La lunette de Galilée
Depuis la nuit des temps, bergers, marins, astrologues, prêtres, astronomes et savants ont scruté le ciel. Ils l'ont fait avec les moyens du bord : en regardant à l’œil nu ses lumières. Puis à la Renaissance, Galilée a eu l'idée d'amplifier cette lumière à l'aide de la lunette des Hollandais. Il découvrit les montagnes de la Lune, les satellites de Jupiter, les taches solaires et surtout la confirmation du modèle de Copernic qui affirmait le mouvement de la Terre. Toutes choses interdites par l'Église. Sur le plan scientifique notre vision du monde sera bouleversée, mais pas seulement, sur le plan sociétal également.
Les ondes radio
Mais qu'était cette lumière porteuse d'information sur l'Univers ? Il faudra attendre les travaux de Maxwell dans la seconde moitié du XIXème siècle pour en avoir une idée plus précise. Il établit dans ses célèbres équations le lien entre l'électricité et le magnétisme : les charges électriques en mouvement créent une onde qu'on appellera onde électromagnétique qui se propage ; la lumière visible est un cas particulier de cette onde caractérisée par sa longueur d'onde ; de 0,4 (pour le rouge) à 0.7 microns (pour le violet). À d'autres longueurs d'onde, cette onde existe mais n'est pas visible, comme les infrarouges (IR) ou l'ultraviolet (UV). En deçà de la longueur d'onde des UV, il y a les rayons X puis gamma ; au-delà de celle des IR, les ondes radios. Tout ceci, Maxwell l'ignorait ; il avait seulement écrit une théorie qui prévoyait cette onde. Trente ans plus tard Hertz la mettait en évidence, par une première expérience de ce qu'on appellera ensuite la Transmission Sans Fil (TSF)1. Impossible encore une fois d'en minimiser les profondes implications sociales. Et encore une fois, dans le domaine scientifique, l’observation du ciel en dehors de la lumière visible (UV et IR) va ouvrir de nouveaux horizons.
Les neutrinos
Les neutrinos sont des particules élémentaires neutres postulées en 1930 par Pauli pour rendre compte de la conservation de l'énergie dans la désintégration bêta et mises expérimentalement en évidence en 1956. Ils interagissent très peu avec la matière et donc, bien que difficiles à détecter, ils peuvent véhiculer de l'information issue de zones éloignées et denses que l'observation optique ne saurait fournir.
Les ondes gravitationnelles
En 1917, Einstein achevait sa théorie de la relativité générale. Comme avec les équations de Maxwell, cette théorie contenait une « équation d'onde » se propageant dans le vide à la vitesse de la lumière (300.0000 km/s). Chez Maxwell, cette onde était créée par le déplacement de toutes charges électriques, ici c'est une onde de nature tout à fait différente, elle est créée par le mouvement de toutes masses. L'usage est de dire que cette onde « déforme l'espace-temps ». Ce qui, avouons-le, est peu clair pour les non-initiés. En pratique, le passage de cette onde modifie les distances sur les objets qu'elle traverse. Le problème est que cette modification est si dérisoire (voir plus loin) qu'Einstein avait les plus grands doutes sur sa possible mise en évidence expérimentale. Il faut des mouvements extrêmement rapides de masses extrêmement colossales.
Une bonne indication avait été fournie en 1974 par la décroissance orbitale d'un pulsar binaire (une étoile orbitant autour d'une étoile à neutrons). Ce raccourcissement de l'orbite devait signifier une perte d'énergie qu'on devait retrouver dans l'énergie gravitationnelle émise. L’observation du raccourcissement de l'orbite va être en accord avec les calculs. Mais ce n'était pas une preuve directe : après tout d'autres théories pouvait expliquer la chose. Les physiciens se souviennent avec amertume qu'on avait longtemps cru à l'éther commemilieudevant exister pour expliquer la propagation de la lumière (comme l'air pour la propagation du son). Las, toutes les tentatives pour le trouver ont échoué : l'éther n'existe pas ; ce sera d'ailleurs un des résultats de la théorie de la relativité restreinte (1905) .
