Publié le Lundi 20 avril 2020 à 21h29.

Du confinement à la grève

Le confinement possède certains traits communs avec la grève générale. À d’autres égards, il s’en différencie radicalement.

Le premier trait commun saute aux yeux : dans toute une série de secteurs, la production est arrêtée, dans d’autres elle est nettement diminuée. Conséquence immédiate pour les capitalistes : leurs profits sont largement amputés et ils cherchent à sortir au plus vite de cette situation. Au plan idéologique, le fait que les travailleurEs sont les seuls producteurEs de richesses, que ce sont elles et eux qui produisent l’ensemble des biens nécessaires et même superflus apparaît au grand jour, contrecarrant l’effet de l’idéologie dominante.

La différence principale est que le confinement n’est pas à l’initiative des travailleurEs ou de leurs organisations : c’est l’effet d’une décision gouvernementale, avec les traits policiers qui la caractérisent et avec une façon de gérer les priorités qui cherche à coller au plus près aux intérêts de la bourgeoisie. Encore faut-il nuancer cette affirmation générale : la multiplication des droits de retrait, les absences/grèves plus ou moins sauvages qui eurent lieu avant l’annonce du 16 mars au soir ont joué de toute évidence un rôle dans l’adoption de cette mesure plus tôt que dans d’autres pays au même stade de l’épidémie.

Dans les secteurs où les travailleurEs ont dû continuer à se rendre sur leur lieu de travail, de nombreuses grèves, souvent victorieuses, y ont éclaté depuis le 17 mars – pour obtenir des primes, des moyens de protection. Ce sont des exemples précieux qu’il est possible de lutter et gagner dans la période. À présent, avec la perspective du déconfinement annoncé pour le 11 mai, ce sont des millions d’autres salariéEs qui peuvent être amenés à regagner leur lieu de travail, au risque d’une aggravation nouvelle de la situation sanitaire pour l’ensemble de la population. C’est particulièrement le cas en ce qui concerne la réouverture des écoles.

Il est évident que les moyens d’éviter cette nouvelle catastrophe devraient être au centre de nos préoccupations. Malheureusement certains camarades considèrent qu’il faut au contraire aller au-devant d’elle avec comme argument que le confinement nous empêche de nous organiser et de lutter. Le camarade Antoine Larrache en a fourni un exemple explicite dans son article « Pour en finir avec le confinement »1. Loin de proposer d’organiser dès à présent la grève ou le droit de retrait massif des enseignantEs, Antoine met en avant la mission de service public d’accueil des enfants et explique que de toute façon « on voit mal comment on pourrait construire un rapport de force devant son ordinateur, sans assemblées générales, sans manifestations, et comment des grèves pourraient se déclencher par la magie d’Internet ».

On peut commencer par remarquer que dans bien des cas, en temps normal, les salariéEs qui se mettent en grève le font sans contact « physique » avec des militantEs : le syndicat lance un appel, local ou national, et s’il correspond à un sentiment de masse, la grève sera de toute façon importante. Nul doute que ce serait le cas pour un appel à la grève intersyndicale dans l’enseignement pour le 11 mai, et on peut très bien imaginer que ce serait aussi le cas dans d’autres secteurs, notamment ceux où il est très incertain que des mesures sanitaires appropriées soient en place à cette date.

On peut remarquer aussi que les exemples se multiplient de « grève en ligne » par des salariéEs en télétravail. C’est notamment le cas des codeurs et ingénieurs d’Amazon, avec une grève prévue le 24 avril.

Il est donc bien curieux de faire référence à une prétendue « magie d’Internet » pour écarter les possibilités d’organiser la grève dès maintenant. Nous le savons bien : la technique ne fait rien, et Internet ne fournit que certains moyens de communication dont il s’agit de se saisir. Nous sommes nombreux et nombreuses à avoir appris à mieux utiliser les logiciels d’audioconférence ces dernières semaines et à avoir constaté qu’ils peuvent permettre de maintenir un cadre d’action et d’organisation collectif, notamment quand ils sont redoublés de maillage interindividuel par mail, messagerie instantanée et téléphone. Car le noyau qui est juste dans l’analyse d’Antoine, c’est que le contact individuel, les conversations entre collègues, etc. permettent une plus grande sensibilisation en vue d’un mouvement.

Sont-elles impossibles sans être en présence les uns des autres ? Le téléphone en particulier n’existe-t-il pas depuis plus d’un siècle ? En est-il partout fait usage autant qu’on le pourrait ? Dans certains secteurs, atomisés physiquement en temps normal comme chez les cheminotEs, on connaît la valeur des réseaux téléphoniques : entre militantEs, entre militantEs et non-syndiquéEs, entre collègues non-syndiquéEs, pour construire un mouvement de masse. Bien évidemment cela demande de la volonté et de l’organisation : si chacunE appelle cinq collègues qui en appellent cinq autres, etc. on peut rapidement couvrir un large nombre, permettre les échanges avec les collègues qui ne sont pas sur les listes mail militantes ou les serveurs Discord, etc.

Ne devons-nous pas viser à activer ou réactiver ces pratiques dans les semaines qui viennent ? Cela ne vaut-il pas mieux que de prétendre qu’il est nécessaire de retourner au travail pour pouvoir s’organiser en vue de ne pas y aller ?

On a pu voir ces dernières années comment la fétichisation de certaines formes organisationnelles nous a amenés à sous-estimer les potentialités de mouvements comme les Gilets jaunes – nés sur Internet, s’il est besoin de le rappeler. Aujourd’hui plus que jamais, nous devons nous saisir de toutes les possibilités techniques de communication pour nous organiser et nous défendre.

Nos capacités d’organisation ont été restreintes, mais celles du patronat aussi. Nous n’avons pas pu tenir d’AG, mais les cadres n’ont pas pu tenir de réunion du personnel où ils et elles déroulent leur monologue pour saper nos luttes. Nous n’avons pas pu diffuser de tracts, et pourtant la confiance envers le gouvernement a chuté substantiellement.

La période qui vient est atypique : plutôt que de convaincre les collègues d’arrêter le travail, il s’agira pour nous de leur donner confiance pour ne pas le reprendre. On pourrait penser que c’est une tâche plus facile, mais rien n’est automatique : dans les semaines et mois qui viennent, le discours sur la « nécessaire reconstruction de l’économie » redoublera, l’hostilité envers les mots d’ordre de grève sera décuplée dans les grands médias.

Pourtant, nous devons saisir le moment, montrer dans la pratique que non seulement seuls les travailleurEs produisent des richesses, mais encore qu’elles et ils sont les seuls à pouvoir déterminer dans quelles conditions sanitaires et sociales il est possible de travailler.