Publié le Lundi 8 juillet 2024 à 23h13.

La gauche ne doit pas briguer le gouvernement en l’absence d’une majorité claire et nette

« Macron n’a aujourd’hui d’autre possibilité que de se soumettre à la volonté populaire et de permettre à un gouvernement de gauche d’appliquer le programme de Nouveau Front populaire, qui a désormais la légitimité des urnes. » C’est ce qu’affirmait le NPA, composante la plus à gauche du Nouveau Front Populaire, dans son communiqué du soir du 7 juillet, en réagissant à l’annonce des résultats du second tour des élections législatives anticipées. C’est à l’unisson de ce qu’affirment les autres composantes du NFP, mais c’est doublement erroné.

D’une part, le programme du NFP n’a tout simplement pas acquis la « légitimité des urnes ». Avec 182 sièges (195 en ajoutant les divers gauche) sur 577, soit 31,5% (33,8%) des sièges de l’Assemblée nationale, ainsi que 28% des voix exprimées au premier tour et 25,7% des voix exprimées au second tout, le NFP ne saurait prétendre que son programme a été plébiscité par l’électorat. Nous sommes loin du score du Front populaire qui, en 1936, avait obtenu 57,8% des voix et 386 sièges sur 610, soit 63,3%, à la Chambre des députés.

Or, même si le NFP avait obtenu une majorité des sièges sans obtenir la majorité des voix exprimées, et cela grâce à un mode de scrutin déformateur – comme celui qui a permis au Labour britannique d’obtenir 63% des sièges de la Chambre des communes avec à peine plus du tiers des votes exprimés – il n’aurait pu, ou n’aurait pas dû, se targuer d’avoir obtenu la « légitimité des urnes » au sens démocratique de la légitimité qui ne coïncide pas nécessairement avec le sens institutionnel de l’expression. La gauche – et la gauche radicale en particulier – ne sauraient se prévaloir d’un système électoral qu’elles jugent antidémocratique.

Pour qu’un programme soit une expression légitime de la volonté populaire, il faudrait qu’il soit soutenu par une majorité absolue de la population. Or, il est évident que l’électorat français est loin d’adhérer en majorité au programme du NFP. Plus de 70% des voix sont allées au premier tour à l’éventail politique qui va du « centre-droit » à la droite extrême, radicalement opposé au programme du NFP. Dans des conditions où la gauche – et, à plus forte raison, sa fraction radicale – sont loin d’être majoritaires dans l’opinion publique, il est erroné pour cette gauche de briguer le pouvoir. Dans pareilles conditions, un gouvernement de gauche serait l’otage du système, confronté aux contraintes constituées par une cohabitation avec un président de droite, un appareil étatique, sécuritaire et militaire hostile aux valeurs de la gauche, et un grand capital toujours enclin à faire valoir son « mur d’argent » – sans oublier les institutions européennes, bien sûr.

Pour qu’un programme de gauche – même modéré comme celui du Front populaire de 1936 – puisse être réalisé, il faudrait une véritable « légitimité des urnes », autrement dit un niveau d’adhésion populaire considérablement supérieur à celui qu’a obtenu le NFP aux dernières législatives. Quant à croire qu’un gouvernement du NFP pourrait déclencher une dynamique populaire semblable à celle de 1936, c’est plaquer sur la réalité d’aujourd’hui une expérience historique qui s’est déroulée dans des conditions politiques et sociales très différentes, et un tout autre rapport des forces.

Le spectacle de la gauche se disputant sur le choix de la personne censée la représenter à la tête d’un gouvernement qui ne saurait être autre que ce qui a été décrit ci-dessus est lamentable. Au vu des résultats électoraux, l’attitude de la gauche devrait consister à refuser le gouvernement, même s’il devait être offert au NFP sur un plateau d’argent. Et ce, précisément parce que, d’un point de vue de gauche, on ne saurait accepter moins que d’appliquer « le programme du NFP, tout le programme, rien que le programme » comme l’a dit Jean-Luc Mélenchon le soir du 7 juillet, et que cela est strictement impossible dans les conditions actuelles.

La gauche doit donc laisser le « centre-droit » continuer à assumer seul la responsabilité de sa politique impopulaire, et continuer pour sa part à constituer une force de résistance et de véto à l’Assemblée nationale. En d’autres termes : primo, laisser Macron se dépêtrer seul du bourbier qu’il vient de recréer de manière amplifiée et s’abstenir sur la formation d’un gouvernement de centre-droit de sorte à ne pas prendre la responsabilité d’une crise institutionnelle majeure, propice à un coup de force ou à une nouvelle élection, où l’extrême droite risque de poursuivre sur sa lancée et franchir enfin le seuil qui lui permettrait de prendre les rênes du gouvernement, ou même de s’emparer de l’ensemble de l’exécutif en cas d’élection présidentielle anticipée ; secundo, continuer à s’opposer systématiquement à toutes les lois et mesures contraires à l’intérêt de la population travailleuse et à se battre pour l’intégralité du programme du NFP, en combinant la bataille dans l’hémicycle avec le combat unitaire de la gauche politique, syndicale et associative sur le terrain des luttes sociales.

Le centre-droit serait ainsi acculé à ne pouvoir faire passer ses mesures antipopulaires qu’avec le soutien de l’extrême droite plutôt que l’inverse, qui est la tactique que le Rassemblement national entend pratiquer. En effet, ce dernier dénonce déjà ce qu’il décrit comme une collusion Macron-Mélenchon. Car ne nous y trompons pas : il vaut bien mieux s’ériger en force d’opposition à un gouvernement impopulaire et continuer à agir ainsi pour gagner le soutien de la majorité populaire que d’accepter de gouverner sans rapport de forces favorable et endosser de ce fait la responsabilité d’un échec inéluctable, qui serait de nature à renforcer le pôle opposé.