Publié le Dimanche 30 juin 2013 à 12h24.

Culture estivale : les goûts et les couleurs…

Alors que le soleil tarde à se montrer, Tout est à nous ! vous propose cette semaine une double page pour mieux cultiver l'art de se reposer en vacances... ou celui se détendre après le boulot en été.  En tout cas, il y en a pour tout les goûts, et même pour tous les âges ! 

Le Tour de France, un mythe mobilisateur
 Le Tour de France va s’élancer pour sa centième édition. Créée en 1903 par le journal l’Auto, institution peu respectable (à l’époque, clairement anti-dreyfusard et pendant la guerre plutôt collabo) ancêtre de l’Équipe, le Tour reste encore aujourd’hui un des événements les plus populaires en France et l’un des grands spectacles sportifs mondiaux, notamment au niveau médiatique...Et cela malgré les scandales du dopage, ses morts et ses repentis. En dépit surtout et encore d’un Lance Amstrong qui avoue béatement qu’il est impossible de gagner cette épreuve sans se charger.Pour comprendre un tel engouement, il faut un peu remonter le fil de l’histoire et des histoires, celles notamment racontées par tant de belles plumes. Car s’il existe un sport littéraire, c’est bien celui-là, comme le démontre la très belle anthologie de Benoît Heimermann, « Ils ont écrit le Tour de France : La Grande Boucle vue par les écrivains » chez Flammarion.
Symbolique populaire Il faut peut-être commencer par un détour inévitable, les usines, leurs masses laborieuses, et une certaine culture ouvrière de l’effort et du courage : « […] le moment crucial où le progrès industriel de la société contemporaine est entré en contradiction  avec la dure condition de vie imposée aux milieux populaires » ( Patrick Gaboriau, le Tour de France et le vélo. Histoire sociale d'une épopée contemporaine, Paris, L'Harmattan).Le vélo, objet du désir ouvrier, du rêve paysan, transformé en emblème écolo des néo-citadins, va donc suivre un destin débordant l’« emprise » économique de cette discipline éminemment professionnelle, qui concentra précocement la critique du sport commercial (cf. les Forçats de la route  d’Albert Londres en 1924). Rappelons-nous au passage que le jeune brigadier Pierre Sémard, futur dirigeant communiste et héros fusillé de la Résistance, arrondissait sa solde en participant à Valence à des courses. Aussi, au-delà de la caravane publicitaire, des contrôles contrariés de l’AFLD, c’est bel et bien d’abord cette grande messe symbolique que tout le monde s’apprête à célébrer : l’amour du peuple peut être aveugle.
King MartovSpirou : un héros dynamique
 Spirou a 75 ans et Angoulême les célèbre avec une fastueuse exposition. Ce personnage est d'abord un projet de journal porté par l’imprimeur Jean Dupuis qui se confond avec le personnage mascotte commandé en 1938 au graphiste parisien Robert Velter, dit Rob.  Alors, Spirou ou Tintin ? Rendez-vous à Angoulême pour vous faire une idée.L’anonyme groom du Moustic Hôtel voit le jour le 21 avril 1938. Il va traverser les générations et être transcendé par ses illustrateurs successifs, se créer un monde bien à lui et se montrer toujours bien portant en 2013. C’est cet itinéraire que retrace avec enthousiasme, émotion et respect l’exposition d’Angoulême.
Une aventure esthétiqueDurant les heures sombres de la guerre, le journal Spirou fut interdit par l’occupant nazi pour soupçon de Résistance. En effet, le cirque itinérant Spirou qui succéda et remplaça le journal servit bel et bien de réseau à la Résistance. Quelques panneaux de l'exposition sont consacrés à cette période héroïque qui verra surtout, du point de vue BD, Rob vendre ses droits sur le personnage à l’éditeur Jean Dupuis. Jijé, alias Joseph Gillain, reprendra le pinceau dès 1944.En fait, de Rob à Yoann, seize dessinateurs et une dizaine de scénaristes ont à ce jour fait vivre à Spirou 53 aventures. À travers des planches parfois très rares, l’exposition montre l’apport spécifique de chaque auteur au personnage : la malice de Rob-Vel, la fantaisie de Jijé, l’inventivité, la maîtrise technique et l’humour de Franquin, le charme poétique de Fournier, l’ironie rétro de Chaland ou le tropisme littéraire de Le Gall...
