Le coup de pression de la préfecture de police n’a pas marché. La Marche des Solidarités n’annulera pas la manifestation prévue à Paris le 30 mai pour la régularisation des sans-papiers, la fermeture des centres de rétention et des logements décents pour touTEs.
Mieux, sur la base de son appel, signé par plus de 190 collectifs et organisations, la liste s’allonge des villes qui se préparent à manifester le 30 mai : Lyon, Rennes, Rouen, Marseille, Grenoble, Valence, Limoges, Nantes, Poitiers, Le Havre, Nîmes et même Bologne en Italie !
Mieux, un processus de convergence des appels qui se sont multipliés sur les mêmes bases ces dernières semaines est en train de s’accélérer.
C’est d’ailleurs peut-être ce qui a incité la préfecture à tenter, par mail, ce coup de pression le lundi 18 mai. Car la manifestation parisienne avait été déposée en préfecture 10 jours auparavant, au nom de toutes les organisations signataires, par la Coordination parisienne des sans-papiers. Sans réponse. C’est à une relance faite par le syndicat Solidaires que la préfecture a réagi. Sans daigner s’adresser au collectif de sans-papiers.
Une drôle d’invitation
Tout est instructif dans ce mail. La préfecture n’interdit pas la manifestation, elle « invite à [lui] confirmer l’annulation » après avoir indiqué que « votre événement ne pourra se tenir car vous ne pouvez garantir qu’il n’y aura pas plus de dix personnes présentes ». Certes…
Mais le clou de la missive envoyée, outre l’expression d’« invitation à confirmer l’annulation », est dans le dernier paragraphe, où la préfecture indique que le préfet n’utilisera pas sa possibilité inscrite dans le décret du 11 mai, de « maintenir la manifestation à titre dérogatoire ». Manière de dire qu’il le pourrait.
Dans le même temps nous avons appris que, sous la pression des milieux intégristes catholiques et de l’extrême droite, le Conseil d’État oblige le gouvernement à autoriser la réouverture des églises. Tous les arguments du Conseil d’État concernant la liberté de culte, dans des lieux fermés, devraient s’appliquer, a fortiori, à des événements concernant la liberté d’expression dans la rue. Et, alors que la préfecture utilise comme raison la situation sanitaire « dégradée » à Paris, c’est l’immense centre commercial de Beaugrenelle qui réouvre !
La Marche des Solidarités a publié une réponse à la préfecture, soulignant « la responsabilité directe des autorités que vous représentez dans cette situation. Au mépris de toutes les recommandations sanitaires et du Défenseur des droits, ces autorités refusent de fermer les centres de rétention administrative, d’ouvrir des lieux pour éviter la surpopulation dans les foyers, de réquisitionner des logements vides pour les mal-logéEs et les sans-abris et de régulariser les sans-papiers pour leur donner accès aux droits permettant de vivre dans des conditions sûres. »
Alors ?
Ce qu’aurait aimé éviter le pouvoir, par l’intermédiaire du préfet, c’est le coût d’une décision d’interdiction qui sera ouvertement politique et non sanitaire. Comment légitimer une interdiction de présence dans la rue de milliers de personnes quand dans le même temps on autorise des rassemblements de milliers dans des lieux fermés ?
Il y a d’ailleurs là une sorte de piège pour les autorités. Car insister sur l’aspect sanitaire est à double tranchant. En ce qui concerne le droit de manifester comme en ce qui concerne les revendications même de la manifestation.
En effet garantir le droit de manifester dans des conditions sûres pour la santé nécessiterait en fait de libérer le plus d’espace possible aux manifestantEs et d’alléger au maximum le dispositif policier ! On a encore eu cette semaine l’illustration tragique à Argenteuil du danger qu’il y a à croiser la police quand on est jeune, noir ou arabe. Et chaque intervention de la police sur un rassemblement ou une manifestation rend d’autant plus difficile le respect des mesures barrières à la propagation du virus.
Quant au contenu de la manifestation, il révèle justement combien le pouvoir n’a jamais eu comme priorité les préoccupations sanitaires. Et plus il rechigne à régulariser touTEs les sans-papiers, plus il démontre à quel point ce n’est pas le cas. Proposer aux soignantEs de défiler le 14 juillet aux côtés de l’armée, faire la chasse aux migrantEs et mener une politique d’inspiration coloniale dans les quartiers a certes une certaine logique. Mais cette politique de l’ordre, raciste et nationaliste, n’a rien à voir avec les besoins sanitaires et sociaux.
C’est maintenant
La Marche des Solidarités a répondu à la préfecture que son « invitation » n’aurait un sens que si le gouvernement prenait justement les mesures revendiquées par la manifestation.
On a bien compris que l’enjeu s’était relevé. Là encore, pas de hasard à ce que les choses se cristallisent autour de la question des migrantEs. Liberté de circulation, visibilité politique dans l’espace public, refus de toutes les mesures étatiques de contrôle, de surveillance, et de répression, lutte contre le racisme et le nationalisme, partage des richesses plutôt que course aux profits, la cause des sans-papiers est porteuse des choix fondamentaux à faire pour le « monde d’après ».
Voilà pourquoi il faut faire monter la mobilisation. Pour imposer notre liberté de manifester, gagner l’égalité des droits et faire tremplin à une révolte qui, pour avoir été confinée, ne s’est pas éteinte.