Publié le Mercredi 16 octobre 2019 à 16h25.

Mort d’Angelo Garand : « La peine de mort a-t-elle vraiment été abolie ? »

Entretien avec Aurélie Garand, du comité Justice et vérité pour Angelo, du nom de son frère assassiné à Blois par la police en mars 2017. Aurélie était présente à Paris lors de la fête du NPA le 12 octobre.

Que s’est-il passé le 30 mars 2017 ?

Le 30 mars 2017, c’est le jour où mon frère Angelo a été abattu chez mes parents. Angelo avait été invité pour manger une grillade chez mes parents et, aux environs de 13 h, il y a une équipe du GIGN qui est arrivée. Ils venaient pour interpeller Angelo car, 6 mois auparavant, alors qu’il avait été incarcéré pour des affaires de vols, Angelo avait eu une permission pour venir voir sa famille et il n’était pas rentré. Quand le GIGN est arrivé, Angelo est allé se cacher dans une petite remise, pendant ce temps-là ils ont mis toute ma famille à terre. Ils leur ont crié « Fermez-la, fermez-la », ils ont menotté mes parents dans le dos, c’était très violent. Ils ont tout fouillé et, alors qu’ils étaient prêts à repartir, Angelo a fait un petit bruit dans cette remise. Les hommes du GIGN se sont précipités et, aussitôt, il y a eu des coups de feu. On a su par la suite qu’Angelo avait reçu cinq balles dans le thorax, tirées dans les organes vitaux : le cœur, le foie, un rein et les deux poumons.

Dès qu’ils ont tué Angelo, ils ont enlevé ma famille de la scène de crime, mon père était alors à cinq mètres, et ils les ont fait monter dans la cour, un peu plus haut. Les gendarmes ont pris le relais du GIGN, et ils ont forcé ma famille à aller faire une déposition, alors qu’ils ne voulaient pas. Et c’est à ce moment-là, vers 7h du soir, que le procureur a officiellement annoncé à ma famille le décès d’Angelo. On s’en doutait bien mais il y avait quand même encore de l’espoir, malgré la violence, qu’Angelo soit blessé et pas mort. Et le procureur leur dit « Toutes mes condoléances » et ajoute « Par ailleurs j’espère que ça ne se passera pas comme en 2010. » Il faut savoir que 2010, c’est quand Luigi Duquenet avait été abattu par les gendarmes dans le Loir-et-Cher, et qu’il y avait alors eu ce qu’ils appellent des « débordements », en fait des gens qui avaient exigé la vérité sur la mort de Luigi, et là on a compris le chemin qu’ils voulaient nous faire prendre.

Et comment avez-vous réagi ?

Plus tard, ils nous ont autorisés à aller chercher des affaires chez nous, mais pas à y rester, il y avait encore le corps d’Angelo, on était surveillés et on a juste pu prendre des affaires et décamper. Et on n’a pu retourner chez nous que le lendemain, en fin d’après-midi.

Et alors qu’on n’avait pas encore pu rentrer chez nous, on a vu le procureur, sur France 3, expliquer leur version, et décrire une scène complètement folle : Angelo se serait rué sur les hommes du GIGN avec un couteau, il aurait résisté à des coups de taser, il aurait été prêt à leur trancher la jugulaire, un scénario délirant. En voyant ça, on s’est dit qu’il fallait faire quelque chose. Et j’ai fait une vidéo, en reprenant les propos du procureur, qui présentait notamment Angelo comme un évadé, un homme dangereux… Donc j’ai fait une vidéo, on l’a postée sur Youtube, et j’ai reçu le soutien de militants, d’autres familles, avec Amal Bentounsi qui m’a donné tout de suite les premiers conseils, notamment se porter partie civile pour avoir accès au dossier. Et c’est là qu’on a créé le collectif Justice et vérité pour Angelo, car avoir une affaire juridique mais pas de mobilisation ça n’a aucun sens.

Avec qui avez-vous lancé le collectif et quelles ont été ses premières actions ?

15 jours après la mort d’Angelo, on a organisé une réunion chez nous et on a lancé le collectif, en appelant à une première marche à Blois, pour dire que la version policière était fausse, qu’il n’y avait pas de couteau, bref, que c’était un crime et qu’Angelo n’était pas coupable de sa mort. Et c’est à ce moment-là que j’ai rencontré d’autres familles, d’autres sœurs.

Angelo a fait pas mal de prison, est passé pas mal de fois devant des tribunaux, et donc nous on connaît, en tant que gens du voyage, cette justice, qui n’est pas juste. Il y a plein de préjugés contre les gens du voyage, ceux qui ont tué Angelo les avaient sûrement eux aussi, se disant « On intervient chez des gens du voyage, dangereux, potentiellement armés, etc. ». C’est pour ça que le collectif est pour Angelo, contre les violences, mais aussi contre le racisme, contre le racisme d’un État qui est puissant, très puissant. On sait très bien qu’on n’en serait pas là s’il n’y avait pas ce racisme.

Peux-tu nous parler de vos démarches juridiques et des ­obstacles que vous avez rencontrés ?

Côté juridique, on ne nous a rien épargné. On s’est aussitôt constitué partie civile, le procureur a ouvert une enquête pour, disait-il, faire toute la lumière, il y a eu une instruction par une juge, on nous a reçus quelques mois plus tard. Un premier non-lieu a été rendu en octobre 2018, et on s’est aperçu que ce non-lieu avait été rendu par une juge qui venait d’arriver, qui avait repris le dossier sans qu’on le sache, et qu’on n’avait jamais rencontrée, ni nous ni nos avocats. On a fait immédiatement appel et, en février 2019, la chambre d’instruction a confirmé le non-lieu en s’appuyant sur le récent texte de loi L435-1, un véritable permis de tuer. Et c’est pour ça que le combat pour Angelo a une vraie dimension politique, car c’est la première fois qu’ils ont appliqué cet article, cette loi. On a déposé un pourvoi en cassation, et on sait très bien que si ça passe pour eux en cassation dans le cas d’Angelo, ça fera jurisprudence, et qu’ils s’appuieront sur ce dossier pour justifier les prochaines morts. Ce qui est grave avec cet article, c’est que cela signifie des non-lieux jugés dans des bureaux : on n’a pas accès à un procès.

Le combat pour Angelo est donc aussi un combat pour l’information de la population et sur les dangers pour tout le monde : on voit bien, dans le contexte actuel, avec les mouvements sociaux, que personne n’est à l’abri, et on voit bien que les forces de l’ordre sont couvertes pénalement. Angelo a pris cinq balles dans le torse, et les deux non-lieux sont pour moi une réponse claire : oui ils ont tué Angelo, oui ils avaient le droit de le faire, non ils ne sont pas responsables pénalement. La question politique qui se pose c’est : la peine de mort a-t-elle vraiment été abolie ?

Ce sont des faits graves, et c’est extrêmement dur, il faut se battre pour informer, pour faire connaître la vérité, faire savoir que c’est une exécution. Et si on tient, c’est grâce au soutien, et aussi grâce à la solidarité financière car toutes ces démarches juridiques ont un coût auquel on n’est pas préparé. On a fait une cagnotte, et jusqu’ici on a réussi à s’en sortir avec ça. Sans la solidarité, ça n’aurait pas été possible.

Propos recueillis par Julien Salingue