L’univers de Spirou… et de FranquinSi pendant 75 ans,chaque auteur a amené quelque chose à Spirou, le visiteur ne pourra que constater l’apport unique et non dépassé de Franquin à la série. C’est l'auteur de Gaston Lagaffe qui fit de Spirou la vedette incontestable du journal du même nom et de la série un classique de la bande dessinée mondiale. Son trait caractérisé par le dynamisme et la souplesse allié à une inventivité débordante et à un humour inépuisable feront de Franquin le rival d’Hergé. Spirou ou Tintin ? Voilà la question que se posaient les jeunes amateurs de BD dans les années 60, avant de s’interroger sur leur préférence entre les Beatles et les Rolling Stones...La réponse donnée par cette exposition c’est que si Spirou, le personnage, a pu survivre à Franquin, c’est grâce à l’intelligence de l’éditeur qui su acheter les droits de Spirou et confier sa destinée à des grands de la BD, à la différence de Tintin enfermé dans la tombe d’Hergé.Les personnages de SpirouL’exposition consacre beaucoup de place à l’univers et aux personnages de Spirou. Le groom au calot rouge et Spip l’écureuil ont  été créés par Rob-Vel en 1938.  Fantasio, créé par Jijé, est le premier compagnon d’aventure de Spirou.L’imaginaire de Franquin occupe toutefois la place centrale avec les inventions incroyables du comte de Champignac (la Turbotraction...) ou tous les engins que le méchant Zorglub invente pour dominer le monde, le Marsupilami et son appendice caudal de 8 mètres, Zantafio, le méchant cousin de Fantasio, la journaliste Seccotine qui s’y entend pour décrocher des scoops aux dépens de Fantasio...L'univers est riche. Si l'on veut prendre aussi le temps de parcourir le journal grâce aux tablettes tactiles, il faut donc prévoir 2 à 3 heures pour la visite de cette riche exposition.Sylvain ChardonLe Musée de la Bande dessinée121 rue de Bordeaux à Angoulême.Jusqu'au 6 octobre 2013, du mardi au vendredi de 10h à 18hPetits zécolos
 Être écolo, c’est comme tout, ça s’apprend plus facilement quand on est petit. Et les enfants aiment bien aussi les livres qui leur parlent de choses « sérieuses ».À partir de 3 ans, dans Les p’tits bio, chez Petite plume de carotte, jolis dessins et bonnes idées pour découvrir le jardinage, même sur Mon p’tit balcon bio (12,5 euros). Chez Sassi junior, Nina et Nello se demandent s’ils peuvent faire disparaître les déchets par un tour de magie. La fée Béatrice leur explique : « Quand tu tries, la vie est belle, à tes déchets tu mets des ailes, tu leur offres une nouvelle vie, et la nature tu embellis » (8,90 euros).À partir de 6 ans, deux livres qui proposent des expériences, l’Écologie chez Mango et Petit manuel d’écologie chez Auzou. Des idées à fabriquer à partir de matériaux récupérés à la maison avec le Livre de la récup’ chez Fleurus (14,95 euros).La très bonne collection À petits pas de Actes Sud junior nous offre, pour 7 euros, l’Écologie à très petits pas. L’auteur, François Michel, est enseignant, géologue et guide de haute montagne. En 80 pages, il présente les différentes pollutions, dégradations et destructions (« Est-ce qu’on peut laver l’eau ? ») ainsi que des moyens simples et quotidiens pour y remédier (« Toi, nous, que pouvons-nous faire ? »), en rappelant aussi les responsabilités des gouvernements. Superbes illustrations de Marc Boutavant qui mettent en scène de manière humoristique deux enfants et de nombreux petits animaux personnifiés.À partir de 9 ans, il y a La biodiversité  et Le développement durable à petits pas (13 euros). Dokéo + propose Protéger la terre, très complet (même si un peu ringard graphiquement…) pour 16 euros.Et enfin, recommandé dans les meilleurs terriers, Les meilleures activités nature réunies ! de Frédéric Lisak chez Milan Copain. Plein d’activités par saison, pour partir à la découverte de la nature de proximité sur le balcon, dans le jardin, en ville…Isabelle GuichardAvignon : choisir son festival ?
