Par Henri Clément
Lorsqu’un tueur assassine de sang froid trois femmes dans l’enceinte des thermes de Saturnia, en Toscane, à quelques jours de la tenue de la réunion du G8 à l’Aquila, toutes les forces de sécurité italiennes se retrouvent sur les dents. C’est la commissaire Simona Tavianello, plutôt connue pour son combat contre la mafia, qui hérite, à sa grande surprise, de la direction de l’enquête. Avec une revendication d’Al Qaeda qui tombe à pic, l’affaire ne semble pas extrêmement compliquée. Mais l’état italien a une certaine expérience dans le domaine de la manipulation, et notre commissaire va devoir éviter les pièges de la collaboration entre services et les marécages des calculs politiciens. Mais à l’heure du capital financier mondialisé et du berlusconisme triomphant, il ne fait pas bon être une flic honnête et intègre…
Avec ce premier volet des enquêtes de la commissaire Tavianello, Quadruppani nous livre un polar enlevé, à la fois profonde critique de notre société et jeu de piste goguenard. Le plaisir d’écrire de l’auteur est communicatif et embarque le lecteur dans une histoire tout aussi invraisemblable que bien des coups montés qui ont émaillé l’histoire italienne des cinquante dernières années. Mafias, services secrets, trader écolo-radical et financier philanthrope composent un cocktail explosif, la mise à feu étant assurée par un tueur à gages complètement allumé nommé Jean Kopa. Cette figure du tueur professionnel, ancien des services secrets, occupe une place de plus en plus importante dans notre imaginaire, comme le montre les succès de séries comme XIII ou Jason Bourne. Kopa, comme le Lynx de DOA1, est un personnage à la fois humain et sociopathe, assassin professionnel spécialisé dans les exécutions extralégales mais éprouvant le besoin de s’émanciper de la tutelle des services étatiques comme des officines privées qui l’emploient.
Comme DOA, Quadruppani nous confronte au stade capitaliste de la violence privatisée mise au service des trusts, qu’ils soient mafieux ou financiers – mais la différence entre les deux est de plus en plus ténue, puisque le système bancaire international est devenu une gigantesque machine à laver l’argent sale : « Les performances du crime organisé dépassent celles de la plupart des cinq cents premières firmes mondiales classées par la revue Fortune, avec des organisations qui ressemblent plus à General Motors qu’à la mafia sicilienne traditionnelle. » Et le scandale de blanchiment d’argent de la drogue, qui éclabousse la mairie de Paris 13e, vient souligner l’actualité de ces questions. A l’heure où médias et politiques focalisent sur la menace islamiste et le risque d’attentats, Quadruppani nous replonge dans le marécage des magouilles politico-financières et autres barbouzeries estampillées « made in Europe ». o
1. Voir la chronique et l’entretien avec DOA publiés dans le n° 34 de TEAN La Revue.
Saturne, Serge Quadruppani, Folio policier, Gallimard, 2012, 272 pages, 6,95 euros. http://www.la-breche.com/