Publié le Mercredi 13 septembre 2017 à 15h09.

Crimes d’État : Le permis de tuer, de Foccart à Pasqua et Hollande

Le 6 septembre dernier, un article du Monde révélait que, pour la première fois, un document ordonnant un assassinat et émanant des plus hautes instances de l’État avait été retrouvé. 

Celui-ci, daté du 1er août 1958, était signé de Jacques Foccart, surnommé « Monsieur Afrique » et bras droit de De Gaulle. Il s’agissait d’exécuter un ingénieur allemand qui avait mis sur pied un réseau de désertion des légionnaires. En pleine guerre d’Algérie, il aurait ainsi réussi à faire passer 4 000 légionnaires, en majorité allemands, au Maroc, puis en Espagne, avant qu’ils soient rapatriés en Allemagne. Pour ne pas compromettre les services officiels de l’État, l’opération aurait été mise sur le compte de la Main rouge, faux nez des agents français chargés d’assassiner des cadres du FLN algérien, des trafiquants d’armes et des militants de réseaux de soutien. À en croire Constantin Melnik1, ex-coordinateur des services de renseignements, ce sont plusieurs centaines d’assassinats qui auraient été organisés.

Des crimes d’État qui n’ont jamais cessé

Ces méthodes, pratiquées par presque tous les services secrets du monde2, sont connues depuis longtemps. La fiction romanesque et cinématographique a d’ailleurs largement utilisé cette guerre de l’ombre3. Mais le fait original et relativement surprenant est que des traces écrites d’un projet d’assassinat ont pu être retrouvées : ce qui nous permet de découvrir la procédure précise de l’époque, suite à une demande du chef d’état-major.

En 1958, la guerre d’Algérie faisait rage. Mais depuis, ces pratiques n’ont pas cessé. Elles ont d’ailleurs été utilisées sur le sol français, en particulier par le SAC (Service d’action civique), réseau de barbouzes de sinistre mémoire créé par de Gaulle. Parmi ses exploits, on compte l’enlèvement du dirigeant de gauche marocain Mehdi Ben Barka, livré aux tueurs du roi du Maroc ou assassiné sur place. Plusieurs autres assassinats ont été imputés au SAC et aux services secrets, par exemple ceux du militant internationaliste Henri Curiel, le 4 mai 1978, du militant d’extrême gauche Pierre Goldman, le 20 septembre 1979, attribué directement au SAC sous les ordres de Pasqua selon le témoignage d’un des assassins4, du ministre Robert Boulin, le 30 octobre 1979, officiellement suicidé par noyade dans 30 centimètres d’eau. On peut y ajouter l’attentat mené contre le Rainbow Warrior le 10 juillet 1985. Affrété par des écologistes pour protester contre les essais nucléaires français dans le Pacifique, ce bateau fut coulé par des agents de la DGSE sur ordre du ministre de la Défense Charles Hernu, avec l’accord de Mitterrand. Cet attentat tua un membre de l’équipage, le photographe ­portugais Fernando Pereira.

Un ancien de l’OAS dans l’ombre de Sarkozy et Hollande

Plus récemment, c’est dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme » et des interventions militaires en Afrique que ces assassinats ciblés ont pris une nouvelle ampleur. À en croire le journaliste Vincent Nouzille qui a publié un livre sur le sujet5, si Chirac faisait preuve d’une certaine réticence à l’égard de ces meurtres d’État, notamment car il redoutait que des attentats ne frappent le sol français en réaction, Hollande serait le président qui en aurait commandé le plus grand nombre depuis la guerre d’Algérie, au moins une quarantaine. Hollande lui-même en a d’ailleurs revendiqué officiellement quatre dans un entretien avec des journalistes du Monde. Selon Nouzille, Hollande aurait agi sous l’influence d’un faucon, le général Benoît Puga. Cet ancien putschiste de l’OAS en 1961, nommé chef d’état-major de la présidence par Sarkozy, fut maintenu à son poste par Hollande. L’unité militaire chargée de ces opérations sous la direction de la DGSE, le service Action, compte 900 hommes.

La thèse officiellement soutenue pour justifier ces assassinats est la loi du talion appliquée à des individus qui, d’une façon ou d’une autre, s’en seraient pris ou seraient susceptibles de s’en prendre à des citoyens ou des intérêts français. Elle est d’ailleurs largement défendue par Nouzille lui-même, en particulier dans le téléfilm6 tiré de son livre. Mais les représailles s’exercent dans les deux sens. Il est probable que certains attentats soient des réactions à des actions menées en Afrique et au Moyen-Orient, soit ouvertement par l’armée française soit par les services secrets. 

Ces assassinats attestent du cynisme absolu des politiciens, hauts fonctionnaires et militaires, comme de celui de la bourgeoisie dont ils défendent les intérêts. Leurs discours sur les droits de l’homme et la démocratie ne sont que de la poudre aux yeux. Ils n’ont jamais reculé devant les méthodes et les crimes les plus barbares pour défendre leurs intérêts. Mieux vaut ne pas l’oublier.

Gérard Delteil

 

  • 1. Constantin Melnik, La mort était leur mission, Éditions Plon, 1995
  • 2. La CIA s’est notamment illustrée dans les années 1970-1980 par l’opération Condor, campagne d’extermination des militants révolutionnaires d’Amérique du Sud, menée en collaboration avec les services secrets de toutes les dictatures du continent.
  • 3. De James Bond, tueur de sa majesté, aux séries TV Homeland, consacrée à la CIA, et le Bureau des légendes, à la gloire des agents de la DGSE.
  • 4. Comment j’ai tué Pierre Goldman, « Spécial investigation » diffusé sur Canal + le 29 janvier 2010.
  • 5. Les Tueurs de la république. Fayard, 2015.
  • 6. Les Tueurs de la république, diffusé sur Canal + en mars 2017.