins chère (salaires réduits, exonération des cotisations patronales) et qualifiée. C’est désormais la précarité qui attend les salariés les plus âgés au même titre que les jeunes. Et pour être bien sûr qu’ils n’y échappent pas, le gouvernement veut supprimer la dispense de recherche d’emploi pour les chômeurs de plus de 57,5 ans d’ici 2013 car à cet âge-là « on n’est pas fichu ». Ben voyons, avec l’intensification du travail, les conditions de travail de plus en plus dégradées, la souffrance au travail et le développement de nouvelles pathologies...

 

Solidarité intergénérationnelle

Comme d’habitude, les chiffres les plus catastrophistes sont brandis pour faire accepter l’inacceptable à la majorité de la population. En 1960, il y avait quatre actifs pour un retraité ; en 2000, deux actifs et en 2020, 1,5. C’est vrai. Mais en raison de la productivité du travail (toujours plus importante), les deux actifs d’aujourd’hui produisent plus que les quatre de 1960 et dans dix ans, un actif produira plus que ceux d’aujourd’hui. Autrement dit, il y aura autant de richesses disponibles pour les retraités à condition de permettre à tous et toutes de travailler. Ce n’est pas le chemin qui est pris avec la tendance à faire travailler toujours plus et plus longtemps et avec le développement de la précarité. Quand il y a 5 millions de chômeurs, des millions de précaires essentiellement des jeunes, des temps partiels imposés en particulier aux femmes, l’urgence c’est bien évidemment de faire le contraire de la politique menée depuis plus de 30 ans par les gouvernements de gauche comme de droite. Il faut en finir avec les stages non rémunérés (donc sans cotisations), les contrats précaires sous-payés et exonérés de cotisations, en finir avec les temps partiels imposés. En décembre 2008, le nombre de personnes à temps partiel souhaitant un travail à temps plein s’élevait à 1,2 million, soit 4,8 % des actifs dont les trois quarts sont des femmes. Quand on sait qu’un million d’emplois supplémentaires à plein temps représentent 20 milliards d’euros de cotisations vieillesse de plus en moyenne, on comprend qu’avant de faire travailler plus longtemps ceux qui ne veulent pas et ne peuvent plus, il serait urgent de faire travailler ceux qui le veulent et le peuvent.

Pour en finir avec le chômage de masse, la solution ne viendra pas de la reprise de la croissance économique. L’urgence est de réduire le temps de travail à 32 heures avec obligation d’embauches. L’urgence c’est également que les salariés âgés laissent leur place à la jeune génération. Retarder l’âge du départ à la retraite revient, dans les faits, à préférer développer le chômage plutôt que de payer les retraites.

Nous ne devons pas laisser penser qu’il y aurait une fatalité démographique à augmenter le nombre de trimestres de cotisation ou à reculer l’âge de départ à la retraite. Derrière les statistiques se cache un discours idéologique qui prépare un nouveau recul social majeur. Nous devons rappeler sans cesse que la question des retraites est bel et bien une question de répartition des richesse, de partage du travail, bref un choix de société.

Sandra Demarcq