Publié le Jeudi 20 février 2014 à 07h15.

« Melisa est morte de l’avancée nette du racisme anti-Rom, d’avoir habité dans un bidonville »

Entretien. Âgée de 7 ans, Melisa est morte mercredi 12 février dans l’incendie d’un camp roms sur le terrain des Coquetiers à Bobigny (93). Véronique Decker est directrice de l’école où était scolarisée Melisa.

Tu es directrice d’une école qui scolarise beaucoup d’enfants Roms, dont Melisa. On dit pourtant que les populations Roms ne fréquentent pas l’école...Ce qui empêche en premier les Roms de fréquenter l’école, c’est le refus d’y inscrire les enfants qui est organisé par les administrations qui ont en charge cette question. La justification qui est donnée, c’est que les familles n’ont pas d’adresse et donc n’appartiennent pas à la commune, au département… Mais s’ils n’ont pas d’adresse, c’est parce que les CCAS refusent de les domicilier dans l’immense majorité des communes. Bref, il n’y a pas de médiation pour l’accès à l’école, mais bien au contraire, un empilement d’obstacles presque infranchissables.Avec les enfants de l’école, nous avons fait deux films en 2013 pour expliquer la situation et montrer qu’il est possible de surmonter les difficultés avec une mobilisation constante des militants de terrain. On peut trouver ces petits films sur internet en cherchant « roms Bobigny école ». Le premier s’appelle Scolarité obligatoire. Sous l’onglet « info » du second film Scolarisation : mode d’emploi, il y a un texte qui explique les obstacles et les combats à mener. L’inscription à l’école, ce n’est pas que la possibilité d’apprendre à lire et à écrire : c’est l’inscription dans l’enfance ordinaire, mais nous avons aussi travaillé sur l’inscription au centre de quartier, aux activités sportives, à tout ce qui permet aux enfants Roms de se faire des amis de leur âge dans la ville. 

Tu as dit dans une interview que Melisa n’est pas morte d’un incendie, mais de la misère...Elle est morte de l’avancée nette du racisme anti-Rom, non seulement dans l’ensemble de la droite (mais là, nous étions habitués...) mais dans l’ensemble de la gauche. La majorité des municipalités de gauche ont refusé la scolarisation, la domiciliation, la prise en charge par des assistantes sociales... Les gouvernements de droite et de gauche ont organisé des expulsions sans solution de relogement, et Guéant comme Valls se sont vantés de leurs « résultats ». Jeter à la rue en plein hiver des familles d’êtres humains rapporte des voix, semblerait-il... C’est la perte des valeurs du militantisme de terrain, par une « gauche » qui ne connaît plus la banlieue que de loin ou qui ne voit pas que tenir la main du racisme pollue la pensée.Melisa est morte d’avoir habité dans un bidonville, pour lequel le collectif de soutien demande depuis des années des solutions, des négociations, l’accès à l’eau, à l’électricité… Nous venions seulement d’obtenir deux toilettes pour 200 habitants.

Dimanche 16 février a eu lieu à Bobigny une « marche blanche » pour Melisa. Peux-tu nous raconter ?C’est le collectif qui l’a organisée, avec l’aide de la mairie qui a imprimé les tracts d’appel. Les enseignants ont fait la banderole, la collecte, les parents d’élèves et le collectif ont aidé à la distribution des tracts. Beaucoup de familles de la ville (Roms ou non) sont venues, beaucoup de militants des associations qui soutiennent les Roms aussi. La marche a montré qu’il n’y a pas deux peuples : les Roms et les autres. Il y a une misère qui frappe les plus faibles, et qui nous guette tous. Or, la France est un pays riche, elle devrait avoir éradiqué la misère sur son territoire.La maire vient d’annoncer un rendez-vous avec Cécile Duflot, ministre du Logement. Le collectif avait demandé depuis bien longtemps ces rencontres, afin de parler de la situation de tous les Roms et pas seulement de ceux du terrain des Coquetiers. Il y a trois terrains à Bobigny, et des dizaines dans le 93. Nous n’accepterons pas une opération de communication qui relogerait quelques dizaines sans réfléchir à l’ensemble de la situation de mal-logement. Actuellement, le 115 admet n’offrir d’hébergement qu’à moins de la moitié des appels... Chaque nuit, ici, des femmes et des enfants dorment à la rue.

Propos recueillis par Manu Bichindaritz