Publié le Jeudi 13 décembre 2012 à 14h13.

Air France : Accord gagnant-gagnant ? Salarié perdant-perdant !

Par Joël Le Jeannic

A Air France comme à SevelNord, c’est le même scénario : de grands groupes prétextent de la crise pour tenter d’accroître leurs parts de marché au détriment de leurs propres travailleurs… En exerçant un chantage à l’emploi pour imposer de graves reculs sociaux, grâce à la collaboration de directions syndicales incompétentes ou indignes. Malgré tout, beaucoup de salariés résistent.

Peugeot PSA : une petite boîte qui va mal… Un chiffre d’affaires de 59,9 milliards, en progression de 7 %...Mais c’est« la crise », alors PSA supprime 8 000 emplois dans le groupe. Et puis PSA propose à son usine de SevelNord un accord gagnant-gagnant, emploi-compétitivité : PSA s’engage à ne pas faire de licenciements économiques ; deux ans de blocage des salaires ; mise en place de la flexibilité pour accroître la productivité. Cet accord est signé, à la veille du départ en vacances (23 juillet) par la CGC, FO, les Autonomes.

Air France/KLM, une autre petite boîte qui va mal… Un chiffre d’affaires de 24,4milliards, en progression de 5 %, la recette unitaire au siège elle aussi en progression de 6,1 %…Mais c’est la crise, alors : Air France supprime 5 000 emplois dans le groupe. Et puis propose au personnel au sol un accord gagnant-gagnant, de compétitivité-emploi : Air France s’engage à ne pas procéder à des licenciements économiques ; deux ans de blocage des salaires ; baisse de 10 % des salaires dans l’avenir par la baisse du calcul de l’ancienneté ; mise en place de la flexibilité pour compenser les postes supprimés ; semaines jusqu’à 43 heures, prévenus 3 jours à l’avance…

Cet accord sur le plan « Transform 2015 » a été signé, à la veille du départ en vacances (6 juillet) par la CGC, FO et la CFDT. Toute ressemblance n’est pas fortuite et n’est pas le produit du hasard. C’est la même stratégie pour ces deux grands groupes mondiaux : accroître leurs parts de marché, en faisant financer cette croissance par les salariés, à marche forcée.

La stratégie du choc

On présente tout à coup une situation apocalyptique, on monte en épingle un déficit prétendument abyssal. Déficit en partie fabriqué – par exemple, on met dans le déficit les 400 millions qui vont financer le plan social, et puis c’est tellement facile de jouer sur les comptes, avec les différentes filiales à l’international, le remboursement des avions qui est accéléré…

On recherche la complicité des syndicats, en partie grâce à des audits. En guise d’audit, un cabinet se contente d’aller interviewer les différents dirigeants et compile leurs réponses et diagrammes fournis. Il ne peut que reprendre la comptabilité présentée et n’a pas le pouvoir d’aller voir plus loin.

A Air France, le cabinet Secafi-Alfa a donc repris la théorie de la crise et justifié les économies à faire, entraînant la totalité des syndicats, sauf Sud Aérien, dans l’acceptation du constat d’une situation soi-disant catastrophique. Devant la montée de la mobilisation des salariés, la CGT a finalement « découvert » qu’en fait la direction avait caché des choses et menti au cabinet, et demandé une nouvelle expertise…

Le nouveau PDG, Alexandre Begougne De Juniac, arrive en novembre 2010, à la suite du débarquement de Philippe Gourgeon, jusque là homme de confiance de Spinetta et proche des milieux socialistes. Pour le remercier, et surtout acheter son silence, il touche une confortable somme de 2,2 millions d’euros, avec en prime une indemnité de non concurrence de 400 000 euros ! Pour un dirigeant qui aurait soi-disant dissimulé la gravité de la crise, il est bien récompensé. Juniac, originaire de Neuilly, fait partie du cercle sarkozyste et arrive du ministère des finances. Il en profite, parce que c’est la crise bien sûr, pour faire passer son salaire de 180 000 à 900 000 euros.

Juniac « découvre » alors que ça va très mal à Air France. Il propose sa thérapie de choc, et menace de dénoncer tous les accords existants si les syndicats refusent son plan. Ces derniers gobent tout et l’implorent de sauver Air France, en accablant le pauvre Gourgeon jusque là célébré.

Les salariés sont alertés et commencent à se mobiliser

En février 2012, à l’appel de CGT, de FO et de SUD Aérien, 600 salariés envahissent la salle du CCE (comité central d’entreprise), obligeant les dirigeants à sortir sous les huées. Aux ateliers industriels d’Orly Nord, secteur où Sud Aérien est le premier syndicat, la mobilisation réunit plus de 400 salariés, la plus grosse mobilisation depuis la grève historique et victorieuse de 1993. Juniac sent le danger et propose alors un accord-cadre pour négocier à froid, si les syndicats acceptent un gain de 20 % de productivité. Il suspend la dénonciation de tous les accords. La mobilisation retombe.