On peut raisonnablement dire que les résultats de l'expérience de LIGO aux États Unis sont une preuve directe de l'existence de ces ondes gravitationnelles : on a vu, au 14 septembre 2015 à 11 h 51, deux distances situées à plusieurs milliers de kilomètres osciller une fraction de seconde exactement selon les prévisions théoriques décrivant la coalescence (la collision) de deux trous noirs2. La perte de matière due à la collision, trois fois la masse du Soleil, a fourni l'énergie de l'onde gravitationnelle. Ajoutons en passant que c'est aussi la preuve la plus directe de l'existence des trous noirs.
Un miracle technique
Pour espérer « voir » une onde gravitationnelle, il faut qu'entrent en jeu des masses énormes (au moins de dizaines de fois la masse du Soleil) animées de vitesses énormes (une fraction de celle de la lumière). Ceci ne peut être fourni que par la Nature ; mais il faut de plus être capable de mesurer des variations relatives de longueur infinitésimales de l'ordre de 10 à la puissance -20. soit un milliardième de fois l'épaisseur d'un cheveu sur la distance Paris-New York ! Il faut ensuite être capable de faire un vide valant 1 millionième de la pression atmosphérique dans 7000 mètres cubes. Sans parler de l'appareillage qui doit être insensible aux vibrations occasionnées par les vagues d'un océan même lointain ou d'une baignoire qui se vide dans les environs.
Et grâce à tout cela on sait maintenant que l'univers a connu un événement cataclysmique
quelque part au-delà de la galaxie naine du Grand Nuage de Magellan, il y a quelques 1,3 milliards d'années.
Et alors ?
La même question s'est posée pour la découverte du boson de Higgs. Nous avions répondu qu'il n'y avait jamais de progrès décisif dans la connaissance qui ne soit suivi tôt ou tard – et de façon non prédictible – d'implications pratiques. Il s'agit ici d'une confirmation forte de la théorie de la relativité générale au moment où les mystères de la matière et de l'énergie noires en justifiaient une relecture critique. C'est enfin la naissance d'une nouvelle sonde des profondeurs de l'univers dont la moisson ne saurait tarder.
Hubert Krivine
Paris le 14 février 2016
Quand la science contribue, aussi, à bouleverser la société...
Quand, en 1609, Galilée braque, le premier, une lunette vers le ciel étoilé, c’est toute l’organisation de l’univers telle qu’on l’imaginait alors, la Terre au centre, le firmament sagement ordonné autour, qui se dérobe... C’est ce moment qu’a voulu saisir Bertolt Brecht dans sa pièce La Vie de Galilée, qui fait ainsi s’enthousiasmer le savant, dans la scène 1 : « Durant deux mille ans l’humanité a cru que le soleil et tous les corps célestes tournaient autour d’elle. Le pape, les cardinaux, les princes, les savants, les capitaines, les marchands, les poissonnières et les écoliers, tous croyaient être immobiles dans cette sphère de cristal. Or maintenant, nous gagnons le large, Andrea, le grand large. Car l’ancien temps est passé, et voici un temps nouveau. Cela fait cent ans que l’humanité semble attendre quelque chose. Les villes sont étroites et les têtes le sont aussi. Peste et superstition. Or voici qu’on dit désormais : puisqu’il en est ainsi, qu’il n’en soit plus ainsi. Car tout bouge, mon ami (...) « Car là où la croyance était installée depuis mille ans, là maintenant le doute s’installe. Tout le monde dit : oui c’est écrit dans les livres mais allons maintenant voir par nous-mêmes. D’une tape sur l’épaule on congédie les vérités les plus fêtées ; ce dont on ne doutait jamais, maintenant on en doute. « De là est né ce courant d’air qui soulève même les robes brodées d’or des princes et des prélats, dévoilant des jambes grasses ou maigres, des jambes comme nos jambes. Il est apparu que les cieux sont vides. Alors un rire joyeux retentit. »