 Lorsque Jean Vilar crée en 1947 la « semaine d’art en Avignon », il ne peut se douter de la place décisive que prendra au fil des ans ce rendez-vous. Et lorsque, vingt ans plus tard, le dramaturge avignonnais André Benedetto, propose un spectacle en périphérie du festival, il ne peut à son tour imaginer qu’il donne ainsi naissance, quasi accidentellement, au festival « Off ».Depuis cette année, cohabitent ainsi deux festivals. L’un, le « In », est le fruit d’une programmation (théâtre, danse, performances…). Il regroupe cette année une quarantaine de propositions et deux artistes importants lui sont associés : le metteur en scène Stanislas Nordey et l’auteur-metteur en scène Dieudonné Nianguna (mais il faudrait en mentionner d’autres…). Ce festival est un lieu de créations, c’est-à-dire d’expérimentations, de possibles déceptions, mais aussi de radicalité et d’inventions. Cependant, les tarifs rendent, pour le plus grand nombre des spectateurs, impossibles les prises de risque et la curiosité…
Un lieu incontournableL’autre, le « Off », propose cette année plus de 1 250 spectacles. Pour y présenter un spectacle, il faut le décider et… payer. Il est comme un concentré des violences que le néo-libéralisme impose au domaine de la création. Des compagnies s’endettent, acceptent parfois des conditions de travail inadmissibles pour y jouer, dans l’espoir d’être ainsi repérées, achetées et diffusées. Pendant ce temps, d’autres s’enrichissent : des lieux louent à des tarifs scandaleux des créneaux dans des salles parfois improbables, tandis que des producteurs palpent les bénéfices de comiques « vus à la télé » (il est impossible d’ailleurs de ne pas être agressé par le sexisme de certaines affiches). Pour autant, le Off reste un lieu incontournable de découvertes, qui rend compte de la vitalité si peu médiatique et de la diversité du théâtre contemporain…Enfin, cette année, dix ans après la grève des intermittentEs, et alors que de nouvelles menaces pèsent sur leur régime spécifique d’assurance chômage, une manifestation aura lieu le 13 juillet à 11h30, à l’appel de la CGT Spectacle, pour protester contre la politique culturelle de Hollande faite de reniements et d’abdications et manifester aussi la détermination des intermittentEs et la solidarité de leurs spectateurEs.Olivier Neveut67e festival d'Avignon, du 5 au 26 juilletAvignon « Off », du 8 au 31 juilletLa sélection des libraires de La Brèche
 Beauté fatale de Mona Chollet, éditions Zones, 18 euros
 Ce livre comble un vide. Peu d’analyses récentes travaillent sur la presse dite féminine, les groupes industriels de produits de beauté et les relations entre image et construction / destruction de soi. Pourtant, dans ce cadre qui ne saurait gommer ou annihiler les contradictions, les femmes luttent et, pour une part d’entre elles, si elles cèdent, elles ne consentent pas…L’humour de l’auteure rend la lecture réjouissante, derrière la banalité de « l’horreur quotidienne ». Ses analyses rendent palpable que « l’émancipation n’est pas déjà là », quoi qu'en disent certainEs.La question du corps pourrait bien constituer la clé d'une avancée des droits des femmes sur tous les autres plans, de la lutte contre les violences à celle contre les inégalités au travail.
Comment j'ai cessé d'être juif de Shlomo Sand, éditions Flam, 12 euros
 La fabrication de l’hébreu qui devrait se nommer l’israélien, le rejet du yiddish, la négation en soi de toute arabité des juives et juifs du Proche et Moyen-Orient, l’invention d’un peuple-race, le mythe religieux de la descendance d’Abraham, la légende chrétienne du peuple maudit, le rôle de l’appareil éducatif et de l’appareil militaire dans la construction de l’identité, la Bible comme livre d’histoire héroïque et laïque, jusqu’au tabou suprême : la dénonciation de « la revendication intransigeante de l’exclusivité juive sur le crime nazi »... Tout y passe.L’auteur démonte entièrement la mécanique sioniste et conclut : « Supportant mal que les lois israéliennes m’imposent l’appartenance à une ethnie fictive, supportant encore plus mal d’apparaître auprès du reste du monde comme membre d’un club d’élus, je souhaite démissionner et cesser de me considérer comme juif ».