Pour le personnel au sol, l’accord cadre est signé par la CFDT, FO, l’UNSA, la CGC (un accord identique est signé pour les hôtesses et stewards et pour les pilotes par la CGC, l’UNSA, FO et le SNPL). La CGT ne le signe pas mais participe aux négociations en observateur. Avec l’acceptation d’un calendrier reportant la signature d’un éventuel accord fin juin, au moment où les salariés partent en vacances.

Tous ces syndicats participent à ces pseudo-négociations sans en rendre compte aux salariés, les documents restant confidentiels. SUD et les salariés ne peuvent commencer à se mobiliser qu’en se procurant secrètement, par des « amis », la copie des attaques en préparation (ancienneté, flexibilité…). Avec la publication par SUD Aérien de ces documents, la mobilisation remonte, sur l’industriel. Et SUD est alors rejoint par la CGT de l’industriel début juillet.

La colère grandit. 200 salariés du centre de maintenance de Roissy montent au siège rencontrer les bureaux syndicaux. Ils se voient barrer la route par des CRS qui protègent les locaux et empêchent les salariés d’interpeller ces bureaux centraux !

De mars à juillet, la CGT n’appellera, sur tout Air France, qu’à une seule action : un arrêt de travail le vendredi 6 juillet à 14heures, deux heures avant la date limite de signature, au moment où les salariés partent en week-end ou en congés. Un rassemblement ridicule d’une dizaine de personnes et la comédie grotesque de faire venir un huissier pour faire constater que la direction ne lui permet pas d’entrer…

Dans les quinze derniers jours, SUD Aérien accentue sa propagande en réclamant un report de la signature à l’automne, pour permettre aux salariés de donner leur avis, beaucoup d’entre eux n’osant croire ce qui se passe, étant informés par les seuls tracts de SUD. La pression du personnel et de ses délégués de base mécaniciens avion, qui menacent d’une démission collective, fait que finalement, l’UNSA ne signe pas l’accord pour le personnel au sol. Ne signent que CGC, CFDT et FO, s’appuyant sur des secteurs moins mobilisés comme les escales aéroport qui croient sauver leurs emplois en sacrifiant leurs salaires. Parmi les personnels navigants commerciaux, la colère monte aussi et deux des trois syndicats « représentatifs » de cette catégorie, l’UNSA et FO, sous la pression, refusent finalement de signer l’accord de productivité, après avoir consulté par référendum les salariés concernés. La CGC seule est prête à signer, mais elle ne représente pas les 30 % nécessaires pour valider l’accord.

De nombreux salariés sont écœurés. Beaucoup d’entre eux ne croyaient pas à cette signature de la honte. L’écœurement redouble quand ils voient que les pilotes, qui apparaissent mieux traités, obtiennent au moins des hausses de salaire en échange de l’augmentation du temps de travail, et qu’ils constatent l’attitude plus respectueuse des syndicats d’hôtesses et stewards, qui ont refusé de signer l’accord Transform.

Nouveaux mouvements à la rentrée

Dans les escales, dont la plus grosse, Charles-de-Gaulle, compte 7 000 salariés, le plan Transform et les nombreuses attaques qu’il contient commencent à s’appliquer avec des attaques sur l’emploi, la flexibilité. Deux grèves ont déjà eu lieu à Strasbourg, suite à l’annonce de l’arrêt de la ligne Roissy-Strasbourg. Les salariés y ont la garantie de l’emploi à condition d’accepter des mutations sur Marseille ou Toulouse. La direction annonce aussi le début de mise en service de machines qui permettent aux passagers de peser et enregistrer eux-mêmes leurs bagages, autant de futures suppressions d’emploi à venir dans les aéroports d’Orly et Roissy.

Dans les secteurs qui se sont mobilisés, face à la signature du plan les salariés écœurés ont en représailles baissé le rythme de travail. Il y a besoin pour la hiérarchie de les remettre au boulot, d’autant plus qu’il va falloir assurer le travail de ceux qui vont partir sans être remplacés. Dans l’usine de maintenance Equipements de Villeneuve-le-Roi, la tentative de sanction d’un salarié qui est parti 10 minutes à la médiathèque du CE entraîne un débrayage de tous les ateliers, avec des salariés qui font grève alors qu’ils n’avaient pas bougé fin juin.

Des attaques sont à venir sur les horaires, la flexibilité. De nouveaux accords doivent être signés, de nouvelles mobilisations sont à venir pour défendre la stabilité des horaires, compatibles avec l’éducation de nos enfants.

