Acte Sud, 208 pages, 18,50 euros.
C’est le tout dernier livre d’Éric Vuillard, qui vient de sortir. Toujours écrit dans le même style, de manière concise, avec pas mal d’ironie, l’auteur part souvent d’une anecdote, d’un document, d’une photo, d’un individu pour raconter un évènement historique grave et dramatique.
Travailleurs indochinois surexploités
Après nous avoir parlé de la révolution de 1789 (14 Juillet), du massacre des populations autochtones d’Amérique (Tristesse de la Terre), de la terreur coloniale (Congo), de la Première Guerre mondiale (La bataille de l’Occident), des révoltes paysannes (La guerre des pauvres), voilà qu’Éric Vuillard se penche à nouveau sur la colonisation avec la guerre d’Indochine.
Le récit commence en 1928, avec la visite de trois inspecteurs du travail sur une plantation de caoutchouc, admirable d’alignement des arbres, appartenant à Michelin aidé de Taylor pour la rationalisation du travail. On est tout de suite dans l’ambiance : des dirigeants et cadres français qui surexploitent avec brutalité des ouvriers indochinois, qu’ils torturent même lorsque ceux-ci tentent de fuir leur condition.
Et puis au fil des chapitres, la situation coloniale est décrite au travers de plusieurs portraits de personnages, arrogants ou ridicules, ambitieux, carriéristes, opportunistes. On fait connaissance ainsi de quelques politiciens ministres ou députés au Parlement, de dirigeants de conseil d’administration de banque, de hauts fonctionnaires, de plusieurs militaires haut gradés dont De Lattre de Tassigny ou autres généraux, en clair toute la panoplie coloniale au complet.
Critique efficace et percutante du colonialisme
Et puis il y a la guerre, les batailles, les défaites de l’armée française, humiliantes pour la puissance coloniale, contre une armée populaire, contre un peuple, contre des paysans, des ouvriers, des pauvres qui luttent pour leur dignité, pour leur indépendance. À côté de ceux qui veulent se faire un nom dans cette guerre, il y a le cynisme des capitalistes, des propriétaires des mines ou des plantations, celui des banquiers qui investissent ou désinvestissent au gré des évènements, qui calculent, qui s’enrichissent sans honte en pillant, en détruisant, en surexploitant.
Cette guerre d’Indochine, avec les batailles de Cao Bang (1950) ou Diên Biên Phu (1954), était bien motivée par les intérêts des capitalistes français et non pas juste pour un territoire aussi beau soit-il. Et c’est pour cela que l’État colonisateur s’accroche, méprisant tout un peuple. Vuillard nous raconte tout cela, en peu de pages, en quelques portraits, en quelques petites histoires. C’est efficace, c’est percutant, très plaisant à lire car on sourit pas mal des portraits moqueurs de ces gens de la classe dominante.
Nous sommes plongés entre les années 1920 et 1950, mais on pense souvent à notre époque, car le colonialisme ou l’impérialisme, le pillage des richesses ou l’exploitation des peuples, ce n’est pas que de l’histoire passée, c’est aussi très actuel. Vraiment, c’est à lire, comme d’ailleurs tous les autres récits du même auteur.