Publié le Vendredi 8 octobre 2021 à 19h00.

Le Grand Vide, de Léa Murawiec

Scénario et dessin de Léa Murawiec, Éditions 2024 du CNL, 204 pages, 25 euros.

«Quand ta vie ne tient qu’à la force de ta présence dans l’esprit des gens et lorsque plus aucun "follower" n’associe ton nom à ton visage, le Grand Vide peut apparaître mais le Grand Vide au fond n’est-il pas la solution ? »

Un récit dystopique, futuriste et philosophique

L’autrice Léa Murawiec n’a pas encore 27 ans. C’est son premier ouvrage et c’est la grande claque de la rentrée BD 2021.

En découvrant cette œuvre, on ne peut que penser aux réseaux sociaux, avec leur cortège de « like » et de « followers » amplifiés à l’infini. Le propos est beaucoup plus ambitieux et évoque surtout le besoin d’exister, la peur de se perdre dans la masse quand l’image virtuelle plus que réelle domine et écrase tout.

« Mais... Manel Naher, c’est moi ! » Qui est donc cette autre Manel Naher, qui fait la « Une » des journaux ? Elle fait de l’ombre à Manel Naher, la vraie Manel Naher, l’héroïne de cette histoire qui passe ses journées au fond d’une librairie alors que, dans ce monde, si l’on ne pense plus à vous, alors vous mourez, tout simplement. Penser à un nom c’est lui donner de la Présence, de la vie et l’immortalité aussi. Toutes les façades et enseignes de la ville verticale regorgent de centaines de milliers de noms insignifiants dont celui de Nicolas Sarkozy (spécial clin d’œil). Pour échapper à cet enfer, Manel veut fuir avec son ami Ali vers « le Grand Vide » au-delà des gratte-ciel, cet espace inconnu où les gens disparaissent à jamais. Sa famille et les médecins vont l’empêcher de tenter cette fuite en lui provoquant des AVC artificiels pour « Présence Insuffisante ». Droguée, elle va devoir gagner de la Présence. Pour sa survie, elle doit sortir de l’ombre et devenir une star immortelle en écrasant tout le monde, famille et amis inclus. Mais Manel ne peut oublier Ali et leur rêve de Grand Vide.

Servi par un dessin virtuose

Pour traduire la relation complexe de l’individu face à la masse, Léa Murawiec a opté pour un style très expressif en bichromie où Manel apparait comme une silhouette en mouvement perpétuel au bord du gouffre, de ce Grand Vide auquel elle rêve mais qu’elle redoute en même temps. Manel déborde des cases, des boites, des blocs où la foule des Présents est confinée. Un découpage « deborded » et hallucinant pour créer une impression de vertige renforcée par la mise en exposition d’une ville tentaculaire et verticale animée par les milliers noms affichés jour et nuit.

Léa Murawiec met son dessin virtuose au service d’un récit riche, rythmé et bouillonnant qui nous amène à coups d’ellipses vers ce Grand Vide !1

Et un parcours de rêve

Léa Murawiec est entrée à l’Eesi d’Angoulême (École européenne supérieure de l’image) en 2015 et en est brillamment sortie diplômée en 2018. Au printemps 2019, elle a pu intégrer la Maison des auteurs d’Angoulême2, véritable bouillon de culture. Libérée des contraintes financières qui étranglent la profession grâce à une bourse délivrée par Magelis, le pôle image d’Angoulême, l’Eesi et la cité de la BD, elle s’est entièrement consacrée à la création de cette première œuvre.

Le Grand Vide, sorti en cette rentrée 2021, connaît un véritable succès d’estime et un début de succès en librairie (5 000 exemplaires déjà vendus). Peut-être une nouvelle étoile féminine de la planète BD vient-elle de surgir. À suivre…

  • 1. Le contenu de ce « Grand Vide » est malheureusement un peu trop prévisible, avec les aspects écolo-décroissants convenus qui fascinent l’autrice.
  • 2. La Maison des auteurs a longuement reçu au printemps 2021 une délégation de la liste « On est là » de Nouvelle-Aquitaine avec notamment Philippe Poutou, Alexandre Raguet, tête de liste en Charente, Raphaël Manzanas élu à Angoulême et l’auteur de ces lignes.