La Pacification de Rafid Keramane, éditions Les Petits Matins, 16 eurosCe livre paru, et interdit, en 1960 décrit la paix (des cimetières) par « pacification » à la française.Un témoignage indispensable des atrocités françaises, enrichi par la présentation par Nils Andersson, l'éditeur de 1960, qui raconte l'aventure de ce livre interdit. À l'image des éditeurs de la trempe des Maspero ou des Lindon, il a osé en pleine guerre d'Algérie faire passer son devoir d'anti-colonialiste avant les intérêts de la « République ».
La cage d'acier de Michaël Löwy, éditions Stock, 18 eurosMise en parallèle de Karl Marx et de Max Weber que tout pourrait sembler opposer... Le marxiste révolutionnaire contre le libéral ? Les choses seraient si simples. Michaël s'attache à montrer qu'il y a chez Weber une approche « marxiste » du rôle des classes sociales et de l'État qui l'amène à « une critique globale du capitalisme et de sa course effrénée au profit qui enferme l'humanité dans un système implacable », n'hésitant pas à parler de la « nuit polaire, glaciale, sombre et rude » que le capitalisme nous prépare.
Hôtel Adlon de Philip Kerr, éditions du Masque, 8,10 eurosBerlin, 1934. Bernie Gunther, chassé de la Kripo, gangrenée par les nazis, en raison de ses sympathies pour la république de Weimar, s’est reconverti : il est maintenant responsable de la sécurité de l’hôtel Adlon. Alors qu'il s’échine à effacer de sa généalogie un quart de sang juif, le patron d'une entreprise de construction est assassiné dans sa chambre après avoir passé la soirée avec un homme d'affaires américain véreux, ami de hauts dignitaires nazis. Une séduisante journaliste, chargée par le Herald Tribune d’enquêter sur la préparation des Jeux olympiques de Berlin, engage Bernie. Le sort d’un boxeur juif dont le corps a été repêché dans la Spree lui semble le bon moyen pour rendre compte du climat de démence meurtrière et de répression antisémite qui règne sur la capitale allemande.

L’honorable société de Dominique Manotti et DOA, éditions Folio, 7,50 eurosOn pourrait penser que c'est encore un énième polar sur le thème de la finance et du monde politique corrompus… Il n’en est rien.Ce polar est un bijou, radical à souhait et mené avec brio. Le passé politique de Dominique Manotti y serait-il pour quelque chose ?DVD« Sugar Man »Documentaire de Malik Bendjelloul (ARP) 16 eurosLe succès de ce documentaire en a surpris plus d’un, et tout d’abord le premier concerné, Sixto Rodriguez. Imaginez que soit attribué un Oscar à l’histoire d’un chanteur engagé de folk, fils d’immigrés mexicains de Detroit, devenu dans les années 70 une star en Afrique du Sud (et un peu en Jamaïque et en Nouvelle-Zélande), mais ayant sombré ensuite dans l’oubli aux États-Unis, au point que d’aucuns le croyaient mort... Naturellement, certains reprochèrent ensuite au réalisateur d’enjoliver le parcours rédempteur du personnage, qui désormais remplit les Zénith. Reste que ce film éclaire avec beaucoup d’humanité une époque et la paradoxale vocation universelle de la musique populaire. Bien avant internet et Deezer.King MartovPolicierLe dernier d’entre nousNeil Gordon, 10/18, 9,60 euros.Jim Grant est un avocat d’affaires de renom, un homme qui a réussi sa vie. Seulement voilà, son passé refait surface vingt ans après. Jason Sinai, de son vrai nom, est recherché par toutes les polices des États-Unis pour son rôle d’activiste dans le groupe contestataire d’ultra-gauche, le Weather Underground, dans les années 70, au moment où les États-Unis étaient en pleine guerre contre le Vietnam. Mêlé à un meurtre lors de l’attaque d’une banque, il a dû entrer dans la clandestinité.Ce thriller passionnant est écrit sous la forme de 42 mails, envoyés par les différents protagonistes liés à l’histoire et ayant tous pour destinataire Isabelle, la fille de Jim Grant. Neil Gordon nous plonge ainsi dans une histoire peu connue des USA, dans laquelle des étudiants blancs de la petite bourgeoisie pensent qu’une révolution sociale proche des mouvements libertaires est possible.Béatrice
Dossier coordonné par Catherine Segala