Avec en plus, les annonces du plan Transform qui se poursuit : sur l’industriel, la direction annonce la création de deux filiales Air France en Chine pour réviser des équipements mécaniques et électroniques, faisant suite à la construction en cours d’autres en Inde et à Abu-Dhabi dans le Golfe.

La stratégie d’externalisation de la maintenance rencontre toutefois quelques aléas : après la perte d’un de ses panneaux en vol par un avion réparé en Chine, c’est de l’usine ATI, co-filiale Air France/ Royal Air Maroc à Casablanca, que parvient la nouvelle d’un début d’incendie provoqué par l’utilisation d’un aspirateur au contact de vapeurs de diluant. L’avion est sérieusement endommagé et nécessite deux mois d’immobilisation et de travaux. C’est cette usine qui prend une part croissante de l’activité auparavant effectuée dans le centre Air France de Toulouse.

Sur les salaires aussi, après l’ancienneté, les grilles d’emploivont être changées : pour répondre à la baisse des effectifs, la Direction veut des salariés polyvalents et dociles. Elle veut effacer tout repère collectif pour mieux diviser et payer à la tête du client. Et en fin de compte payer moins. La aussi les salariés vont défendre chèrement leurs acquis, par exemple les points de l’examen de technicien avion…

Pour les hôtesses et stewards, face à la non-signature la direction a dénoncé tous les accords. Il y a un an pour négocier, ce qui annonce soit de nouvelles propositions, soit des grèves à venir, sur fond de mouvements chez les hôtesses d’autres compagnies : Corsair, Régional, Lufthansa…

Les suppressions d’emploi s’accompagnent aussi d’un plan de départs volontaires qui permet aux salariés proches de la retraite de partir plus tôt ; mais là aussi il y a du mécontentement, car certains secteurs sont exclus du bénéfice de ce plan, justement des secteurs industriels où les horaires sont pénibles, avec de la toxicité dans les produits utilisés. Leurs salariés se vivent comme doublement punis : ils n’ont pas le droit de partir, parce que leur secteur rapporte de l’argent et se développe, et en même temps on leur applique les baisses de salaire, l’attaque sur les 35 heures… La colère est donc prête à éclater : c’est comme si dans une classe, les premiers étaient punis et les derniers récompensés, pensent les salariés qui ont passé plus de 30 ans dans un travail difficile.

Peintres chinois et syndicalisme corrompu

Tout n’est pas simple pour la direction qui doit gérer ses contradictions : après avoir imposé à tous les salariés de solder leurs congés cet été, elle s’est retrouvée avec une insuffisance de peintres avion pour assurer un chantier en août, à l’usine d’Orly : nous avons alors vu arriver des peintres en direct de Chine, accompagnés de deux traducteurs, l’un du chinois à l’anglais, l’autre de l’anglais au français. Pour cinq peintres, c’était un peu le luxe.

Roissy et Orly sont, avec PSA Aulnay, les dernières grosses concentrations industrielles sur la région parisienne. Face à la mondialisation, qui pousse les entreprises à toujours plus de rentabilité pour nourrir la spéculation financière et les énormes besoins de capitaux, le sentiment est fort qu’il faudra arriver à faire converger ces combats si l’on veut bloquer les externalisations et destructions d’emploi.

L’interpellation des politiques (députés, cabinet de Montebourg, conseil général, mairie d’Orly…) a commencé. Les syndicalistes combatifs ont la préoccupation d’à la fois organiser les combats à venir à l’intérieur de l’entreprise et aussi d’intervenir sur la scène politique centrale, en lien avec les autres entreprises et la population, pour imposer d’autres choix de vie.

Dans le même temps, la décomposition du syndicalisme se poursuit : le président CGT de la mutuelle Air France a été pris la main dans le sac, se versant 18 000 euros avec le chéquier de la mutuelle. Ce même individu est l’un des deux qui avait signé un accord secret en 2006 avec la direction d’Air France, pour casser une grève à l’industriel. A cette époque déjà, il était sous l’emprise d’une mise en examen pour trafic de fausses marques, qui aboutit à sa condamnation à plusieurs dizaines de milliers d’euros d’amende. Et ce dirigeant exigeait la confiance des syndiqués, à tel point que la section CGT d’Orly nord fut dissoute et ses dirigeants exclus parce qu’ils s’opposaient à de telles pratiques…

En parallèle, la destruction des acquis du CCE continue : la CGT, alliée à FO, à la CFDT et à la CGC, a mis en vente une partie du patrimoine du CCE pour combler le trou financier provoqué par l’arrêt du financement du CCE par l’établissement des navigants. Avec les mêmes méthodes, plan de départs, mutations dans d’autres entreprises… et bien sûr sans jamais engager une mobilisation de masse des salariés pour inverser ces choix funestes.

De nombreux combats sont à venir pour résister à ces attaques gravissimes.