Publié le Mardi 21 juillet 2015 à 08h40.

La forêt précède les hommes Le désert les suit (Mur Odéon 1968)

Nous publions cette semaine le deuxième épisode de la nouvelle d’Iawa Tate (publiée en 4 épisodes). Bonne lecture. Episode 1.

Après l’Eden

La vieille femme le dévisagea longuement. Bientôt les garçons de son âge seraient emmenés dans la forêt vêtus en tout et pour tout d’un bonnet et d’une courte aube blanche. Puis, sans qu’elle se retourne, sa main alla chercher dans la pénombre de son intérieur un chiffon qu’elle déplia, révélant une quinzaine de coquillages. Les étoiles s’étaient allumées dans un désordre incapable d’enfanter une vraie lumière.

D’une lampe à huile s’étira une flamme sèche, fluctuante, famélique. La main ravinée se referma comme une proie sur les cauris. Les yeux de l’enfant étincelaient, ses lèvres remuaient faiblement, des syllabes saccadées s’en échappaient :

– Chair tranchée… tranchée…

– Oui, murmura Ysé tandis que les coquillages s’éparpillaient sur le tissu et qu’elle en observait la disposition. Le circonciseur en tranchant libère le pénis c’est à dire le soleil femelle. Tu agiteras le sistre pour éloigner les mauvais esprits et les femmes. Ainsi tu tiendras l’eau, la féminité, la lumière. Va, ne crains rien.

Le garçon lui jeta un regard de loup. Il décroisa les jambes. D’un coup de reins il fut debout. Il déguerpit comme un voleur.

Un sourire déforma les lèvres d’Ysé. Dans un temps lointain qu’elle ne savait pas mesurer, une fillette s’était réfugiée dans son antre. Elle lui avait refusé l’asile mais avec douceur. Avec ceux, très peu nombreux, qui feront appel à tes conseils, soit magnanime, lui avait recommandé sa mère.

 

– Je suis passée par là et je suis là, avait-elle dit. Alors le jour venu, fait macérer ces herbes dans un peu d’eau. Quand les femmes de ton clan entonneront le chant, bois. N’aies pas peur du couteau. Tu ne sentiras rien.

 

Les cauris une fois rangés, elle mangea et se désaltéra, puis elle se lava les mains longuement avec un soin particulier. À l’ouest, la faucille montait dans le champ des étoiles.

Le don est accordé à intervalles réguliers, quand la lune arrive à son premier quartier.

Attends. Ne crains rien.

De l’index, elle dessinait sur le sol sablonneux la lettre d’un alphabet inconnu. Un frisson cheminait le long de son bras pour atteindre l’épaule. Le présage attendu procurait une sensation de volupté comme si un sort merveilleux avait touché cette éternelle solitaire. Avec des gestes délicats, presque de vénération, elle dénoua son foulard, l’étala devant elle et se saisit d’une poignée de sable qu’elle réchauffa longtemps. Ce qu’il s’en écoula pour glisser sur le carré de coton, était-ce de l’or ? En tout cas cette poussière, lentement versée, était de la substance même des rêves. Ysé ferma les yeux, consciente d’être le lieu choisi d’une malédiction enchanteresse.

Ne crains rien.

Iawa Tate

La suite…